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L’Equateur à la croisée des chemins, pour un audit intégral de la dette
Chapitre 5 : La renégociation de la dette
par Virginie de Romanet , Benoît Bouchat , Stéphanie Jacquemont
18 août 2007

Chapitre 5 : La renégociation de la dette

A. Les moratoires : des occasions manquées
B. Échanges et réechelonnements

  • 1.le Plan Brady
  • 2.Les Bons Global
  • 3.La restructuration de la dette bilatérale auprès du Club de Paris

- C. Annulations des dettes

  • 1.L’initiative PPTE et l’Equateur
  • 2.La décision du gouvernement norvégien en octobre 2006 : une reconnaissance inédite de la responsabilité d’un Etat créancier dans ses “mauvais prêts” (bad lendings)

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Depuis la crise de la dette de 1982, différentes initiatives ont été lancées pour tenter d’y remédier. En Equateur, comme dans d’autres pays, rééchelonnements et échanges de dettes ont été nombreux mais ils n’ont jamais permis de trouver une solution durable. Et pour cause : le but de ces renégociations n’était pas de trouver une solution définitive pour libérer le pays du joug de la dette. Elles tendaient seulement à alléger provisoirement le service de la dette pour permettre la poursuite de son remboursement à un niveau maximal. Les dirigeants qui se sont succédé avant l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa se sont pliés aux conditions des créanciers et l’intérêt national n’a jamais pesé dans la balance des négociations.

A. Les moratoires : des occasions manquées.

Si par deux fois sur la période 1970-2007, l’Equateur a déclaré un moratoire sur le paiement de sa dette externe, notamment de sa dette vis-à-vis des banques, ces suspensions de paiement étaient davantage considérées comme les effets regrettables de difficultés passagères, et non comme la conséquence logique d’un système insoutenable. Elles n’ont donc jamais été intégrées à une démarche d’affrontement vis-à-vis des créanciers ou envisagées comme des mesures de rétorsion pouvant permettre de prendre le dessus dans les négociations.
C’est en 1987 que l’Equateur a, pour la première fois, suspendu ses paiements. Ce défaut de paiement était le résultat de différents facteurs : la hausse drastique des taux d’intérêt internationaux depuis le début des années 1980 et la restriction de l’accès aux marchés des capitaux ; la baisse des revenus pétroliers (baisse du prix du baril) ; l’augmentation importante du service de la dette suite à la sucrétisation (voir chapitre 2) et au recours à l’endettement pour faire face à ce service en hausse ; la dévaluation du sucre par rapport au dollar qui alourdit mécaniquement le poids des remboursements effectués en dollars. Le tremblement de terre de mars 1987 et la rupture de l’oléoduc empêchant l’exportation de pétrole sont venus fragiliser encore plus l’équilibre de la balance des paiements. Dans ce contexte difficile, les intérêts de la dette commerciale n’ont pas été payés pendant près de 5 ans. Mais comme mentionné au chapitre 4, l’Etat a renoncé in extremis en 1992 à la prescription de sa dette externe commerciale, qu’il était normalement en droit de demander. En effet, selon les lois new-yorkaises et londoniennes qui régissaient ces dettes, lorsqu’une dette impayée n’est pas réclamée pendant cinq ans, l’obligation de rembourser s’éteint. Mais l’Etat a écarté cette possibilité et signé une convention de garantie des paiements, et les dettes ont ensuite été entérinées par leur échange en bons Brady en 1994.
En 1999, le pays a été secoué par une crise d’une ampleur sans précédent, sous l’effet combiné de différents facteurs (crise asiatique et hausse des taux d’intérêt pour les pays émergents, baisse des exportations suite au phénomène El Niño [1] , climat de défiance et retrait des capitaux étrangers, etc.). Le moratoire décrété en août 1999, au plus fort de la crise, n’a pas non plus débouché sur une renégociation favorable à l’Equateur, mais à un nouvel échange de dettes (les bons Global ont remplacé les bons Brady et Eurobons), encore plus préjudiciable pour le pays, comme nous allons le voir. Ce deuxième moratoire aurait pu être utilisé comme appui à une renégociation favorable, puisque le défaut de paiement avait fait baisser la cote des bons Brady autour de 25% de leur valeur nominale. Si l’Etat avait vraiment cherché à alléger cette dette, il aurait pu le faire en contournant l’interdiction, contenue dans le plan Brady, de racheter des bons.
Comme l’indique Alberto Acosta [2], ce moratoire n’a été d’aucune utilité pour l’Equateur car il ne s’inscrivait pas dans une stratégie active pour réduire l’endettement. Il n’a pas débouché sur une épreuve de force entre débiteurs et créanciers ; au contraire, le dialogue entre les deux parties n’a jamais cessé. Le scénario de 1994 s’est donc reproduit : l’intérêt national n’a pas été pris en compte dans l’échange de bons, la question du montant que l’Equateur était en mesure de payer n’a pas été examinée, pas plus que celle des dettes illégitimes que l’Equateur ne devait pas payer. Ces négociations se sont faites une fois de plus dans des conditions très coûteuses pour l’Etat, au détriment du peuple équatorien.
Le gouvernement actuel semble, quant à lui, avoir adopté une tout autre démarche. Le président Correa a indiqué : « A aucun moment nous n’excluons, sur la base des besoins du pays, un moratoire unilatéral et bien entendu une renégociation agressive de cette dette [3] ».

B. Échanges et rééchelonnements

La dette externe commerciale a subi plusieurs rééchelonnements, après le début de la crise de la dette : trois sessions de négociations avec les Comités de gestion des banques créancières ont eu lieu : la première d’août 1982 à septembre 1985, la deuxième de septembre 1985 à août 1987 (initiative Baker) et la troisième à partir de septembre 1987. Ces sessions n’ont pas permis de résoudre la crise et, en 1987, l’Equateur suspend les remboursements de sa dette commerciale. Celle-ci sera alors changée par des bons Brady, puis des bons Global. Nous allons nous centrer sur l’analyse de ces deux échanges qui ont constitué comme le reste des renégociations, une solution pour les prêteurs et non pour le pays débiteur.

1. Le plan Brady

L’accord pour le plan Brady a été signé en 1994 et mis en place en 1995. Il consistait en l’échange d’une dette ancienne, impayable, par une nouvelle dette, sous forme de bons. En 1992, la dette publique commerciale s’élevait à 6 964 millions de dollars, dont 2 009 millions d’intérêts de retard [4]. Le plan prévoyait 4 types de bons : les bons « Discount » et « Par », pour le traitement du capital, et les bons « PDI » et « IE » pour le traitement des intérêts. Les deux premiers étaient garantis par des bons à taux zéro du Trésor américain, dont l’achat a été effectué grâce à un nouvel emprunt. Le plan Brady était présenté à l’époque comme un instrument de réduction de la dette et d’allègement de son service. Les bons Discount permettaient, en effet, d’obtenir une réduction de 45% sur le capital de la dette ancienne mais leur taux d’intérêt était variable et supérieur au marché (taux LIBOR [5] + 13/16). Quant aux bons Par, ils ne permettaient aucune réduction du capital mais s’accompagnaient de taux d’intérêt fixes croissants (3%, puis augmentation graduelle jusqu’à 5% à partir de la onzième année). Les deux autres types de bons revenaient ni plus ni moins à capitaliser les intérêts (les intérêts en retard de paiement représentaient, en 1994, 41% de la dette contractée auprès des banques internationales). De fait, le plan a eu pour effet de soulager temporairement l’Etat grâce une réduction du capital et aux périodes de grâce (30 ans pour les bons Par et Discount, et 10 ans pour les bons PDI). Cependant, le service de la dette allait à long terme s’alourdir, d’autant que l’Etat a dû, pour financer l’opération, s’endetter auprès du FMI, de la BID et de la BM. Comme le montre le tableau ci-dessous, le service prévu pour les bons Brady devait augmenter de façon substantielle (de 294%) entre 1995 et 2008. Mais les bons Brady ont rapidement été remplacés par des bons Global, après une nouvelle suspension du paiement des intérêts en 1999.

Service prévu des bons Brady (en millions de dollars)
AnnéePARDiscountPDIIETOTAL
1995 43.0 52.6 35.8 23.3 154.7
1996 61.0 93.7 74.0 21.5 250.2
1997 65.8 98.1 79.7 20.9 264.5
1998 67.0 101.8 85.9 20.2 274.9
1999 74.1 101.8 95.8 29.0 300.7
2000 76.5 101.8 106.6 27.7 312.7
2001 86.7 102.1 161.5 26.4 376.8
2002 86.1 101.8 214.8 37.7 440.4
2003 89.1 101.8 214.8 35.5 441.2
2004 90.9 101.8 215.4 33.4 441.5
2005 64.5 102.1 358.2 0 524.8
2006 95.6 101.8 347.5 0 545.0
2007 95.6 101.8 336.8 0 534.2
2008 95.6 101.8 412.6 0 610.0
2009 95.6 102.1 394.9 0 592.6
2010 95.6 101.8 377.7 0 575.2
Source : Alberto Serrano, « El plan Brady ¿Solución para prestamistas o prestatarios ? » , Ecuador Debate, n°45, décembre 1998

2. Les Bons Global

En 2000, peu après la dollarisation de l’économie, a eu lieu une nouvelle renégociation de la dette externe commerciale, qui s’élevait alors à 6 945,9 millions de dollars, et dont la quasi-totalité était constituée de bons Brady et d’Eurobons. Il s’agissait donc de changer les bons Brady et les Eurobons par des bons Global A et B (voir chapitre 2) pour répondre aux nouvelles exigences induites par la dollarisation de l’économie. Officiellement, les objectifs étaient de soulager les pressions sur les flux de caisse de l’Etat, d’établir un profil de service de la dette en accord avec les capacités du fisc, de diminuer les pressions sur le budget et de libérer des ressources pour des programmes prioritaires, de réduire de manière significative le montant nominal de la dette, mais aussi de procéder au maximum de remboursements anticipés, de garantir à nouveau à l’Equateur l’accès aux marchés financiers et enfin de promouvoir la diminution de la prime de risque-pays [6]. Selon Alberto Acosta, la stratégie du gouvernement était inscrite dans le cadre de l’ajustement structurel, à peine masqué par un vernis de préoccupations sociales.
L’échange des bons Brady par des bons Global constituait, selon le gouvernement, une réduction de dette de 43%. C’est ce que peuvent laisser penser les chiffres. Des bons Global A ont été émis pour 1 250 millions de dollars, et des bons Global B pour 2 700 millions de dollars, soit 3 950 millions de dollars pour un montant initial de la dette de 6 945,9 millions de dollars. Cependant, il faut ajouter aux 3 950 millions des Bons Global les 722 millions versés aux détenteurs de bons Brady sous forme de bons du Trésor américain (voir ci-dessous), et la réduction consentie n’est plus alors que de moins de 30%. De plus, ces chiffres sont sujets à caution : en effet, Alberto Acosta [7] mentionne le décret présidentiel n°168 par lequel l’Etat s’est engagé à émettre pour 5 750 millions de dollars en bons Global, destinés exclusivement à l’échange des bons Brady . Les déclarations du gouvernement, qui présentait alors la réduction de dette comme exceptionnelle, étaient bel et bien trompeuses, d’autant qu’à la date de l’échange, les bons équatoriens étaient descendus à 25% de leur valeur nominale. C’est donc une dette initiale de 6 298 millions de dollars (montant des bons réellement échangés), qui n’en valait plus que 1575, qui a été changée pour au moins 3 950 millions de dollars. Les conditions de cet échange ont été si avantageuses pour les créanciers, et donc préjudiciables pour l’Equateur, que A. Acosta parle « d’un braquage extraordinaire » [8] ... Nous présentons ici quelques-uns des avantages exceptionnels qui ont été concédés aux créanciers :

  • Ceux-ci ont reçu avant échéance (prévue pour 2025) les bons du Trésor américain à taux zéro, pour 722 millions de dollars, qui constituaient la contrepartie et la garantie des bons Brady.
  • Les intérêts échus, soit environ 161 millions de dollars, ont été payés immédiatement, si bien que les créanciers ont reçu 883 millions de dollars au comptant (cash). Ce montant aurait pu servir, comme mentionné plus haut, à acheter les bons Brady dont la valeur avait chuté du fait du moratoire. Au contraire, ceux qui ont acheté, pendant le moratoire et les négociations, des bons Brady à presque 20% de leur valeur nominale, ou ceux qui détenaient ces bons, ont fait une belle opération.
  • Le gouvernement s’imposa des sanctions en cas de retard de paiement (pénalité de 30% si le retard se produit dans les trois premières années, de 20% à partir de la quatrième année, et de 10% après la septième année).
  • L’Etat a l’obligation de racheter des bons sur le marché secondaire pour maintenir des cours élevés, pour le plus grand bénéfice des créanciers.
  • Les taux d’intérêt établis sont supérieurs aux taux du marché : pour les bons Global à 30 ans, ils passent de 4% à 10% (augmentation d’un point par an) et pour les bons Global à 12 ans, ils sont de 12%. Ces taux d’intérêts excessifs expliquent l’augmentation du service des bons dans les années suivant l’accord. Selon des calculs de Marco Flores cité par Alberto Acosta [9], le service des bons Global excède de 1,4 milliard de dollars celui prévu pour les bons Brady.
  • L’accord ne prévoit pas de clauses de contingence. Le FMI imposera même par la suite une clause de contingence à l’envers : Lucio Gutierrez (président de 2003 à 2005) s’est engagé en 2003 à réaliser les ajustements nécessaires en cas de baisse du prix du pétrole pour assurer le service de la dette.
    Les avantages concédés sont tels que l’on est en droit de se demander si deux parties étaient bien présentes lors des négociations : il semble en effet que l’Etat équatorien, suivant les intérêts de l’élite économique et politique locale, a accepté sans sourciller les conditions des créanciers. Comme le souligne Wilma Salgado [10], le secteur financier local est lié aux créanciers extérieurs, à travers la possession d’un grand nombre de titres de la dette externe. Ceci explique que personne ne défende l’intérêt de l’Etat débiteur, c’est-à-dire l’intérêt de l’ensemble des Equatoriens. Celui-ci est toujours sacrifié et malgré les effets d’annonce, les négociations ne sont jamais miraculeuses, sauf peut-être pour les créanciers. Le même constat vaut pour les négociations avec le Club de Paris, comme nous allons le voir.

3. La restructuration de la dette bilatérale auprès du Club de Paris

L’Equateur a signé 8 accords avec le Club de Paris depuis 1983. Ces accords n’ont permis en rien de diminuer le stock de la dette bilatérale, qui est passé de 73, 3 millions de dollars à 1.338 millions de dollars en 2003, comme l’indique le tableau suivant.

Montants restructurés avec le Club de Paris (en millions de dollars) [11]
AccordsDate du PVCapitalIntérêtTotalSolde fin d’année du PV
Accord I 28/07/83 87.5 26.6 114.1 73.3
Accord II 24/04/85 319.9 ---- 319.9 345.5
Accord III 20/01/88 307.0 146.0 453.0 835.1
Accord IV 24/10/89 246.2 132.3 378.5 953.4
Accord V 20/01/92 205.1 135.5 340.6 1179.4
Accord VI 27/06/94 232.3 120.4 352.7 1302.9
Accord VII 15/08/00 521.6 349.3 861.9 1318.7
Accord VIII 13/06/03 79.1 ---- 79.1 1338.5

Les quatre premiers accords avec le Club de Paris ont suivi la procédure dite classique, c’est-à-dire que les dettes commerciales et les dettes concessionnelles (à taux inférieurs et liées à l’Aide Publique au Développement APD) ont été rééchelonnées à des taux conformes aux taux du marché. A partir de 1992, ce sont les termes de Houston, prévus pour les pays à revenus moyens faibles, qui s’appliquent. Dans ce schéma, la dette commerciale est rééchelonnée sur une durée de 15 ans (avec jusqu’à 8 ans de grâce) et la dette concessionnelle sur une durée de 20 ans (avec jusqu’à 10 ans de grâce). Il est important de rappeler que les négociations de l’Equateur avec le Club de Paris n’ont jamais donné lieu à des annulations, même partielles, de dettes. Les deux derniers accords prévoyaient par ailleurs la possibilité de convertir une partie de la dette, sur une base volontaire et bilatérale, en investissement productif, social ou environnemental. Il s’agit des « swaps », ou échanges de dettes, autre mécanisme utilisé dans les restructurations de dettes, qu’elles soient bilatérales ou commerciales. L’Equateur a utilisé pour la première fois ce mécanisme en 1987. Depuis lors jusqu’en 1998, l’Equateur a ainsi échangé 0,4% de sa dette totale à un coût moyen de 66%, alors que le prix du marché était de 30%, ce qui montre qu’une fois de plus ce sont les créanciers qui ont été les bénéficiaires de cet échange.
En juillet 2006, la dette de l’Equateur vis-à-vis du Club de Paris s’élevait à 980 millions de dollars, dont 139 millions de dollars de prêts concessionnels (11%) et 841 millions de dollars de prêts commerciaux.

La dette bilatérale par pays se décomposait comme suit en juillet 2006 (en millions de dollars) [12].
PaysContrats OriginauxClub de ParisTotalPourcentage
Corée 8.4 0.0 8.2 0.4
Colombie 5.6 0.0 5.6 0.3
Chine 8.4 0.0 8.4 0.4
Danemark 16.0 0.0 16.0 0.7
Belgique 16.4 0.0 16.4 0.7
Argentine 20.9 0.0 20.9 0.9
Canada 1.0 25.1 26.1 1.2
Norvège 0.0 35.3 35.3 1.6
Allemagne 16.8 40.8 57.6 2.6
Royaume-Uni 0.0 102.7 102.7 4.7
USA 57.0 61.8 118.8 5.4
France 85.9 99.8 185.7 8.4
Israël 0.0 183.6 183.6 8.3
Brésil 316.8 0.0 316.8 14.4
Italie 66.5 292.9 359.4 16.3
Japon 220.3 118.1 338.4 15.4
Espagne 381.9 20.1 402.0 18.3
Total dette bilatérale 1221.7 980.2 2201.9
Total dette publ. externe 10 371.2
% dette bilatérale/dette totale 21.2%

C . Annulations de dettes

1. L’initiative PPTE et l’Equateur

L’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) est née en 1996, puis a été révisée en 1999 (PPTE II) car trop peu de pays remplissaient les critères de l’initiative initiale. Elle permet un allégement de dette (afin de la rendre juste « soutenable »…) pour des pays très pauvres et très endettés qui ont satisfait aux conditions imposées par le FMI et la Banque mondiale, à savoir encore et toujours des réformes d’ajustement structurel dans la droite ligne de la logique promue depuis plus de 20 ans. La procédure d’acceptation est cependant très longue et les conditions sont nombreuses et lourdes. C’est pourquoi l’initiative a pris un retard considérable. Alors qu’elle devait prendre fin en 2000 pour la quarantaine de pays concernés, la date de fin a dû être repoussée à plusieurs reprises. À ce jour, 31 pays seulement ont atteint la fin de la première étape qui devait durer 3 ans, et 22 pays ont achevé l’initiative qui au total ne devait pas excéder 6 ans. De surcroît, plusieurs pays ayant appliqué à la lettre les recommandations du FMI et de la Banque mondiale ont toujours une dette jugée insoutenable, car les prévisions du FMI pour les années à venir se sont révélées erronées. Les multiples insuffisances de l’initiative PPTE ont rendu nécessaire de revoir cette copie désastreuse : c’était le but des décisions prises en 2005 au sommet du G8 de Gleneagles, qui défendent elles aussi l’intérêt des créanciers…
Pour bénéficier d’une assistance au titre de l’initiative PPTE, un pays doit remplir différentes conditions. Premièrement, il doit être admissible à la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). La FRPC permet d’octroyer des prêts à faibles coûts aux pays dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 895 dollars, c’est-à-dire les pays les plus pauvres de la planète. Deuxièmement, le pays doit faire face à une charge de la dette insupportable, hors du champ des mécanismes d’allégement de la dette traditionnellement disponibles. Pour être considérée comme insupportable, la dette doit s’élever à au moins une fois et demi le montant annuel des exportations. Troisièmement, le pays doit donner la preuve qu’il a engagé des réformes et mené une politique économique conforme aux ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale. Quatrièmement, il doit avoir formulé un Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) qui énumère les mesures d’austérité, les privatisations et autres mesures de dérégulation que le pays va s’appliquer à mettre en œuvre.
L’Equateur ne rentre pas dans les conditions de l’initiative PPTE pour deux raisons : son PNB par habitant est trop élevé (2 628 $) et le rapport entre sa dette publique et ses exportations n’est pas assez déséquilibré (environ 120 %).
Les coefficients de la dette par rapport au PIB, aux exportations et aux dépenses fiscales montrent clairement que la dette équatorienne ponctionne bien trop lourdement le budget national et est insoutenable selon les critères établis par les institutions de Bretton Woods. En effet, pour évaluer les PPTE, le FMI et la Banque mondiale ont établi certains coefficients minimums de soutenabilité de la dette. Celle-ci dépend de la capacité de paiement du service de la dette, qui est rapportée principalement aux exportations et aux recettes fiscales. Un pays pauvre avec un coefficient du service de la dette/exportations supérieur à 15% est considéré comme pouvant bénéficier d’un allégement sur une partie de sa dette. Bien que les coefficients de la dette équatorienne dépassent de beaucoup les valeurs établies par le FMI et la Banque mondiale, l’Equateur a été exclu de l’initiative PPTE II.
Pourtant, ces coefficients montrent une situation bien plus dégradée que celle de l’Allemagne dans les années 1950, qui avait obtenu une renégociation de sa dette le 27 février 1953. Les créanciers d’alors avaient accepté la proposition de l’Allemagne de fixer sa capacité de paiement à un montant équivalent à 3,9% de ses exportations [13]. Dans le cas le cas de l’Equateur, ce coefficient est supérieur à 30% des exportations.

Indicateurs de la dette externe pour les pays PPTE, l’Equateur et l’Allemagne
Coefficient année 2005Seuil PPTE IIDette publique totale de l’EquateurDette externeAllemagne 1953
Service dette/exportations 15 % 42% 96% 3.9%
Dette/exportations 150% 144% 171%
Dette/PIB 50% 40% 48% 21.21%
Dette/Rentrées fiscales 280% 255% 303%
Service dette/dépenses fiscales 22% 37% 24% 4.49%
Source : Jubilé Allemagne et Banque centrale européenne

Dans une économie dollarisée comme celle de l’Equateur, le service de la dette interne et externe dépend directement des exportations de biens et de services et des recettes fiscales. Par conséquent, il faut prendre en considération le montant total de la dette souveraine, à savoir la dette interne et la dette externe.

2. La décision du gouvernement norvégien en octobre 2006 : une reconnaissance inédite de la responsabilité d’un Etat créancier dans ses “mauvais prêts” (bad lendings)

A la fin des années 1970, l’industrie norvégienne de construction navale se porte mal. Les chantiers navals ne parviennent plus à trouver suffisamment de clients et un grand nombre d’emplois sont menacés. Afin de remédier à cette situation, le Gouvernement décide de mettre en place une « Campagne d’exportation de navires ». Il s’agit de fournir des prêts à des conditions intéressantes pour réaliser des projets de développement aux pays qui acceptent d’acheter des navires norvégiens. Le projet de Campagne d’exportation de navires est voté par le Parlement le 19 novembre 1976.
Entre 1976 et 1980, de nombreux prêts sont accordés de façon inconsidérée, sans égard pour la réalisation effective des projets prévus ni la capacité de remboursement des pays débiteurs. Sur les 36 projets conclus dans 21 pays, seulement 3 avaient été menés à bien en 1987 et seuls deux pays étaient parvenus à honorer leur dette [14].
L’un des pays qui ne sont pas parvenus à honorer leur dette est l’Equateur. L’entreprise étatique Flota Bananera Ecuatoriana (FBE) a acheté quatre navires à la Norvège entre 1978 et 1981 pour la somme de 56,9 millions de dollars. En 1985, la FBE fait faillite et c’est une autre entreprise étatique, Transnave, qui récupère les navires. La dette est alors divisée en deux. Une partie de 17,5 millions de dollars reste de la responsabilité de Transnave et de l’Etat équatorien, et une partie de 13,6 millions de dollars est renégociée au sein du Club de Paris. La première partie fut complètement remboursée, mais la seconde a crû de façon importante au cours des années qui ont suivi. En mars 2001, elle s’élevait à 49,6 millions de dollars, alors que le total des paiements effectués par la FBE, Transnave et le gouvernement s’élevait déjà à 51,9 millions de dollars.
Sous la pression des activistes pour l’annulation de la dette agissant tant en Norvège qu’en Equateur, le Parlement et le gouvernement norvégiens finissent par prendre conscience que de tels agissements étaient inadmissibles. Le 2 octobre 2006, le ministre du Développement international Erik Solheim reconnaît enfin la responsabilité partagée de son pays dans les échecs des projets d’aide au développement mis en œuvre dans le cadre de la Campagne d’exportation de navires. Il annonce par conséquent l’annulation de la dette qui en découle pour les pays qui sont encore débiteurs, tels que l’Equateur, dont la dette relative à la Campagne d’exportation de navires s’élève alors à 36 millions US$.
La Norvège est un pays qui montre l’exemple à la communauté internationale en matière d’aide au développement et de dette. Elle avait déjà par le passé mis en œuvre un certain nombre d’initiatives censées alléger le fardeau des pays pauvres [15]. Avec la déclaration du 2 octobre 2006, non seulement elle rend justice partiellement aux pays lésés mais elle lance surtout un débat d’envergure internationale sur la responsabilité des créanciers vis-à-vis des emprunteurs. En effet, cette annulation est complètement unilatérale et ne provient pas d’une négociation avec les autres créanciers au sein du Club de Paris ; elle montre donc qu’il est possible pour un créancier lorsqu’il en a la volonté de rompre avec l’esprit de corps de ses alter ego. Par ailleurs, la Norvège s’est engagée à ne pas comptabiliser cette annulation dans son aide publique au développement, contrairement à tant d’autres pays. Elle se montre favorable à une vision bilatérale de l’aide au développement, où tant le pays qui fournit l’aide que le pays qui en bénéficie possèdent des droits et des obligations. La Norvège fait enfin part de sa volonté qu’une institution soit mise en place au niveau international pour mettre en cause les dettes considérées comme illégitimes selon le critère de la responsabilité du prêteur.
Malgré tout, les pressions sur la Norvège furent énormes. Elle a pris soin d’annoncer que sa décision n’impliquait en rien le Club de Paris et qu’elle ne prendrait plus par la suite d’autres initiatives de ce genre de manière unilatérale. Conclusion : seul un fort mouvement populaire peut permettre de continuer sur cette voie. D’ailleurs, il est fondamental de mentionner que cette décision inédite du gouvernement norvégien est déjà le résultat d’une campagne de grande ampleur et de plusieurs années de la part de SLUG, la campagne norvégienne pour l’annulation de la dette ainsi que du Centre pour les droits economiques et sociaux (CDES) d’Equateur.

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Comité de lecture : Myriam Bourgy, Damien Millet et Renaud Vivien.

Traduction en espagnol par Claudio Guthmann, Víctor Isidro, Juan Antonio Julián, Griselda Piñero, Raúl Quiroz et Lucie Viteri.

Traduction en anglais par Elizabeth Anne, Vicki Briault, Judith Harris et Christine Pagnoulle.

Notes :

[1El Niño est un phénomène de dérèglement climatique, qui revient périodiquement et se caractérise par une élévation anormale des températures de l’océan Pacifique. En 1997-98, le phénomène, d’une ampleur sans précédent, a provoqué de fortes pluies en Equateur, causant des dégâts matériels importants qui ont sévèrement et durablement touché la capacité productive du pays.

[4Hugo Arias Palacios, Impacto económico, social y ambiental de la deuda soberana del Ecuador y estrategias de desendeudamiento, p.23. CEIDEX, Tercer volumen

[5Le taux LIBOR (London InterBank Offered Rate)est un taux de référence du marché monétaire pour les prêts interbancaires. Il s’agit du taux auquel les grandes banques londoniennes prêtent aux autres banques

[6Alberto Acosta, op. Cit.

[9Alberto Acosta, « Al servicio de la deuda, en contra del país », 11/02/2005

[10Wilma Salgado, Acerca de la crisis financiera en el Ecuador, p.6, CEIDEX, Quinto volumen

[11Tableau tiré de Hugo Arias Palacios « Impacto económico social y ambiental de la deuda de Ecuador y estrategias de desendeudamiento, CEIDEX, 3e volume, p45.

[12Idem p.42

[13Voir Eric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’Etat permanent. L’agenda caché du Consensus de Washington, CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2006, chapitre 4

[14Chiffres cités par Kjetil G. Abildsnes dans « Why Norway took Creditor Responsibility – the case of the Ship Export campaign ».

Virginie de Romanet

est membre du CADTM Belgique

Benoît Bouchat
Stéphanie Jacquemont