A. L’identification de la dette illégitime de l’Equateur comme prélude à une politique souveraine
B. Le droit des pouvoirs publics de déterminer l’illégitimité de la dette
C. Banque mondiale et FMI : juridiquement responsables !
D. Actions des créanciers du Nord
E. Actions des Nations Unies
F. Alternatives portées par des mouvements sociaux et certains gouvernements latino-américains contre la dette
Retour à la table des matières
L’objet de cette analyse a été d’une part de retracer l’histoire politique, économique et financière de l’Equateur qui a mené à la situation actuelle d’endettement, et d’autre part de mettre en évidence le caractère illégitime de la dette. La dette, en Équateur comme dans la majorité des pays endettés du tiers-monde, est un des instruments majeurs d’oppression et de domination politique, économique et sociale, un instrument de pouvoir qui contribue à assurer et à perpétuer l’appropriation des ressources naturelles et le transfert des richesses des peuples du Sud vers leurs riches créanciers, les élites du Sud prélevant leur commission au passage. L’Equateur fait partie de ces nombreux pays qui ont remboursé plusieurs fois des dettes qui n’ont pas été contractées dans l’intérêt de la nation et des populations. Les prêts contractés par l’Equateur ont, en réalité, profité aux créanciers du Nord, aux multinationales, aux financiers spéculateurs et aux classes dominantes locales.
Les différentes étapes de l’évolution de l’endettement témoignent de l’illégitimité des dettes dont l’Equateur est supposé s’acquitter. Sont illégitimes : les dettes contractées par les dictatures militaires au cours des années 1970 et qui n’ont cessé de gonfler sous les gouvernements qui lui ont succédé ; les dettes pour financer des projets n’ayant pas bénéficié aux populations ou pour des projets qui se sont avérés destructeurs pour les populations ou l’environnement ; les dettes contractées au moyen de la corruption ; les dettes contractées à des taux d’intérêts usuraires ; les dettes privées converties en dettes publiques ; les dettes liées à des conditionnalités imposées par le FMI et la Banque mondiale au mépris de la souveraineté de l’Equateur, du droit à l’autodétermination, qui violent le droit des peuples à définir leur politique de développement commerciale, fiscale, budgétaire, énergétique, leur législation du travail, qui obligent à procéder à des réductions drastiques des dépenses sociales et à la privatisation des secteurs stratégiques, etc.
Autant de dettes illégitimes que l’Etat équatorien doit refuser de rembourser.
Nous l’avons vu, le coût humain de la dette, et par extension du système néolibéral, est un fardeau pour un nombre croissant d’Equatoriens qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer toujours davantage sous l’effet conjugué du remboursement de la dette et des politiques néolibérales contraires à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux.
Il est vain d’attendre de la logique capitaliste qu’elle satisfasse les besoins fondamentaux de la population mondiale. On ne peut pas non plus prétendre au développement sans obtenir l’annulation de la dette ainsi que l’abandon des politiques néolibérales. Le problème lié à la dette sera résolu quand les gouvernements du Sud prendront la décision d’y mettre un terme eux-mêmes (dans le contexte actuel, on peut difficilement s’attendre à ce que les créanciers décident d’annuler la dette, dans sa totalité et sans conditions !) en mettant en place un ensemble de mesures économiques, politiques et sociales qui libèreront le développement humain. La répudiation des dettes illégitimes est une mesure nécessaire même si elle est insuffisante. Comment arriver à cette répudiation de la dette ? Un audit pourrait tout à fait légitimer un refus de paiement en tant que décision unilatérale souveraine. Il s’agit, dans un premier temps, de mettre fin à l’hémorragie financière que constitue le remboursement de la dette. Il est ensuite nécessaire de trouver des sources alternatives de financement pour un développement humain socialement juste et écologiquement soutenable, et de rompre avec la logique menant au pillage massif des ressources financières et naturelles, à la dépendance envers les capitaux étrangers et aux prêts conditionnés des institutions financières internationales. Il convient enfin de substituer à ce système néolibéral injuste un modèle de développement juste et équitable, répondant aux aspirations des peuples.
L’Equateur donne des signes encourageants, permettant de penser qu’il est en train de s’engager sur cette voie. Car en plus d’être un pays étranglé par les remboursements comme tant d’autres, l’Equateur semble être un des rares pays à témoigner également d’une autre réalité : celle d’un gouvernement qui entend mettre un terme à l’hémorragie de la dette dans l’intérêt de son peuple.
L’audit non exhaustif mené par la CEIDEX est poursuivi par le gouvernement de Rafael Correa qui souhaite pousser beaucoup plus loin les recherches et prendre, sur la base de celles-ci, des décisions fortes qui frappent à la racine du mal. Cet audit de la CEIDEX a déjà largement mis en évidence le caractère frauduleux, illégal et illégitime des dettes et des accords de prêts. Du fait des conséquences sociales, économiques et environnementales provoquées par la dette, celle-ci doit être répudiée dans sa totalité.
Au-delà, le rôle des créanciers doit être mis à jour. Du fait du pillage des ressources et de la destruction de l’environnement, facilités par les politiques imposées par les institutions financières internationales, les créanciers ont une responsabilité dans le blocage du développement humain en Equateur. De ce fait, ils ont une dette considérable vis-à-vis du peuple équatorien. La question des réparations doit être posée.
Du 25 au 28 avril 2007, la dette illégitime de l’Equateur était au cœur des débats lors du Séminaire international sur la dette illégitime, tenu à Quito. Les intervenants se sont mis d’accord sur l’illégitimité de la dette et ont encouragé des actions de répudiation.
En 1986, la Déclaration de Nations unies sur le droit au développement est venue renforcer l’obligation des Etats en matière de développement et dispose que : « Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent [1] ».
Par conséquent, l’Equateur a le droit - et même le devoir ! - de ne pas appliquer les programmes d’ajustement structurel conçus par la Banque mondiale et le FMI, qui constituent des violations du droit des peuples au développement et, plus globalement, des droits économiques et sociaux.
Rafael Correa a assuré que « nous sommes partie prenante du socialisme du XXIe siècle qui cherche la justice sociale, la souveraineté nationale, la défense des ressources naturelles et une intégration régionale qui repose sur une logique de coordination, de coopération et de complémentarité » [2].
Le processus de transformation profonde vers ce « socialisme du XXIe siècle » dont se réclame Rafael Correa n’est encore qu’à ses débuts. Il est difficile d’en prévoir l’issue, qui dépendra en grande partie du soutien populaire dont bénéficieront le président et son gouvernement, notamment pour déjouer les attaques incessantes de l’oligarchie nationale et du gouvernement des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, l’Equateur fournit l’exemple d’un gouvernement qui prend des décisions souveraines en matière d’endettement, notamment celle de procéder à un audit pour révéler la part illégitime de la dette, premier pas vers son annulation totale. Espérons que d’autres gouvernements du Sud suivent ses traces et que des audits soient mis en route dans d’autres pays pour que la lumière soit enfin faite sur la dette !
Selon les défenseurs de la mondialisation néolibérale, les pays en développement sont tenus de rembourser leur dette extérieure, quelles que soient son origine et les conditions de son remboursement. Sur ce point, la Commission de droit international de l’ONU a déclaré à juste titre : « On ne peut attendre d’un Etat qu’il ferme ses écoles, ses universités et ses tribunaux, qu’il supprime les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie simplement pour ainsi disposer de l’argent afin de rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat, de la même façon que d’un individu.... » [3] .
Selon le droit international, aucun gouvernement ne peut être obligé de payer une dette qui serait illicite. La détermination du caractère illicite de la dette externe relève de la compétence des pouvoirs publics, qui sont en droit de mener un audit de la dette publique. Cela implique qu’avant même de rembourser la dette, le gouvernement et les citoyens ont le droit de s’interroger sur ses origines, sur les modalités d’emprunt, sur les montant contractés, sur les conditions légales de la dette, sur son illégitimité, sur les conséquences sociales et environnementales provoquées par le remboursement et par les politiques imposées par les créanciers. Plusieurs gouvernements se sont déjà saisis de cet outil [4].
De la même manière, quand un gouvernement se refuse à procéder à un audit, il appartient aux populations d’exiger de leur gouvernement qu’il rende des comptes. L’audit citoyen est un droit fondamental inscrit dans les textes majeurs de droit international. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose que : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants. [5] »
Concernant le droit à l’information, l’article 19 du Pacte sur les droits civils et politiques de 1966 dispose que : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ».
La population d’un pays est donc en droit de mener un audit sur la dette contractée par son État.
Le processus d’audit se met donc en place en Équateur pour parvenir à l’annulation de la dette : la nouvelle commission d’audit s’attachera à identifier la part de la dette publique, tant interne qu’externe, qui peut donner lieu à une répudiation ou une annulation, et à déterminer le degré de responsabilité des pouvoirs publics et des créanciers, tant privé (banques) que publics (FMI, BM), dans le processus d’endettement du pays. Au-delà de la détermination du caractère illégitime de la dette, il faudra que les différents responsables rendent comptes de leurs actes, et que la question des réparations et de la restitution des biens mal acquis soit réglée. La réalisation d’un audit de la dette doit s’accompagner d’un combat contre l’impunité des responsables du sous-développement et contre ces véritables criminels que sont la Banque mondiale et le FMI, dont les politiques particulièrement brutales entraînent la violation des droits humains, fait spécialement souligné au sein même de la Commission des droits de l’homme de l’ONU [6].
Les plans d’ajustements structurels cyniquement mis en œuvre via la dette par le FMI et la Banque mondiale pour assurer le remboursement d’une dette injuste, illégitime et immorale, constituent les principales causes de subordination et de blocage du développement socio-économique, politique et culturel de l’Equateur. L’imposition par les institutions financières internationales de conditionnalités drastiques s’est faite au mépris de la souveraineté du pays et des aspirations des peuples. En Equateur, comme partout ailleurs, les institutions financières internationales portent une lourde responsabilité dans l’endettement et le drame que celui-ci occasionne aux populations.
En dépit des preuves avérées de l’aggravation des inégalités et de la corruption, de la dégradation des systèmes de santé, d’éducation, de la perte de la souveraineté alimentaire, de la destruction de l’environnement et de la dépossession des entreprises d’Etat causées par leurs politiques, ces institutions persistent à légitimer leur rôle en prétendant que les mesures qu’elles imposent visent à favoriser la croissance et le libre-échange, ce qui impliquera selon elles la réduction de la pauvreté. Plusieurs décennies d’expérience ont montré qu’un tel modèle de développement est totalement inadapté et, au contraire, générateur de pauvreté. L’obstination du FMI et de la Banque mondiale à le maintenir coûte que coûte se comprend mieux lorsque l’on sait que leur véritable objectif est de servir les intérêts géostratégiques des États-Unis, de ses multinationales et de ses alliés, pour qui les pays en développement représentent un marché de matières premières acquises à vil prix et un réservoir de main d’œuvre corvéable à merci. Cela se vérifie en Equateur comme ailleurs.
On retiendra particulièrement les propos de Fantu Cheru de la Commission des Droits de l’Homme : « En réalité, ces institutions et les programmes qu’elles mettent en place constituent l’expression d’un projet politique, d’une stratégie délibérée de transformation sociale à l’échelle mondiale, dont l’objectif principal est de faire de la planète un champ d’action où les sociétés transnationales pourront opérer en toute sécurité. Bref, les programmes d’ajustement structurel (PAS) jouent le rôle d’une « courroie de transmission » pour faciliter le processus de la mondialisation qui passe par la libéralisation, la déréglementation et la réduction du rôle de l’Etat dans le développement national. […] Somme toute, elles font partie de la contre-révolution néolibérale ».
On est bien loin de leur objectif prétendu de lutte contre la pauvreté.
Cette étude a mentionné l’impact largement négatif qu’occasionnent le remboursement de la dette et les politiques néolibérales, rendant de fait le paiement des dettes de l’Equateur illégitime, injuste et immoral. Les politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale ont clairement abouti à des violations graves des droits humains et des droits économiques, sociaux et culturels. Ces politiques constituent une ingérence flagrante dans les affaires politiques de l’Etat, violant ainsi l’article 2 paragraphe 1 de la Charte de l’ONU de 1945 qui pose le principe de l’égalité souveraine des Etats et le droit de décider librement de leur régimes économiques, sociaux et politiques. Violant le droit au développement des peuples, droit qui a été affirmé par le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en même temps que celui relatif aux droits civils et politiques par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966. Ces Pactes, entrés en vigueur en 1976, énoncent au paragraphe 1er de l’article 1er : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».
La responsabilité pénale de ces institutions est clairement engagée. Dès lors, une seule issue devient envisageable : étant donné le déficit démocratique de la Banque mondiale et du FMI [7], leur absence de légitimité, leur incapacité à remettre en question le concept de développement qu’ils défendent, leur responsabilité directe dans la situation de sous-développement, il n’y a aucun espoir de parvenir à les réformer de manière satisfaisante. L’urgence est à l’abolition de ces institutions et à leur remplacement par des institutions démocratiques et transparentes, axées sur la garantie des droits humains fondamentaux et le respect de la souveraineté des pays du Sud. Il faut par ailleurs exiger la reconnaissance d’une dette historique, sociale, politique et écologique dont elles sont redevables à l’égard des pays du Sud. Cela doit faire l’objet de réparations et de restitutions. Dans ce but, une action en justice doit être intentée contre la Banque mondiale qui, à la différence du FMI, ne bénéficie pas d’immunité juridique [8].
L’absence d’immunité de la Banque ne s’explique pas par une exigence de justice mais cela ouvre néanmoins une brèche intéressante à exploiter dans la centaine de pays où la Banque dispose d’une représentation. En dépit du fait qu’une telle action n’ait jamais eu lieu, elle est tout à fait logique lorsque l’on pense aux violations multiples des droits humains causées par l’action de la Banque mondiale, par son soutien à de très nombreuses dictatures, par sa déstabilisation systématique de régimes progressistes, par l’imposition de plans d’ajustement structurel qui ont causé aux populations du Sud des dommages sans équivalent tant du point de vue social qu’environnemental.
Rafael Correa, qui n’exclut pas cette perspective contre la Banque mondiale pour son action en Equateur, ouvrirait très certainement une voie très importante qui pourrait servir à d’autres leaders politiques voulant rompre avec ce système de domination et solder la dette sociale de leurs peuples.
A la fin 2006, le gouvernement norvégien a ouvert une voie sur la dette illégitime dans laquelle il faut s’engouffrer. La résolution du 27 mars 2007 du Sénat belge sur l’annulation de la dette des pays en développement constitue une autre piste intéressante. Cette résolution, adoptée le 29 mars 2007 par le Sénat belge par une majorité de 34 voix pour et 29 contre, constitue une avancée pour plusieurs raisons.
Elle demande au gouvernement belge de passer un contrat avec tous les pays endettés concernés afin d’annuler totalement leur dette. Jusque là, la proposition du Sénat ne va pas au-delà de la démarche d’autres gouvernements. Mais, heureusement, le Sénat innove dans plusieurs domaines très importants :
Or, la valeur réelle ne représente bien souvent pratiquement rien en comparaison de la valeur nominale. (Par exemple 4% de la valeur nominale dans le cas de dettes contractées par le gouvernement de Mobutu au nom du Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo) ;
Des actions gouvernementales en faveur de l’annulation de la dette, de la reconnaissance de son caractère illégitime et de l’application effective des droits humains et du droit au développement dépendent de la volonté politique, pour l’instant largement absente. Des changements dans ce sens ne seront possibles que par une large prise de conscience, par les citoyens du Nord, des méfaits de la politique de leur pays en matière de dette et de relations économiques, commerciales et politiques. Cette prise de conscience devra ensuite conduire à des mobilisations citoyennes puissantes au Nord pour faire pression sur leur gouvernement.
Depuis les années 1980, l’ONU s’est à plusieurs reprises prononcée sur les effets pervers du mécanisme d’endettement et sur les politiques dictées par les institutions financières internationales. Elle a tenté, via l’adoption de plusieurs résolutions, d’apporter des solutions durables à la problématique de la dette qui frappe les pays en développement [9]. L’Assemblée générale de l’ONU a constaté à plusieurs reprises que le remboursement de la dette constitue « un obstacle à la croissance économique et au développement des PED [10] ». En effet, celle-ci a constaté que : « le remboursement de la dette exige des sacrifices aux populations des PED ce qui a eu comme effet la dégradation et la détérioration de la situation économique et sociale de ces pays » [11]. La Commission des droits de l’homme de l’ONU a notamment écrit « que les politiques d’ajustement structurel ont de graves conséquences pour la capacité des pays en développement de se conformer à la Déclaration sur le droit au développement et d’établir une politique nationale de développement qui vise à améliorer les droits économiques, sociaux et culturels de leurs citoyens ; Souligne également qu’il importe de continuer à prendre d’urgence, dans le cadre de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, des mesures efficaces et durables pour alléger la charge de la dette et du service de celle-ci, qui pèse sur les pays en développement en proie à des problèmes de dette extérieure [12] » .
Mais en général, le traitement de la question de la dette et des mesures prônées par les institutions financières internationales au sein de l’ONU s’est avéré très décevant. Bien qu’adoptant des positions critiques à l’égard du FMI et de la Banque mondiale, l’ONU n’a jamais pris des décisions fondamentales pour mettre un terme à leurs activités violant les droits humains tels qu’il sont définis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et dans divers pactes et traités internationaux, comme le Pacte sur les Droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Il convient de rappeler qu’en tant qu’institutions spécialisées des Nations unies, le FMI et la Banque mondiale sont tenus de respecter les obligations contenues dans Charte des Nations unies, incluant l’obligation de respecter les droits humains.
En ce sens, l’ONU a donc une part de responsabilité. Elle devrait prendre des mesures pour mettre un terme aux politiques prônées par ces institutions, contraires à sa Charte, et remettre en question la légitimité de la poursuite de leurs activités. Elle devrait prendre des résolutions pour exiger l’annulation de la dette, et mettre au centre de ses revendications la nullité des dettes, en se basant sur la doctrine de la dette odieuse. Elle devrait soutenir les initiatives d’audit de la dette, sanctionner le FMI et la Banque mondiale pour leurs violations graves du droit international et s’engager véritablement pour créer les conditions d’un développement durable et juste, qui respecte l’autodétermination et la souveraineté des pays et des populations du Sud.
Les populations d’Amérique latine sont sans nul doute parmi les plus conscientes des méfaits des politiques néolibérales, en étant parmi les premières à se révolter avec force contre celles-ci, avec, dans la plupart des pays, des mots d’ordre récurrents contre l’ingérence des institutions financières internationales, contre l’impérialisme américain, contre le traité de libre échange, etc.
En matière d’endettement, de nombreuses organisations de la société civile (notamment le réseau Jubilé Sud, présent dans de nombreux pays d’Amérique latine) se sont saisies de la problématique de la dette et réclament inlassablement depuis plusieurs années son annulation, la répudiation des dettes odieuses et illégitimes, la réalisation d’audits de la dette. Sur le terrain de la lutte contre la dette, l’Amérique latine se démarque par un dynamisme que l’on ne retrouve malheureusement pas avec la même force sur les autres continents. Plusieurs audits citoyens ou organisés par les pouvoirs publics ont été menés [13]. Les mouvements sociaux ont également impulsé l’initiative originale des tribunaux populaires sur la dette [14].
De puissantes protestations et mobilisations populaires ont transformé le paysage politique du continent : les élections de ces dernières années ont vu l’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche, de diverses tendances, modifiant ainsi l’état des rapports de forces. L’élection de Hugo Chávez en 1998 et sa réélection récente, l’élection de Evo Morales en Bolivie, de Rafael Correa en Équateur, de Lula au Brésil, de Tabaré Vásquez en Uruguay, de Nestor Kirchner en Argentine, de Daniel Ortega au Nicaragua en sont des exemples. Parmi ces gouvernements, certains, comme le Venezuela, la Bolivie, et l’Equateur, expriment un rejet des politiques prônées par la Banque mondiale et le FMI et tentent dans les faits d’appliquer réellement des politiques qui vont au-delà du système dominant.
La création de la Banque du Sud, projetée pour la fin 2007 et à laquelle sept pays latino-américains sont pour l’instant partie prenante, est un projet majeur de cette contre-tendance, en tant qu’alternative à la Banque mondiale et au FMI.
Avec ce virage à gauche régional, les notions centrales de la souveraineté et de l’autodétermination reviennent en force, notamment via la réinstauration du contrôle public sur les ressources naturelles et d’autres secteurs clé de l’économie (Venezuela, Bolivie, Equateur), en menant une politique redistributive, en replaçant l’État dans son rôle de régulateur social. Renationalisation des ressources naturelles par la Bolivie ; au Venezuela, prise de contrôle des entreprises publiques pétrolières comme PDVSA (Pétrole du Venezuela SA) en 2002-2003, renationalisation de la CANTV et renationalisation du secteur de l’électricité ; l’Equateur a plus récemment annulé le contrat d’exploitation pétrolière avec la compagnie américaine Occidental Petroleum (Oxy). On pourrait trouver d’autres exemples au niveau régional.
Revenons à l’Equateur : en appui et soutien au processus d’audit, et pour aider à déterminer rapidement la part de la dette qui est illégitime, une commission d’audit des créances belges envers l’Equateur est en voie de création en Belgique à l’initiative conjointe du CADTM et d’autres organisations travaillant sur la problématique de l’endettement et des institutions financières internationales telles que Eurodad et le CNCD-11.11.11 (Centre national de coopération au développement, plateforme francophone des ONG belges de développement, et 11.11.11 son pendant du côté néerlandophone). La campagne norvégienne pour l’annulation de la dette a obtenu les résultats remarquables déjà mentionnés. La campagne Quien debe a quien ? (Who owes Who ?) et l’Observatoire de la dette dans la globalisation (ODG) en Espagne ont également commencé à entreprendre une action importante en ce qui concerne les créances injustement réclamées par les autorités de leur pays à l’égard de l’Equateur. Les campagnes Dette à travers le monde sont appelées à engager un processus similaire d’audit des créances de leurs pays respectifs à l’égard de l’Equateur afin de vérifier leur légitimité.
Il faut également créer des commissions d’audit sur les créances réclamées par les gouvernements du Nord à l’égard des autres PED car le temps presse.
L’Equateur, tout comme les autres pays en développement, est bel et bien à la croisée des chemins.
Ce travail collectif a été réalisé par le CADTM en Juillet 2007, à la demande de AFRODAD. Les auteurs sont Benoît Bouchat, Virginie de Romanet, Stéphanie Jacquemont, Cécile Lamarque et Éric Toussaint.
Comité de lecture : Myriam Bourgy, Damien Millet et Renaud Vivien.
Traduction en espagnol par Claudio Guthmann, Víctor Isidro, Juan Antonio Julián, Griselda Piñero, Raúl Quiroz et Lucie Viteri.
Traduction en anglais par Elizabeth Anne, Vicki Briault, Judith Harris et Christine Pagnoulle.
[1] Alinea 3 - article 2
[2] Eduardo Tamayo, “Consulta popular se perfila como salida a la crisis”, 23 mars 2007, sur http://www.alainet.org
[3] Annuaire de la Commission de Droit International de l’ONU, vol.II, 1980, p.164-165, cité par Hugo Ruiz Diaz.
[4] Voir à cet égard, Hugo Ruiz Diaz, Eric Toussaint, Donde esta lo que prestaron ? Deuda externa, deudas ilegitimas y auditoria, Centro de Derechos economicos y sociales, Quito, 2004.
[5] Article 21
[6] ONU-CDH, Effets des politiques d’ajustement structurel et de la dette extérieure sur la jouissance effective de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels. Egalement, Résolution de la Commission des droits de l’homme 2001/27, ONU-CDH, Effets des politiques d’ajustement structurel sur la jouissance effective des droits de l’homme, Rapport de l’expert indépendant, M. Fantu Cheru, présenté conformément aux décisions 1998/102 et 1997/103 de la Commission, E/CN.4/1999/50 24 février 1999, ONU-CDH, Rapport commun du Rapporteur spécial Ronaldo Figueredo et l’expert indépendant, Effets des programmes d’ajustement structurel sur la jouissance des droits de l’homme, Fantu Cheru, E/CN.4/2000/51, 14 janvier 2000.
[7] En effet, contrairement à l’Assemblée générale des Nations unies basée sur le principe « un Etat, une voix », la Banque mondiale et le FMI, pourtant institutions spécialisées du système des Nations unies, fonctionnent sur la base du principe « 1$=1 voix ». Ce sont donc les pays du Nord qui contrôlent ces deux institutions dans lesquelles les Etats-Unis jouissent d’un privilège tout à fait incroyable sous la forme d’un droit de veto de facto en détenant plus de 16% des voix alors que toute modification importante dans leur fonctionnement demande 85% des voix. Il faut également mentionner que le président de la Banque mondiale est toujours un citoyen américain choisi par le gouvernement des Etats-Unis et le directeur du FMI un ressortissant de l’Union européenne. Cette règle bien que non écrite n’a jamais, depuis la création de ces deux institutions en 1944, connu d’exception.
[8] Etant donné que la Banque mondiale emprunte sur les marchés financiers et auprès de banques, elle se devait de leur donner des garanties qu’ils pourraient la poursuivre si la Banque mondiale ne les remboursait pas. Section 3 de l’article VII : « La Banque ne peut être poursuivie que devant un tribunal ayant juridiction d’un Etat membre, où elle possède un bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou notification de sommations ou a émis ou garanti des titres » Voir Eric Toussaint, Banque mondiale, Le Coup d’Etat permanent, 2006, chapitre 23.
[9] Pour une information pus complète sur l’action des nations Unies, se reporter au texte de Hugo Ruiz Diaz, Le traitement de la dette par l’ONU, 29 septembre 2004, disponible sur le site du CADTM,
[10] Résolut.49/94, 51/164, 55/14, 56/184, 57/240
[11] Résol. 54/202.
[12] Effets des politiques d’ajustement économique et de la dette extérieure sur la jouissance effective de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels, Résolution de la Commission des droits de l’homme 2000/82.
[13] Menons l’enquête sur la dette ! Manuel pour des audits de la dette du Tiers monde ; CETIM/CADTM ; Genève, Liège ; 2006 chapitre 2 pages 17 et suivantes.
Lets launch an inquiry into the debt ! A manual on how to organise Audits on Third World Debts ; CETIM/CADTM ; Geneva, Liège ; chapter 2 pages 17 and next ones
¡Investiguemos ! la deuda. Manual para realizar auditorías de la deuda del Tercer mundo ; CETIM/CADTM ; Ginebra, Lieja ; cápitulo 2 páginas 17 y siguientes.
[14] Idem