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Lettre ouverte aux sénateurs et aux intervenants
Denis Sassou Nguesso au Sénat à l’occasion du 5e forum du développement durable les 6 et 7 décembre 2007
6 décembre 2007

Madame, Monsieur,

Les 6 et 7 décembre prochains se tiendra, au Sénat, le 5e forum du développement
durable dont l’intitulé est : « Un monde imprévisible ». Nous, associations françaises de
solidarité internationale soussignées, sommes extrêmement choquées de noter, parmi un
ensemble d’intervenants prestigieux, la présence lors de la séance d’ouverture, de Denis
Sassou Nguesso, Président de la République du Congo.
Force est de constater hélas, qu’après 25 années de pouvoir exercé sans partage, l’avenir
du Congo sous la présidence de Denis Sassou Nguesso n’est que trop prévisible. Il nous
paraît utile de vous rappeler quelques données très simples concernant ce pays :

- un endettement record [1] en dépit d’importantes ressources pétrolières (le Congo est le
quatrième producteur d’Afrique sub-saharienne), qui ont fait l’objet de détournements
massifs dénoncés par le FMI et de ventes gagées par anticipation pour des projets
d’investissements fictifs et ce, dans le mépris total des générations futures ;

- un niveau de pauvreté extrême (70% de la population vivant en-dessous du seuil de
pauvreté) contrastant avec le train de vie de Denis Sassou Nguesso et de ses
proches, dont la presse internationale souligne régulièrement les extravagances. Le
parquet de Paris a, du reste, jugé recevable en juin dernier une plainte pour « recel
de détournement de fonds publics » concernant les propriétés immobilières détenues
en France par le Président Sassou Nguesso ;

- une corruption endémique qui touche tous les niveaux du pouvoir, dénoncée depuis
des années par les organisations de la société civile congolaises et internationales [2] ;

- un état de délabrement général des infrastructures du pays dont les populations sont
les premières victimes : un accès à l’eau potable très difficile, l’inexistence de
réseaux électriques dans les petites villes et dans les campagnes, des coupures de
courant quotidiennes dans les grandes agglomérations, un réseau routier hors
d’usage, des équipements de santé et éducatifs à l’abandon, des problèmes
d’hygiène et d’insalubrité récurrents entraînant des épidémies intermittentes de
choléra et de fièvre typhoïde, maladies pourtant considérées comme éradiquées ;

- l’exploitation opaque de la forêt équatoriale par des proches du Président ;

- une répression sournoise contre des militants des droits de l’Homme et de la
transparence dans la gestion des revenus pétroliers, et une insécurité générale
délibérément entretenue, maintenant les populations dans un climat de peur.

Plus grave encore que l’incompétence de Denis Sassou Nguesso en matière de
développement durable, c’est l’hommage ainsi rendu au responsable d’un régime criminel
qui nous révolte. En 1991, la conférence nationale souveraine du Congo-Brazzaville imputait
3 000 assassinats à la première dictature de Denis Sassou Nguesso, de 1979 à 1991.
Durant l’été 1997, puis en 1998-99, l’ancien dictateur revient et se maintient au pouvoir par
les armes, n’hésitant pas à lancer ses milices, qui auront recours au viol systématique contre
les civils. Le conflit fera plusieurs dizaines de milliers de morts en quelques mois. En juillet
2002, la Cour d’Appel de Paris a donné raison sur le fond à François-Xavier Verschave,
auteur de Noir Silence – Qui arrêtera la Françafrique ?, qui avait qualifié Denis Sassou
Nguesso de « dictateur », auteur de « crimes contre l’humanité » au Congo-Brazzaville [3].

En conséquence, nous considérons comme totalement indécente l’invitation faite à Denis
Sassou Nguesso de participer à ce forum, qui n’a en fait d’autre effet que de lui délivrer un
brevet d’honorabilité. Permettez-nous de vous interroger sur l’attitude qui eût été la vôtre si le
Sénat s’apprêtait à accueillir le chef de la junte birmane, Than Shwe.

Nous vous laissons juge de la façon dont vous estimerez devoir manifester votre réserve, ou
votre indignation, devant ce qu’il faut bien considérer comme une insulte aux peuples
africains et une provocation aux yeux de tous ceux qui s’efforcent de venir en aide à un pays comme le Congo.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’assurance de notre considération distinguée.


Signataires

Les Amis de la Terre
ATTAC - Groupe Afrique (Association pour la Taxation des Transactions pour l’Aide aux
Citoyens)
CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde)
CARE France
CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement)
CRID (Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement)
Fédération des Congolais de la Diaspora
Greenpeace
MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples)
Oxfam France / Agir Ici
Peuples Solidaires
Réseau Foi et Justice Europe - Afrique (antenne France)
Terre des Hommes France
Transparence Internationale France
Secours Catholique - Caritas France
Sherpa - Survie

Notes :

[1Le Congo est le pays le plus endetté au monde par tête d’habitant

[2Voir à cet égard les rapports édifiants de l’ONG britannique Global Witness (voir, par exemple, « République du
Congo : Bilan des reformes de transparence », déc. 2005).

[3Denis Sassou Nguesso avait intenté en 2000 un procès pour offense à chef d’État contre François-Xavier
Verschave, président de l’association Survie. En 2001, il a perdu en première instance, car le Tribunal a estimé
que le délit invoqué était contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme. En juillet 2002, la justice a
donné raison à l’auteur sur le fond.