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L’audit comme arme de destruction de la dette : Le CADTM en Afrique
9 janvier 2008

L’optimisme est actuellement au beau fixe concernant les perspectives de développement de l’Afrique. Certains analystes n’hésitent pas en effet à parler de « miracle économique » pour qualifier les performances de croissance enregistrées par le continent depuis 2000 : près de 5% par an en moyenne. Le FMI prévoit même une croissance économique de 6,1% pour 2007 et de 6,8% pour 2008 [1].

Un gros point noir cependant relativise l’optimisme généré par cette embellie économique : la croissance n’a pas amélioré le niveau de vie des populations africaines. Dans son rapport de 2005 sur l’état du développement humain, le PNUD note en effet que plus ) d’un tiers de la population d’Afrique subsaharienne, soit 240 millions de personnes, vit dans des pays dont l’IDH [2] a chuté.

Parmi les multiples facteurs expliquant la dégradation continue des conditions de vie en Afrique, le poids de la dette extérieure joue un rôle déterminant. En effet, selon la CNUCED, bien que l’Afrique subsaharienne ait reçu entre 1970 et 2002 quelques 294 milliards de dollars et qu’elle ait déjà remboursé près de 268 milliards de dollars en service de dette, elle reste encore débitrice de quelques 210 milliards de dollars [3]. Le constat est sans appel : il y a bien un transfert inverse de ressources en provenance du continent le plus pauvre du monde.

Ces chiffres démontrent à eux seuls l’échec de l’initiative d’allègement de la dette « Pays pauvres très endettés » (PPTE) lancée en 1996 et renforcée en 1999 par les pays industrialisés. Le G8 de Gleneagles de 2005 a tenté de répondre à ce fiasco par l’annonce en grande pompe de l’annulation « à 100% » de la dette multilatérale des pays ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE, soit maximum vingt-neuf pays pauvres très endettés (dix-huit au moment de la décision). Deux ans après le lancement de cette mesure – baptisée « initiative d’allègement de la dette multilatérale » (IADM) – le constat est amer : les 18 pays d’Afrique subsaharienne bénéficiaires de l’IADM devraient voir leur dette (contractée auprès du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement) réduite seulement de 64.4% en moyenne, au lieu des 100% promis par le G8 en 2005 [4]. En outre, cet allègement étalé sur une période de plus de quarante ans est offert sous conditions [5].

Mais le plus grave est que l’IADM continue à éluder l’importante charge politique qui sous-tend la question de la dette. Cette initiative masque en effet la co-responsabilité des créanciers dans le processus d’endettement des pays pauvres : bien que les prêts accordés par les gouvernements du Nord (avec l’accord des institutions financières internationales) aient souvent été motivés par des raisons géopolitiques et utilisés par des dictateurs à des fins personnelles, ils continuent à être remboursés par les gouvernements qui leur ont succédés.

C’est précisément pour dévoiler cette réalité que le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM) ainsi que d’autres organisations de la société civile défendent depuis plusieurs années l’idée d’un audit de la dette publique des pays en développement. Selon Hugo Ruiz Diaz et Eric Toussaint, « l’audit consiste à analyser chaque emprunt, à déterminer dans quelles circonstances il a été contracté, comment les fonds ont été utilisés, quels ont été les résultats obtenus et qui en a profité » [6]. Autrement dit, cet outil juridique permet d’identifier les responsabilités et de déceler les dettes odieuses, nulles ou illégales, ouvrant la voie à la répudiation de la dette et à la demande de réparation tant des organes étatiques qui ont agi en dehors de leurs compétences que des créanciers qui ont agi en connaissance de cause.

Le principe de l’audit a déjà fait l’objet d’applications concrètes au Brésil, en Argentine ainsi qu’au Pérou et, depuis 2 ans, la dynamique semble s’intensifier dans ce domaine. En effet, le 5 juillet 2007, le Président de l’Equateur, Raphael Correa, a signé un décret présidentiel instituant une Commission pour l’Audit Intégral du Crédit Public. Cette dernière, composée de représentants de l’Etat mais aussi d’organisations de la société civile équatorienne et internationale spécialisées dans le domaine de la dette (dont le CADTM), a un mandat d’un an pour identifier les dettes illégitimes qui pourraient faire l’objet ultérieurement d’une annulation. L’enjeu est particulièrement de taille pour ce pays qui, en 2005, consacrait plus de 40% de son budget au service de la dette alors que les dépenses de santé et d’éducation ne totalisaient que 15% du budget..

Il est également encourageant de constater qu’au Nord, certains pays commencent à reconnaître également leur responsabilité dans le processus d’endettement du tiers-monde. C’est le cas notamment du gouvernement norvégien qui, le 3 octobre 2006, a pris la décision d’annuler de façon unilatérale et inconditionnelle une partie de ses créances bilatérales considérées comme illégitimes envers 5 pays débiteurs (Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone). De même, le Sénat belge a adopté en mars 2007 une résolution demandant au gouvernement l’annulation de la dette des pays les moins avancés (PMA) ainsi que l’organisation d’un audit sur le caractère « odieux » des dettes des autres pays en développement [7].

Soucieux de capitaliser sur ces succès où la société civile a souvent joué un rôle déterminant, le CADTM a développé un programme – soutenu par le CNCD – de renforcement des capacités d’actions de ses partenaires d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest dans lequel la question de l’audit occupe une place centrale. A cet effet, un premier séminaire réunissant des mouvements sociaux d’Afrique centrale s’est tenu en République démocratique du Congo (RDC) du 23 au 24 novembre 2007. Il a été suivi d’une deuxième rencontre fin décembre, en Côte d’Ivoire, consacrée au réseau CADTM d’Afrique de l’ouest. Ces deux ateliers visaient essentiellement à jeter les bases d’un audit citoyen de la dette des pays des deux sous-régions. Comme le souligne le CADTM dans le document descriptif de son projet, ces audits citoyens ne sont pas une fin en soi mais doivent essentiellement servir d’outil pour faire pression et/ou aider les gouvernements d’Afrique centrale et d’Afrique de l’ouest à répudier leur dette, reprendre le contrôle sur leurs ressources naturelles et mettre en place toutes les initiatives visant à récupérer l’ensemble de biens mal acquis par les anciennes dictatures.

Il n’y a pas si longtemps ce programme aurait semblé trop ambitieux mais les récents développements dans le domaine de l’audit et de la co-responsabilité des créanciers dans l’endettement du tiers-monde laissent place à l’optimisme.


Source : CNCD

Notes :

[1Olivier Feiertag, « Le fric arrive en Afrique », Libération, 19 octobre 2007

[2L’indicateur de développement humain (IDH) est plus complet que l’indicateur de croissance parce qu’il mesure également la satisfaction de besoins sociaux fondamentaux des populations (niveau de santé et de l’éducation).

[3Ce chiffre inclut toute la dette extérieure de l’Afrique, pas seulement celle qui concerne les pouvoirs publics. On y trouve aussi la dette contractée par des entreprises privées et non garantie par l’Etat. Si l’on prend uniquement en compte la dette extérieure publique (c’est-à-dire contractée par les pouvoirs publics ou garantie par eux), il est intéressant de noter qu’elle a sensiblement progressé depuis 1980, passant de 45 milliards de dollars à 175 milliards en 2003, voir Millet, D., mars 2005, « La dette de l’Afrique aujourd’hui », http://www.cadtm.org/spip.php?article1261

[4Eurodad, 16/05/07, « Multilateral debt : one step forward, how many back ? Eurodad report on the G8 debt deal 2 years-on », http://www.eurodad.org/whatsnew/reports.aspx?id=1234

[5L’initiative repose en effet sur le principe selon lequel chaque dollar de dette annulé est compensé par une diminution d’autant de l’aide versée au pays bénéficiaire. Ce dollar d’aide n’est ensuite reversé au pays concerné que s’il remplit les conditions fixées par les institutions financières internationales, notamment les exigences matière de privatisation et de libéralisation.

[6Hugo Ruiz Diaz et Eric Toussaint, juillet 2004, « L’audit de la dette : un instrument dont les mouvements sociaux devraient se saisir », http://www.cadtm.org/spip.php?article731

[7On entendent par « dettes odieuses », des dettes contractées par un régime non démocratique, sans bénéfice pour les populations locales, le tout en connaissance de cause des créanciers.