Introduction. Quelques phrases sur le contexte à Cuba [1]. et dans la région.
Mi février 2008, Fidel Castro avait annoncé qu’il ne se présenterait pas aux élections générales qui se sont déroulées le 24 février. Son frère Raul Castro, qui depuis août 2006 exerçait les plus hautes responsabilités à la tête de l’Etat en remplacement de Fidel, a été élu président. Il s’est engagé en janvier 2008 à annoncer prochainement des changements importants dans la foulée d’une large consultation qui s’est déroulée à différents niveaux de la société cubaine (lieu de travail, quartier, parti) en 2007. Les Cubains sont donc dans l’attente de ces changements. Parmi les principales expectatives : la volonté de beaucoup de citoyens –en particulier ceux qui ont les revenus les plus bas- de voir mettre fin à la coexistence de deux monnaies et d’obtenir une amélioration du pouvoir d’achat ; la volonté que les medias s’ouvrent au débat et n’hésitent plus à montrer la réalité telle qu’elle est.
Au niveau du continent, depuis le 1er mars, la tension entre les gouvernements colombien, équatorien et vénézuélien a atteint un niveau extrême. Point de départ de cette tension : l’incursion brutale le 1er mars de l’armée colombienne en territoire équatorien afin d’assassiner le n°2 de la guérilla FARC et une vingtaine d’autres personnes parmi lesquelles des civils mexicains. Alvaro Uribe, le chef de l’Etat colombien a appliqué avec l’appui de Washington une stratégie utilisée par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens, au Liban et en Syrie. Facteur additionnel de la tension : le n°2 des FARC était en train de négocier la libération de nombreuses personnes détenues (dont Ingrid Betancourt) par la guérilla. Les négociations se déroulaient avec le concours des présidents équatorien, vénézuélien et français. Alvaro Uribe avait laissé entendre qu’il ne s’opposait pas à ces négociations. Mais en ordonnant l’assassinat le n°2 des FARC, Alvaro Uribe a voulu éviter la libération des personnes détenues par la guérilla car cette libération aurait éliminé un des arguments qui justifient sa politique militariste (32% du budget de l’Etat colombien sont destinés à la guerre). En plus, il veut éviter que si de nouvelles libérations interviennent, celles-ci puissent être mises au crédit des gouvernements de gauche en place à Caracas et à Quito. Enfin le Pentagone cherche à utiliser la Colombie pour déstabiliser Chavez et Correa. Selon différentes sources dignes de foi, le Pentagone a participé à l’opération réalisée en territoire équatorien par l’armée colombienne. Le président équatorien a immédiatement réagi en dénonçant cette politique. Il a exigé des excuses de la part d’Alvaro Uribe et une condamnation de son incursion en territoire équatorien par l’organisation des Etats américains (OEA, en font partie tous les Etats des Amériques sauf Cuba qui en a été exclu au début des années 1960 sur pression de Washington). Le 5 mars, une réunion d’urgence de l’OEA s’est tenue à Washington et la majorité des représentants des Etats américains a condamné l’action de la Colombie. Le vendredi 7 mars, s’est tenue une autre réunion d’urgence d’une majorité des chefs d’Etat latino-américains (donc sans les Etats-Unis et sans le Canada) à Saint Domingue. La réunion qui a duré 6 heures a été intégralement retransmise en direct par Telesur et Venezolana de télévision. A Saint Domingue, Rafael Correa a violemment réitiré ses accusations contre Alvaro Uribe qui pour se défendre avait affirmé dès le 3 mars que Correa et Chavez soutenaient les FARC (A. Uribe avait également déclaré qu’il traînerait H. Chavez devant la cour pénale internationale de La Haye pour génocide). Finalement, A. Uribe a présenté, la main sur le cœur, ses excuses, non sans affirmer que toute sa politique était dirigée vers la paix et la promotion des droits de l’homme. Alors qu’au cours de la réunion le ton a fortement monté, H. Chavez et le président dominicain ont réussi à faire baisser la tension au point que, de manière surréaliste, tous les chefs d’Etat ont terminé la réunion en se serrant la main. Cette conclusion provisoire a suscité un soulagement au sein de la majorité de la population de la région.
Alors que cette réunion des chefs d’Etat s’est terminée le 7 mars vers 17h dans la capitale de la république dominicaine, la délégation vénézuélienne avec à sa tête le ministre des Affaires extérieures Nicolas Maduro est arrivée vers 21h dans l’hôtel où je suis hébergé à La Havane. Est arrivée également à l’hôtel, la sénatrice colombienne Piedad Soledad (qui joue un rôle très actif dans la libération des otages et qui a assisté au sommet des présidents à l’invitation d’Hugo Chavez). François Houtart et moi avons eu l’occasion de discuter avec des membres de la délégation vénézuélienne. Ils nous ont expliqué qu’ils avaient fait le maximum pour éviter une poursuite de l’escalade avec la Colombie. Le plus important c’est que la Colombie a été condamnée et que A. Uribe a présenté des excuses. Bien sûr, sur le fond le conflit avec le régime en place à Bogota n’est pas réglé.
Pour revenir à ce qui se passe à Cuba, il faut signaler aussi que ces jours-ci, le Belge Louis Michel, commissaire européen, était en visite officielle à La Havane afin de tenter d’améliorer les relations entre Cuba et l’Union européenne [2]François Houtart a eu une discussion avec Louis Michel le 7 mars en début de soirée. Il faut savoir qu’en 2003, l’Union européenne a pris des sanctions contre Cuba suite à la condamnation d’opposants à de lourdes peines de prison. Depuis deux ou trois ans, l’application des sanctions est suspendue. Cuba demande la levée définitive mais plusieurs pays européens s’opposent à celle-ci. Cette situation mi-figue, mi-raisin se prolongera certainement car il faut l’unanimité des pays européens soit pour lever les sanctions soit pour les appliquer.
Compte-rendu de mes activités à La Havane
Pour la neuvième fois en 10 ans, je viens de participer à la rencontre internationale annuelle organisée par ANEC (Association nationale des économistes et comptables de Cuba) sur le thème « Globalisation et problèmes du développement ». Comme chaque année, le nombre de participants est impressionnant : 1325 personnes provenant de 55 pays, parmi lesquelles 821 Cubains et 504 étrangers. Principales délégations étrangères : Mexique avec 53 participants, Argentine avec 40, Equateur avec 37, Guatemala 35 et Venezuela 30.
La rencontre a commencé lundi 3 et s’est terminée le vendredi 7 mars tard dans la soirée.
Comme à chaque fois, le comité organisateur cubain a invité des conférenciers d’un très ample spectre politique : de la Banque mondiale et du FMI jusqu’au CADTM en passant par le Vatican (Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, évêque conseiller de l’Académie des Sciences du Vatican), par 2 « Nobel » d’économie (Robert Mundell qui a reçu de la Banque de Suède en 1999 ce qui est connu comme prix Nobel d’économie ; Eric Maskin qui a reçu ce prix en 2007) et deux ministres du gouvernement de Rafael Correa.
Par ce type d’invitation très large, le comité organisateur cubain veut montrer que Cuba est le lieu d’un ample débat idéologique.
Cette rencontre internationale ne constitue donc pas un lieu de mobilisations, c’est d’abord et surtout un lieu de confrontation d’idées et de propositions. Ceci dit, en marge de la réunion, a lieu toute une série de réunions qui débouchent sur des initiatives et des actions. Cela a été notamment le cas d’une réunion de l’Observatoire internationale de la dette.
Au cours de cette 10e rencontre internationale, mon programme a été très chargé. Le 2e jour, j’ai donné trois conférences. La première, à 11h30, était intitulée « Le monde à l’envers » [3] (il y avait 250 participants) ; la seconde, une heure plus tard, devant 300 personnes consistait en la présentation du livre « Banque mondiale : Le Coup d’Etat permanent » et la troisième, à 15h, était intitulée « Conjoncture économique dominée par l’explosion au Nord des bulles spéculatives de la dette privée et du secteur immobilier » [4] (450 participants). Le soir même, la télévision cubaine a donné un très large écho à mes interventions et, le lendemain, c’était le cas du quotidien officiel « Granma » ainsi que du quotidien « Globalizacion » daté du 5 mars[La première page était entièrement consacrée à ma conférence et à celle de Mark Weisbrot du Centre de recherches économiques et politique basé à Washington. Voir www.eleconomista.cubaweb.cu/globalizacion/2008/dia3_8/presagios.html]] spécialement édité à l’occasion de cette rencontre internationale. L’édition de la veille [5] comprenait un résumé de mon livre Banque mondiale. A signaler que le site cubain El Economista de Cuba reprend un nombre important des articles que j’ai écrits ces dernières années [6]. Voir aussi le site En défense de l’humanité [7] qui reprend une quinzaine de mes articles.
Le 3e jour, j’ai donné une conférence aux professeurs et aux étudiants de l’Institut des relations internationales, qui forme les futurs diplomates cubains (il y avait 90 participants). La conférence a porté sur la crise économique internationale, la Banque du Sud et les autres alternatives (audit de la dette, CIADI du Sud, etc.).
Le 4e jour, Telesur a enregistré une émission d’une heure qui a consisté en un débat entre Arturo Huerta, professeur d’économie à l’université de Mexico (UNAM) et moi sur le thème « Répercussions et alternatives en Amérique latine à la crise économique aux Etats-Unis ». Cette émission appelée « table ronde internationale » sera diffusée par Telesur [8] le jeudi 14 mars 2008 à 15h heure de Bruxelles-Paris (à confirmer [9]). L’émission table ronde internationale –« mesa redonda internacional »- est diffusée à plusieurs reprises.
Le 5e jour, a eu lieu une réunion de l’Observatoire internationale de la dette à l’initiative des organisations cubaines qui en sont membres (ANEC et CIEM –Centre d’étude de l’économie mondiale) [10] Au cours de la réunion, on a discuté des recherches sur le service de la dette intérieure publique en Amérique latine (afin de compléter les 7 ratios alternatifs qui sont présents sur le site de l’OID [11]) à charge de Victor Isidro ; des recherches sur les avoirs en liquide déposés à l’étranger par les institutions et les riches des pays d’Amérique latine à charge de Sébastien Dibling, d’Eric Toussaint et de Damien Millet ; des recherches sur la dette écologique auxquelles Giancarlo Delgado est prêt à apporter son concours. A noter que les organisations cubaines membres de l’OID ont organisé en février 2008 un séminaire d’une journée de l’OID (tous les exposés en espagnols se trouvent sur le site de l’OID [12]).
Le 6e jour (8 mars), a été l’occasion d’une réunion de bilan de la 10e rencontre qui s’est terminée le 7 mars en soirée.
Mes activités à La Havane en marge de la 10e rencontre sur la Globalisation et le Développement
Le 5 mars à l’heure du petit déjeuner, j’ai eu une réunion avec Pedro Paez, ministre équatorien de la coordination économique et responsable de la commission présidentielle sur la Banque du Sud. Nous avons discuté des obstacles au lancement pratique de la Banque du Sud et des initiatives à prendre dans la région par rapport au CIADI.
Le 5 mars en soirée, François Houtart, Atilio Boron, Theotonio dos Santos et moi avons eu une longue conversation avec Abel Prieto, ministre cubain de la culture, que je connais depuis 17 ans. La discussion a porté principalement sur la situation à Cuba de différents points de vue : culturel, social, économique et politique.
Le 5 mars, j’ai eu également une réunion avec Atilio Boron, ex secrétaire général de CLACSO et actuel responsable d’un programme universitaire latino-américain à distance auquel je participe en tant que professeur [13].
Le 6 mars, j’ai donné par téléphone une interview sur la Banque du sud à un journaliste du quotidien français L’Humanité.
Le 7 mars, à l’heure du petit-déjeuner j’ai été invité à une réunion de préparation du 10e Congrès des économistes d’Amérique latine et de la Caraïbe. François Houtart et moi sommes invités à faire partie du groupe de travail composé de 15 personnes chargé de rédiger une proposition pour repenser l’économie et le développement de l’Amérique latine et de la Caraïbe dans la perspective de 21e siècle. Le texte sera présenté au 10e Congrès qui se tiendra à Bogota du 2 au 5 septembre 2008.
Le 7 mars, j’ai eu une réunion avec Julio Gambina, dirigeant d’ATTAC Argentine qui a demandé son adhésion au réseau international CADTM. ATTAC Argentine participera à la prochaine réunion mondiale du réseau CADTM qui se tiendra en Belgique les 2 et 3 décembre 2008.
Le 7 mars, j’ai rencontré les représentants de l’Association bolivarienne des économistes marxistes du Venezuela qui souhaite collaborer avec le réseau CADTM.
Par ailleurs, j’ai eu un maximum de contacts avec différents citoyens cubains afin d’actualiser ma connaissance de la réalité présente à Cuba.
Prochain séjour à Cuba
L’Alliance sociale continentale m’a invité à animer un atelier sur la nouvelle architecture financière internationale qui aura lieu a La Havane du 9 au 11 avril 2008 dans le cadre de sa 7e rencontre continentale. Sont attendus 500 délégués de nombreux mouvements sociaux des Amériques.
[1] L’auteur a effectué plus de vingt voyages à Cuba depuis 1985 et est coauteur Yannick Bovy du livre Le pas suspendu de la révolution. Approche critique de la réalité cubaine, Edition du Cerisier, Cuesmes-Mons, 2001
[3] Voir le chapitre 10 de mon livre « Banque du Sud et nouvelle crise internationale. Alternatives et résistances au capitalisme néolibéral », CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2008.
[4] Voir le chapitre 9 du livre cité plus haut.
[8] Voir http://www.telesurtv.net/
[9] Voir http://www.telesurtv.net/secciones/programacion/programacion/index.php?programa=8
Pour une présentation de Telesur en français voir http://fr.wikipedia.org/wiki/TeleSUR
[10] Les étrangers présents à la réunions étaient : Oscar Ugarteche (professeur à la UNAM Mexico), Artura Guillen (professeur à la UAM Mexico), Giancarlo Delgado (assistant à la UNAM Mexico) et Daniel Munevar (assistant à l’université Austin du Texas) et moi-même. Etaient excusés car leur présence était requise à la réunion de SEPLA (Société d’Economie Politique de l’Amérique latine) qui avait lieu au même moment : Julio Gambina (professeur d’économie à l’université de Rosario et membre d’ATTAC Argentine et d’EDI), Alejandro Valle Baeza (professeur d’économie à la UNAM au Mexique et membre SEPLA Mexico). Par ailleurs, Jorge Marchini (professeur d’économie à l’UBA et membre de EDI Argentine) et Victor Isidro (doctorant à la UNAM) n’avaient pu se rendre à Cuba cette fois-ci.
[11] Voir www.oid-ido.org
[12] Voir notamment www.oid-ido.org/article.php3?id_article=493
[13] Voir le programme des cours www.centrocultural.coop/pled
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.