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Fonds souverains : quelles alternatives à la domination du Nord ?
par Eric Toussaint , Damien Millet
17 septembre 2008

Sur la scène internationale, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition en tant que pourvoyeurs de capitaux : la Chine, des fonds souverains et la Banque du Sud. Ces nouveaux venus sont perçus par les créanciers traditionnels comme des trouble-fête, mais constituent-ils réellement une alternative ?

Depuis 2004, l’augmentation importante du prix des produits de base a triplé les réserves de change des pays en développement, qui dépassaient 3 500 milliards de dollars en juin 2008 (dont 1 700 milliards pour la Chine), soit le triple de celles du Japon, de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord réunis. C’est sans précédent historique. Certains d’entre eux les ont utilisées pour rembourser de manière anticipée une partie de leur dette et réduire leur dépendance envers le FMI, la Banque mondiale et les grandes puissances.

Dans ce cadre, les prêts accordés par la Chine sont très prisés par les gouvernements du Sud car elle n’est pas regardante sur la captation des richesses financières par le clan au pouvoir ou sur des violations des droits de l’homme, comme au Gabon ou au Soudan.

Pour autant, ce n’est en rien une alternative : la Chine investit massivement dans les pays disposant de richesses naturelles, mais les populations ne sont pas davantage associées aux bénéfices de ces exportations.

La Chine envoie dans ces pays de nombreux travailleurs qui prennent en charge les travaux d’infrastructures sans y associer les ouvriers locaux et elle exige le remboursement des sommes prêtées jusqu’au dernier centime.

Le cas de la République démocratique du Congo (RDC) est éclairant. En septembre 2007, le gouvernement a signé un contrat d’exploitation minière avec un groupement d’entreprises chinoises pour trente ans. Alors que les financements en provenance de Chine ne seront débloqués qu’après les études de faisabilité, le gouvernement congolais a déjà mis à disposition d’importants gisements de cuivre et de cobalt. Au départ, les bénéfices réalisés seront affectés au remboursement des investissements miniers, y compris leurs intérêts, et la RDC accordera « l’exonération totale de tous les impôts, droits, taxes, douanes, redevances directs et indirects, à l’intérieur ou à l’import et l’export, payables en RDC et ceux liés aux activités minières et au développement d’infrastructures ». En bout de course, c’est la continuation de la même politique néfaste.

Pour placer une partie de leurs réserves de change, certains gouvernements du Sud ont lancé des « fonds souverains ». Le volume du plus important d’entre eux, Abu Dhabi Investment Agency (ADIA), est estimé à 875 milliards de dollars. Au total, ces fonds souverains disposent de 3 000 milliards de dollars et ils s’en sont servi récemment pour entrer dans le capital d’entreprises des pays industrialisés. En novembre 2007, ADIA a investi 7,6 milliards de dollars dans Citigroup, la première banque mondiale.

Entre août 2007 et juillet 2008, les fonds souverains ont apporté plus de 90 milliards de dollars au capital de grands organismes financiers privés, très affaiblis par la crise des subprimes. Cette politique est plus solide que celle suivie après le boom pétrolier de 1973, mais ne rompt en rien avec la logique capitaliste dominante.

Dans le même temps, en Amérique latine, plusieurs initiatives régionales gênent les pays les plus industrialisés, mais le contexte est tout autre. Grâce à la création de Petrocaribe, le Venezuela vend son pétrole à un prix réduit et finance des projets destinés à améliorer les capacités de raffinage des pays qui en ont le plus besoin. L’Alba fonctionne en partie sous forme de troc : plus de 20 000 médecins cubains fournissent des services de santé gratuits à la population vénézuélienne en échange du pétrole. Enfin, en 2007, sept pays d’Amérique latine (Argentine, Bolivie, Brésil, Équateur, Paraguay, Uruguay et Venezuela) ont créé ensemble la Banque du Sud. Des divergences entre gouvernements des pays membres ont ralenti son entrée en activité. Le Brésil et l’Argentine défendent les intérêts de leurs grandes entreprises, mais tout n’est pas encore tranché. Au lieu de prendre pour modèle l’Union européenne où dominent les intérêts du grand capital, il est essentiel que ces pays se dotent d’un instrument de financement de politiques économiques, sociales et culturelles qui rompent avec la logique de la recherche du profit.

La Banque du Sud suscite beaucoup d’espoir. Les mouvements sociaux doivent mettre sous pression leurs gouvernements afin qu’ils se hissent à la hauteur des possibilités historiques.

Pour l’instant, les règles du jeu ne sont pas fondamentalement changées. Les accords signés par la Chine font la part belle aux intérêts de Pékin. Les banques centrales des pays ayant accumulé d’importantes réserves de change en prêtent une grande part au gouvernement des États-Unis via l’achat de bons du Trésor.

Bien que certains pays du Sud aient réduit leur dette extérieure, ils ont très fortement augmenté la dette intérieure publique. Si une nouvelle architecture internationale n’est pas mise en place, la Banque mondiale et le FMI seront en mesure de surmonter leur grave crise de légitimité actuelle en mettant à profit de futurs chocs extérieurs entraînés par une chute possible des prix des produits de base combinée à une augmentation des taux d’intérêt.

Par Damien Millet, porte-parole du CADTM France, auteur de l’Afrique sans dette, Éditions CADTM et Syllepse, 2005,
et Éric Toussaint, président du CADTM Belgique, auteur de Banque du Sud et nouvelle crise internationale, Éditions CADTM et Syllepse, 2008.


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).