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G20 : un scénario incohérent qu’il faut réécrire complètement
par Eric Toussaint , Damien Millet
20 novembre 2008

Le sommet du G20, regroupant les grands pays industrialisés et émergents, vient de se réunir à Washington. La crise financière internationale est profonde, les Bourses ont perdu près de 40% de leur capitalisation en octobre 2008, les marchés financiers sont suspendus aux décisions prises
par les Etats pour apporter des remèdes qui éclairciraient leur avenir
bien assombri. Les feux de l’actualité internationale se sont braqués le
temps d’un week-end sur Washington. Et pourtant…

Pourtant, que s’est-il passé à Washington ? Un spectacle affligeant, un
scénario manquant franchement de crédibilité, mais trop peu de spectateurs s’en émeuvent. Dans les films policiers, il est assez rare que les clés du Palais de justice soient confiées aux coupables d’un crime abominable.
C’est pourtant ce que le G20 est en train d’organiser…

Depuis la crise de la dette de 1982, les grands pays industrialisés ont
promu avec vigueur des mesures économiques néolibérales que le FMI et la Banque mondiale ont été chargées d’imposer aux pays en développement. En proie à un surendettement provoqué par la chute des cours des matières premières durant les décennies 1980-90 et à une hausse brutale des taux d’intérêt décidée par les Etats-Unis en 1979, le Sud a été contraint de réformer son économie pour pouvoir servir ses créanciers : au menu, dérégulation forcenée, privatisations massives, ouverture des marchés au profit des grandes entreprises des pays industrialisés, réduction des budgets sociaux et de la fonction publique… Tous les maux venaient du fait
qu’il y avait trop d’Etat, et il fallait réduire son influence sur la
sphère économique à tout prix, même – et surtout – s’il cherchait à
défendre l’intérêt du plus grand nombre.

Pour les populations du tiers-monde, le remède imposé par le FMI, la
Banque mondiale puis l’OMC, à la demande des dirigeants des pays du Nord,
fut pire que le mal. Les émeutes anti-FMI se sont multipliées, par exemple
quand le prix du pain était doublé en une nuit. A l’exception notable de
quelques gouvernements progressistes, souvent fortement déstabilisés en
coulisses pour qu’ils rentrent dans le rang, la plupart des gouvernements
du Sud ont appliqué ces mesures sans sourciller. Présentée comme
indispensable à la création de richesse, la dérégulation économique a été
étendue à la planète entière. Les institutions financières privées ont
alors eu les mains libres pour inventer des produits financiers de plus en
plus complexes dans le but d’engranger de plus en plus de profits, quitte
à fermer les yeux sur les conséquences économiques réelles. Des montages
financiers ahurissants ont été mis sur pied sans le moindre contrôle des
autorités, et bien sûr sans aucune morale. Tant que cela fut possible, on
a dissimulé la face obscure de cette dérégulation derrière de beaux petits chiffres de croissance, sans révéler que cette croissance concernait uniquement les plus riches et que l’on assistait en fait à une croissance prodigieuse des inégalités.

Puis vint le moment où il ne fut plus possible d’affirmer que la mariée
était belle alors que sa robe était maculée de sang. La crise financière
internationale s’est déclenchée en août 2007 et s’est aggravée durant
l’année 2008. De grandes banques (Northern Rock, RBS, Bear Stearns, ING,
Fortis, Dexia, UBS et tant d’autres), de grandes compagnies d’assurance
(AIG), de grands organismes de crédit hypothécaire (Freddy Mac, Fannie
Mae) ont appelé l’Etat à l’aide et il a souvent accepté de les renflouer
ou d’organiser leur sauvetage. Mais au lieu d’en profiter pour reprendre
le contrôle de cette mécanique inhumaine devenue folle, l’Etat a laissé le
pouvoir de décision à ceux qui ont conduit l’économie mondiale dans
l’impasse actuelle.

Ce sommet du G20 est révélateur du fait que les leçons n’ont pas été
tirées. Les vieux démons du passé sont toujours là. Le FMI et la Banque
mondiale, bien que délégitimés par l’échec des mesures imposées depuis 25 ans et par la crise de gouvernance qui les frappe depuis quelques années (démission forcée de Paul Wolfowitz de la présidence de la Banque mondiale, démissions de Horst Köhler et Rodrigo Rato du FMI avant la fin de leur mandat, enquête récente autour de Dominique Strauss-Kahn au FMI), sont toujours au cœur des solutions proposées. La relance des négociations à l’OMC pour accroître la déréglementation économique, qui vient de faire la preuve de son échec, est remise sur le tapis. Alors que les prêts du FMI ne trouvaient plus preneur, la Hongrie, l’Ukraine et le Pakistan
viennent de se porter volontaires. Contrairement aux dénégations des
institutions concernées, les mêmes conditionnalités inadmissibles sont
toujours de mise : en contrepartie du dernier prêt, la Hongrie a dû
décider entre autre la suppression du 13e mois et le gel des salaires pour
les fonctionnaires. Le Japon a même proposé de fournir jusqu’à 100
milliards de dollars au FMI pour qu’il puisse accroître ses prêts et
poursuivre sa funeste action. Par ailleurs, la réunion de Washington pour
trouver une solution mondiale à la crise actuelle ne se tient pas dans le
cadre des Nations unies, mais dans le cadre restreint du G20. Ce sont donc les promoteurs d’un modèle injuste et non viable à terme qui sont chargés de le tirer d’affaire. Les seules solutions proposées défendent l’intérêt des grands créanciers. Les populations et les pays pauvres n’ont toujours pas leur mot à dire.

Quand un scénario est aussi incohérent et aussi mal ficelé, on espère
toujours un rebondissement final qui vienne apporter un peu de justice et de morale à l’ensemble. Ce rebondissement ne peut venir que des luttes sociales qui imposeront de par le monde une réorientation radicale des choix économiques. Et si le film finit aussi mal qu’il a commencé, le risque est grand que les spectateurs soient vraiment très mécontents et le fassent savoir aux vingt metteurs en scène de façon plutôt véhémente…


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).