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Burkina Faso : Hommage à Norbert Zongo, 10 ans de mobilisation contre l’impunité
par Pauline Imbach
20 décembre 2008

Norbert Zongo était un journaliste burkinabè, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant. Il enquêtait sur la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère du président Blaise Compaoré. Le chauffeur aurait volé de l’argent à son patron. En représailles il a été torturé à mort. Son corps n’a jamais été retrouvé. L’Indépendant, sous la plume de Norbert Zongo, consacre une quinzaine de ses « unes » à cette affaire. Le journaliste recevra de nombreuses menaces. Dans le numéro 274, paru le 8 décembre 1998, Norbert Zongo expose son inquiétude dans un édito resté célèbre et qui orne aujourd’hui encore la une du journal : « Supposons aujourd’hui, que L’Indépendant arrête définitivement de paraître pour une raison ou pour une autre (la mort de son directeur, son emprisonnement, l’interdiction définitive de paraître...), nous demeurons convaincus que le problème David restera posé et que, tôt ou tard, il faudra le résoudre ».
Quelques jours plus tard, le 13 décembre, Norbert Zongo, son jeune frère Ernest Zongo, son chauffeur Ablassé Nikiema et un de ses employés Blaise Ilboudo sont retrouvés morts, calcinés dans leur véhicule à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou, à 7 km de Sapouy. La thèse officielle de l’accident soulève de vives indignations dans tout le pays. Des témoignages comme celui d’un des employés du ranch de Norbert Zongo, venu rapidement sur les lieux, ou celui du docteur Guira Oumar, chargé du premier examen médical, remettent en cause cette version des faits.

De la mobilisation populaire ….

Dès les jours qui suivent la mort de Norbert Zongo et de ses compagnons la tension monte. Le mardi 15 décembre 1998, des milliers d’étudiants et d’élèves manifestent devant le siège du parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), et entrent dans l’enceinte du palais de justice. A Koudougou, troisième ville du pays, dont est natif Norbert Zongo, de très violentes manifestations éclatent. Le 16 décembre, à Ouagadougou, malgré une forte répression des forces de police, 15 000 personnes suivent pendant des heures la dépouille de Norbert Zongo jusqu’au cimetière. Le 19 décembre, plus d’un millier de personnes se regroupent à la bourse du travail pour un meeting. Ces mobilisations sont exceptionnelles et rassemblent la population, bien au-delà de l’opposition politique.

…à « l’affaire Zongo »

Ce même mois, Blaise Compaoré prête serment pour son deuxième mandat. Les autorités, sous pression, rendent public un décret « portant création, composition et attributions d’une commission d’enquête indépendante » précisant, en son article 6, que sa mission sera « de mener toutes investigations permettant de déterminer les causes de la mort des occupants du véhicule 4x4 (...), dont le journaliste Norbert Zongo". Immédiatement l’opposition, les syndicats et les associations de défense des droits de l’homme rejettent la proposition gouvernementale, estimant que l’Etat est trop représenté dans la composition de cette commission. Ils proposent la création d’une commission internationale à laquelle puissent participer différentes organisations de défenses des droits humains.

Après un scénario judiciaire en plusieurs actes (dont l’inculpation de François Compaoré pour le meurtre de son chauffeur en janvier 1999 et l’abandon par le tribunal militaire de toutes les charges retenues contre lui), le 18 juillet 2006 le Juge Ilboudo prend une ordonnance de non-lieu. Comme l’explique le Procureur Général Barry « A partir de ce moment, le dossier est classé. Le juge est dessaisi. L’affaire est clôturée sauf s’il survient de nouveaux éléments. Et dans ce cas, c’est le procureur seul qui peut rouvrir le dossier ».

Notons qu’en 2001, face au mécontentement populaire qui ne faiblissait pas, le gouvernement burkinabè avait mis sur pied un collège de sages qui avait pour mission de déceler les causes de cette crise de légitimité. Le rapport rendu mettait en évidence la responsabilité des violations des droits de l’homme et des insuffisances dans la gestion des biens publics. Il recommandait la recherche de la vérité, de la justice et de la réconciliation nationale. Vaste programme ! Pour ce faire, le gouvernement créa une commission chargée de la mise en place des recommandations. Celle-ci organisa le 30 mars 2001 « la journée du pardon ». Devant une foule venue de tout le pays, Blaise Compaoré demanda pardon au peuple burkinabè : « Peuple du Burkina Faso, en cet instant solennel, en notre qualité de Président du Faso assurant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours ». Cette opération censée réaffirmer l’unité des autorités coutumières, religieuses et politiques et obtenir le soutien des familles des victimes ne fit que raviver le feu. Rien ici n’était fait pour comprendre ce qui s’était passé, rechercher les responsables et les condamner par voie justicière. La mascarade fut immédiatement dénoncée par la société civile.

La mobilisation continue et s’amplifie pour la réouverture du dossier

En août 2006, suite au non-lieu prononcé par la justice, le mouvement des « Femmes en noir » voit le jour. Sur le modèle des « Mères de la Place de Mai » en Argentine, plus d’une trentaine de femmes vêtues de noir se réunissent, chaque premier dimanche du mois, au cimetière de Gounghin, où sont enterrés le journaliste et ses compagnons. Certaines n’hésitent pas à parcourir plusieurs kilomètres à pied pour venir prier, lire des messages et réclamer la réouverture du dossier Norbert Zongo. Aujourd’hui moins nombreuses, leur mobilisation continue coûte que coûte, bien qu’elles aient reçu de nombreuses menaces (pression religieuse, appels anonymes téléphoniques …).

Le 13 décembre dernier, un hommage, sous forme de mobilisation massive, a eu lieu à Ouagadougou en mémoire de Norbert Zongo. La commémoration s’est déroulée en 3 temps. Les milliers de manifestants se sont d’abord recueillis au cimetière de Gounghin. Une grande marche en ville a suivi, durant laquelle l’Avenue de la Nation a été symboliquement rebaptisée « Avenue Norbert Zongo ». La foule a aussi entrepris de renommer tout le quartier à l’aide d’affichettes autocollantes. La mobilisation s’est terminée par un meeting sur la Place de la Nation, plus connu sous le nom de Place de la Révolution, comme l’avait baptisée le régime sankariste avant que celui de Blaise Compaoré ne la renomme Place de la Nation lors de son accession au pourvoir.
Dix ans après l’assassinat de Norbert Zongo, des milliers de manifestants ont répondu présent. La mobilisation n’a jamais cessé.
Les artistes africains ne sont pas restés en marge des événements. Dans un clip collectif diffusé sur Internet « Norbert Zongo affaire classée ? » [1.] ils demandent la réouverture du dossier et annoncent que la mobilisation ne s’arrêtera pas tant que justice ne sera pas rendue. « Ils ont tiré sur Norbert, ils ont voulu le faire taire, ils ont brûlé tout ce qui restait, ils ont classé le dossier. Mais on ne va pas les laisser faire, ils peuvent nous museler, tant qu’ils ne seront pas jugés, on ne va pas se taire ».

Solidarité avec les luttes contre l’impunité

De nombreuses associations et mouvements sociaux ont marqué leur solidarité avec les Burkinabè qui se battent pour que justice soit faite dans le cadre de l’affaire Zongo.
Le 13 décembre, pour dénoncer dix ans d’impunité une vingtaine d’organisations [2.] ont appelé à manifester devant l’ambassade du Burkina Faso à Paris et ont lancé une pétition pour la réouverture du dossier [3.]
Le CADTM Belgique et le Groupe Thomas Sankara marquent leur solidarité aux mouvements sociaux burkinabè en lutte pour que justice soit rendue à feu Norbert Zongo, et soutiennent l’équipe restante du journal l’Indépendant qui se bat pour garder une ligne éditoriale engagée.


Notes :

[1.Tiken Jah Fakoly, Ismaël Isaac, Didier Awadi, Smockey, Sams’K le Jah, faso Kombat, Sana Bob, Obscur Jaffar, Slam et Miss Safia rendent un vibrant hommage à Norbert Zongo, journaliste assassiné il y a dix ans au Burkina Faso. http://norbertzongo10ans.blogspot.com/

[2.AEBF, Afrique sans chaîne – CNT France, CEDETIM, CIS 35, CIFDDH, COFANZO, CGT-CI, Coordination des femmes Egalités – France, Fédération des Congolais de la diaspora, les Verts, LCR-France, Maison Internationale de Rennes, MBDHP-SF, Oser inventer l’avenir Thomas Sankara, Plate-forme Panafricaine, PCOF, Sud éducation, Survie France, UJIF, Union Syndicale Solidaire, Terre des Hommes, Zone libre.

Pauline Imbach

CADTM France