Lors du prochain sommet de l’OTAN les 3 et 4 avril, la France officialisera son retour dans le commandement militaire intégré de l’Alliance transatlantique [1]. Ce sommet international organisé à Strasbourg (France) et Kehl (Allemagne) marque également le soixantième anniversaire de l’OTAN, dont fait partie la Belgique depuis la création de l’alliance en 1949. Cette occasion doit être saisie pour rappeler les conséquences de l’appartenance des Etats comme la Belgique à l’OTAN et analyser les fondements de cette organisation militaire.
La Belgique aux ordres de l’OTAN
Le territoire belge est d’une importance stratégique pour l’OTAN puisque s’y trouvent à la fois le quartier général de l’OTAN, situé à Evere près de Bruxelles, où sont notamment prises les décisions relatives aux armes nucléaires, et le commandement militaire (SHAPE), situé à Mons. Au niveau logistique, la Belgique joue également un rôle majeur puisqu’y sont stockées une vingtaine de bombes atomiques B61 de l’OTAN, pouvant être transportées jusqu’à leur cible par des avions F16 belges. La présence des militaires belges en Afghanistan, dont le nombre risque encore d’augmenter [2], est aussi directement liée à l’intervention de l’Alliance dans ce pays. Une autre conséquence de l’adhésion à l’OTAN est son coût financier. En effet, la Belgique consacrait en 2006, selon les derniers chiffres annoncés sur le site de l’OTAN, 1,3% de son PIB à la défense, soit 400 dollars par an par habitant [3].
Quelle part de ces dépenses militaires est destinée aux opérations de l’Alliance, de l’Union européenne et de l’ONU ? La réponse à cette question aurait le mérite de clarifier la répartition des dépenses militaires de la Belgique mais vu la prééminence de l’OTAN sur les autres organisations régionales et internationales, elle importe relativement peu. En effet, depuis sa première intervention militaire en 1995 en ex-Yougoslavie, l’Alliance prend de plus en plus la place de l’ONU dans les opérations de « maintien de la paix » tandis qu’au niveau européen, le Traité de Lisbonne, en cours de ratification, affirme la supériorité de l’OTAN sur la politique étrangère européenne (article 27).
En revanche, à quoi sert l’argent versé par nos Etats à l’OTAN ? C’est une question fondamentale qui nous pousse à revenir sur la mission originelle de cette organisation et sur son incroyable évolution.
L’OTAN : une organisation illégitime et hors-la-loi
Signé par douze Etats en 1949 (dix pays européens plus les Etats-Unis et le Canada), le Traité de l’Atlantique Nord qui crée l’OTAN lui donne comme objectif de « défendre ses membres contre la menace potentielle présentée par la politique de l’Union soviétique et sa croissante capacité militaire [4] ». Mais à la fin de la guerre froide, l’OTAN, qui se présentait comme une alliance militaire défensive contre la menace communiste, perd sa raison d’être. Pour justifier son existence, elle s’est alors trouvé une nouvelle mission : la guerre contre le terrorisme. L’article 5 du Traité, qui consacre le droit de légitime défense collective des Etats membres en cas d’agression contre l’un d’entre eux, sera invoqué pour la première fois au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Au nom de cet article 5, l’OTAN met donc à la disposition des Etats-Unis tous les moyens pour organiser « la riposte aux terroristes [5] ». C’est ainsi que des membres de l’Alliance tels que la Belgique ont envoyé leurs troupes militaires en Afghanistan pour mener une guerre de plus en plus meurtrière [6], qui assimile systématiquement l’opposition croissante de civils afghans aux Talibans et entraîne la montée du fondamentalisme religieux. Cette guerre contre-productive qui s’étend aujourd’hui au Pakistan voisin risque d’ailleurs de s’aggraver puisqu’elle constitue une des priorités du président Obama. Il entend y envoyer cette année jusqu’à 30 000 soldats états-uniens en renfort des quelques 70 000 hommes déjà présents au sein de deux forces multinationales, l’une commandée par les Etats-Unis - l’opération anti-terroriste « Liberté immuable » (« Enduring Freedom »)- et l’autre dirigée par l’OTAN - l’ISAF (Force Internationale d’Assistance à la Sécurité).
Cette stratégie guerrière axée sur la menace terroriste pose de graves problèmes car il n’existe aucune définition du terrorisme admise par l’ONU. De plus, les statistiques montrent une baisse du nombre d’attentats depuis les années 1980 [7]. Enfin, la menace terroriste ou encore la perturbation des approvisionnements en ressources vitales, considérées comme des motifs d’intervention de l’OTAN sont en contradiction avec les menaces identifiées par l’ONU. En effet, selon le rapport onusien « Un monde plus sûr, notre affaire à tous [8] », les menaces prioritaires sont de nature socio-économique : pauvreté, maladie, épidémies, détériorations environnementales.
Au fil des années, l’OTAN s’est affranchie du cadre légal de l’ONU. En octobre 1998, la toute puissance de l’OTAN est affirmée explicitement par Javier Solana, actuel haut représentant de la politique étrangère de l’Union européenne et ancien Secrétaire général de l’OTAN. Au sujet de l’intervention de l’OTAN au Kosovo, celui-ci déclarait que « l’OTAN a la légitimité d’agir seule ». Moins d’un an plus tard, le Concept stratégique de l’alliance formalise cette idée en donnant à l’OTAN le droit d’intervenir sans mandat de l’ONU et en lui attribuant comme fonction « la prévention des conflits, sur ou hors de son territoire, la gestion des crises et la riposte aux crises [9] ». L’OTAN ne ressemble donc plus du tout à l’organisation créée en 1949. Ce n’est plus une alliance défensive qui devait agir sur son territoire dans le respect de l’ONU mais bien une force capable d’intervenir préventivement partout dans le monde et si nécessaire sans mandat de l’ONU pour défendre les « valeurs communes » qui se confondent avec les intérêts stratégiques des pays riches du Nord.
L’OTAN : une organisation sans frontières dangereuse pour l’humanité
L’Alliance est non seulement hors-la-loi mais dangereuse pour la survie de l’humanité. Elle développe, en effet, une stratégie nucléaire agressive. Les recherches pour la fabrication de nouvelles armes continuent, en violation du Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires. Le bouclier anti-missiles en Europe est prévu pour permettre l’utilisation de l’arme atomique sans craindre des représailles et donc, d’en envisager un premier usage. Soulignons que sur les cinq puissances nucléaires officielles, trois sont membres de l’OTAN (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis) et qu’un manifeste écrit par cinq des plus hauts officiers et stratèges militaires [10] considère l’emploi des armes nucléaires comme le premier instrument à utiliser à titre préventif contre les menaces à la paix telles que la possession d’armes de destruction massives par certains Etats « voyous »….
Aujourd’hui, l’OTAN compte 26 membres, dont deux en cours d’adhésion, et conclut des partenariats avec certains Etats proches idéologiquement. C’est le cas d’Israël qui a conclu avec le secrétaire général de l’OTAN un partenariat privilégié en décembre dernier, peu de temps avant le massacre des Palestiniens dans la bande de Gaza. Alors que la règle pour la prise de décisions au sein de l’OTAN est théoriquement le consensus, ces partenariats échappent au contrôle des membres. Quant aux parlementaires des Etats membres de l’OTAN, ils n’ont aucun moyen de contrôler l’action de leurs gouvernements au sein de cette Alliance. Rappelons que la Belgique refuse toujours d’appliquer une résolution parlementaire qui demande expressément au gouvernement de retirer les armes nucléaires du territoire belge [11]. De même, les évolutions majeures de l’OTAN liant la Belgique n’ont jamais été ratifiées par le Parlement fédéral et encore moins soumises par référendum à la population, malgré leur incidence majeure sur celle-ci. [Idem pour le Traité de Lisbonne qui n’a pas fait l’objet d’une consultation populaire et qui impose entre autres à tous les membres de l’Union européenne d’augmenter leurs capacités militaires]. C’est d’ailleurs le seul secteur où les dépenses publiques sont encouragées… En pleine crise mondiale qui affecte la majorité de la population tant au Nord qu’au Sud, cette course à l’armement doit stopper. Soulignons qu’après les dizaines de milliards d’euros injectés par les pouvoirs publics pour sauver les grandes banques privées, le projet de bouclier anti-missiles en Europe pourrait coûter entre 20 et 40 milliards d’euros aux citoyens européens ! Cette crise mondiale doit donc être mise à profit pour exiger la réduction drastique des dépenses militaires et questionner le rôle de l’OTAN.
Une (seule) solution : l’action de désobéissance civile
Face à cette situation où les peuples n’ont pas leur mot à dire, il est nécessaire de passer à l’action radicale pour créer une pression sur nos gouvernements afin qu’ils se conforment au droit international et agissent pour satisfaire les besoins humains fondamentaux de leurs populations. L’ONU réformée doit être la seule à décider de l’usage de la force. L’OTAN doit donc être dissoute et le désarmement, à commencer par les armes nucléaires, doit impérativement être effectif partout dans le monde. Au lieu de servir à l’armement, les dépenses publiques doivent être affectées à l’éradication de la pauvreté au Sud et au Nord.
Pour ce faire, la protestation citoyenne sous différentes formes est indispensable. Soyons nombreux à l’action de désobéissance civile non-violente « Nato Game Over » le 21 mars à Evere et au contre-sommet de l’OTAN qui se déroulera du 1er au 5 avril à Strasbourg et Kehl.
[1] OTAN signifie Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, NATO en anglais. La France avait quitté la structure militaire de l’OTAN en 1966, sous la présidence de Charles de Gaulle, tout en restant membre de l’Alliance atlantique.
[2] Le ministère de la Défense est « prêt à répondre » à d’éventuelles demandes de l’OTAN pour une implication accrue en Afghanistan
http://www.lalibre.be/index.php?view=article&art_id=478610
[3] CNAPD et ULDP, L’OTAN : du bouclier à l’épée, février 2009
[4] The NATO Handbook, 1999
[5] CNAPD et ULDP, L’OTAN : du bouclier à l’épée, février 2009
[6] Le nombre d’attaques des « insurgés » a augmenté de 400% entre 2002 et 2006. (2) En 2007, selon un rapport du Secrétaire général des Nations Unies, quelques 566 « incidents » étaient enregistrés en moyenne chaque mois contre 425 en 2006. D’après les données de l’ONU, 1 115 civils seraient morts au cours des 7 premiers mois de l’année 2008, soit 24% de plus que les 902 victimes enregistrées au cours de la même période précédente. (3) D’après Tim Bogaert de l’ONG Pax Christi, l’OTAN a largué en 2007, 3 500 bombes en Afghanistan, soit plus qu’en Irak.
[11] Résolution S 3-985/5 du 21/04/2005
Militante du CADTM Belgique.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
était membre du CADTM Belgique et co-auteur avec Renaud Duterme de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.