printer printer Cliquer sur l'icône verte à droite
Août 2009. Le CADTM international envoie une délégation au Honduras
par Cécile Lamarque , Jérôme Duval
27 septembre 2009

Suite au coup d’État orchestré par l’oligarchie du Honduras le 28 juin 2009, le CADTM international décide d’envoyer une délégation à Tegucigalpa. Cette mission s’inscrit dans le processus d’accompagnement et d’observation initié par Enlazando Alternativas [1] (Espagne) et constitue la cinquième mission internationale. Le but étant de pérenniser la présence d’observateurs internationaux sur place pour rendre compte de la situation tant déformée par les médias dominants.

Bien que de (trop) courte durée, notre présence nous a permis de nous immerger directement dans la réalité de la résistance quotidienne, de multiplier les interviews et d’approfondir certains contacts pour un travail de plus longue halène. Nous n’avons hélas pas eu l’occasion d’observer une manifestation des chemises blanches (en soutien au coup d’État) et pour cause : il n’y en aura pas durant notre séjour. Du côté de la résistance fédérée par le Front National de Résistance contre le Coup d’État [2], par contre, nous n’avions que l’embarras du choix : les manifestations, réunions et assemblées étaient copieuses et quotidiennes.

Notre séjour a été marqué par deux moments forts : la mobilisation massive du 11 août contre le coup d’État et la violente répression du 12 août [3]. Dès les premiers jours on a de suite compris qu’il s’agissait bien d’une dictature militaire et nous avons insisté sur la nécessité d’employer les bons mots : la retenue des médias commerciaux faisant l’impasse sur de tels qualificatifs, il est parfois difficile de se faire une idée juste depuis l’extérieur. Suite à presque deux mois de mobilisation, la résistance nous a semblé déterminée et organisée pour durer, et ce malgré la répression. Les artistes se regroupent [4] et organisent des concerts et expositions ; le Front des Avocats (Frente de Abogados en Resistencia ) qui envisage des actions auprès de la CPI [5], se bat pour faire valoir les droits des blessés et inculpés et se prépare bénévolement aux procès avec le soutien des familles. Les organisations étudiantes appellent à une première rencontre internationaliste contre le coup d’État et pour l’Assemblée nationale constituante du 8 au 10 octobre prochain. Les rares médias informant sur la résistance sont de plus en plus suivis et jouent un rôle de première importance (certains citoyens restent connectés toute la journée à Radio Globo avec leur écouteurs ou radio et suivent la lutte en direct). De son côté le gouvernement légitime de Manuel Zelaya en exil continue a être reconnu par la plupart des gouvernements et poursuit son travail diplomatique de résistance. Il vient, début septembre de sortir un rapport sur le coup d’État [6] .

Dans un pays qui a connu dans les années 80 les exactions de l’armée avec près de 200 disparitions forcées, les récents cas de séquestrations, détentions arbitraires, tortures et disparitions secouent une mémoire qui n’oublie ni ne pardonne. Certaines personnalités responsables des crimes commis dans les années 80 sont en place au sein du gouvernement putschiste de Roberto Michelleti Baìn. On peut citer entre autres Billy Joya Améndola, responsable de tortures et disparitions de 1984 à 1991 au sein du fameux escadron de la mort 3-16 formé par des agents de la CIA, et actuel ministre conseiller en sécurité. Carlos López Contreras, ancien responsable de la politique contre-révolutionnaire au Nicaragua depuis le Honduras, est quand à lui nommé ministre des Affaires étrangères.

John Negroponte, ancien ambassadeur des États-Unis au Honduras de 1981 à 1985, et Otto Reich [7], tous deux responsables des escadrons de la mort en Amérique centrale et de la sale guerre contre le Nicaragua sandiniste, sont impliqués dans ce funeste plan. L’ambassadeur américain, Hugo Llorens, toujours en poste à Tegucigalpa a reçu à son domicile plusieurs de ces conspirateurs quelques jours avant le coup d’État.

Au Honduras, un des pays les plus pauvres de l’Amérique latine, l’élite est constituée d’une dizaine de familles qui contrôle les médias, les grandes entreprises et le pouvoir. Cette élite, en relation directe avec certains secteurs ultra conservateurs des États-Unis et les multinationales étasuniennes sont les piliers de la nouvelle dictature. Les entrepreneurs nationaux tels Carlos Roberto Facussé, ancien président de 1998 à 2002 et propriétaire du quotidien La Tribuna, Jorge Canahuati, propriétaire des deux autres quotidiens d’importance (El Heraldo et La Prensa), José Rafael Ferrari, propriétaire de Televicentro (Télévision) et Ricardo Maduro, ex-président de la République entre 2002 et 2006, propriétaire de banques et moyens de communication sont quelques-uns de ceux qui ont financé et propagé l’idéologie putschiste. De même qu’au Venezuela en avril 2002, on peut parler de coup d’État médiatique.

Pour mieux comprendre les raisons du coup d’État, il suffit de jeter un coup d’œil sur quelques avancées de la politique de Manuel Zelaya. Celui-ci avait lancé des Assemblées du pouvoir citoyen, sortes d’assemblées populaires organisées chaque semaine dans différentes parties du pays ; inauguré un hebdomadaire gratuit, El Poder Ciudadano (Le Pouvoir Citoyen) donnant la parole à ceux que les médias dominants ignorent trop souvent ; augmenté le salaire minimum de 60 % par décret, mesure qui suscita les foudres des entrepreneurs [8] ; adhéré à l’ALBA [9] et PetroCaribe [10] ; voulut transformer l’aéroport militaire de la base étasunienne Soto Cano en aéroport civil, et était sur le point de soumettre au peuple la proposition d’une assemblée constituante.... S’en était sans doute trop ! Le jour de la consultation sur l’approbation ou non d’une quatrième urne pour les élections de novembre prochain afin d’élire une Assemblée nationale constituante, l’armée séquestre le président et l’expédie au Costa Rica voisin. Sa ministre des Affaires extérieure, Patricia Rodas subira le même sort.

L’avenir du Honduras dépend de la lutte qui jour après jour renforce le désir d’un retour à l’ordre constitutionnel avec Zelaya dans ses fonctions et l’élection d’une assemblée constituante. La constitution en vigueur depuis 1982 stipule dans son article 3 [11] : « Personne ne doit obéissance à un gouvernement usurpateur ni à quiconque assumant les fonctions ou emplois publiques par la force des armes (...) Le peuple a le droit de recourir à l’insurrection en défense de l’ordre constitutionnel. »

A l’heure où nous terminons cet article, nous apprenons qu’au lendemain du retour de Manuel Zelaya, entré dans son pays au péril de sa vie, la police et les militaires putchistes ont violemment réprimé plusieurs milliers de citoyens venus protéger leur président. Nombre d’entre eux avait passé la nuit autour de l’ambassade du Brésil où il s’était réfugié. Le pays a vécu sous un couvre feu [12] et on dénombre déjà plus de 300 détenus, de nombreux blessés et un nombre indéfini d’assassinats. Le CADTM dénonce cette répression inouïe et demande à la communauté internationale qu’elle agisse enfin pour l’arrêt des relations diplomatiques et commerciales qui légitiment cette dictature sanguinaire. Le CADTM soutient le peuple du Honduras en lutte pour une Assemblée constituante et et prône l’instauration d’un blocus économique envers le régime putschiste.


Notes :

[2Voir le site du Front National de résistance contre le coup d’État : http://contraelgolpedeestadohn.blogspot.com/

[5Voir le message de Cécile Lamarque : http://www.cadtm.org/Mission-du-CADTM-en-solidarite

[6Voir sur le site officiel du gouvernement en résistance, le rapport publié le 10 septembre :http://www.gob-hn.net/presidencia/

[7Otto Reich a ouvertement soutenu le nouveau gouvernement de facto le qualifiant de « légal et constitutionnel ». http://informe21.com/otto-reich/otto-reich-dice-nuevo-gobierno-hondureno-legal-constitucional

[8Notament au sein du COHEP (Consejo Hondureño de la Empresa Privada) dont certains tentèrent de déclarer inconstitutionnel de décret en question.

[9L’ALBA dont les sigles correspondent à : Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, signifie « aube » en espagnol. L’Alliance est fondée non sur le principe de concurrence, mais sur ceux de coopération et de complémentarité prenant en compte les asymétries entre pays membres.

[10Accord régional lancé par le Venezuela qui facilite un approvisionnement en pétrole à des prix préférentiels, avec des facilités de paiement.

[11Articulo 3 : « Nadie debe obediencia a un gobierno usurpador ni a quienes asuman funciones o empleos públicos por la fuerza de las armas o usando medios o procedimientos que quebranten o desconozcan lo que esta Constitución y las leyes establecen. Los actos verificados por tales autoridades son nulos. El pueblo tiene derecho a recurrir a la insurrección en defensa del orden constitucional. »

[12Le couvre-feu est mis en place dès le 21 septembre à 16h jusqu’au 24 septembre, 6h soit 62h de couvre feu ininterrompu.

Cécile Lamarque
Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.