On aurait aimé que ce soit un canular, mais c’est une information
vérifiée : le 24 novembre prochain aura lieu à Paris une cérémonie dont
le casting est proprement ahurissant au regard de l’actualité française
et internationale.
Ce jour-là, le cardinal archevêque de Tegucigalpa, Oscar Rodriguez
Maradiaga, et l’ancien directeur général du Fonds monétaire
international (FMI), Michel Camdessus, recevront les insignes de docteur
/honoris causa/ de l’Institut catholique de Paris. Et leur panégyrique
(/Laudatio/) sera prononcé respectivement par Monseigneur Hippolyte
Simon, archevêque de Clermont, et Jean-Claude Trichet, président de la
Banque centrale européenne (BCE).
Il faut vraiment croire que les puissances invitantes, à savoir le
cardinal André Vingt-Trois, et le recteur de l’Institut, Pierre Cahné,
vivent sur une autre planète pour oser mettre en scène publiquement
cette nouvelle alliance du sabre, du goupillon... et de la salle de marchés.
On ose espérer que l’invitation au cardinal Maradiaga reposait sur
l’image « progressiste » que le prélat avait su se donner ces dernières
années, notamment lors de sa candidature à la succession de Jean-Paul
II. Mais les autorités de l’Institut catholique auraient dû se
renseigner et lire ses déclarations après le coup d’Etat du 28 juin
dernier au Honduras. Non seulement, comme d’ailleurs les autres membres
de la Conférence épiscopale hondurienne et, dit-il, avec le plein
soutien du Vatican, il n’a pas dénoncé le putsch, mais il l’a au
contraire légitimé en déclarant que « les documents prouvent que les
institutions ont correctement fonctionné et que la Constitution a été
respectée/ ». Il n’a pas condamné ni même évoqué les assassinats, les
tortures et les arrestations massives dont s’est rendu coupable le
gouvernement de facto. Pas non plus un mot sur la suppression de toutes
les libertés civiques, sur la fermeture de tous les moyens de
communication qui n’avaient pas fait allégeance aux putschistes, en
particulier la station de radio des Jésuites, Radio Progreso. Le
goupillon du cardinal a aspergé d’eau bénite le sabre putschiste.
Voilà le récipiendaire du doctorat honoris causa de l’Institut
catholique dont l’archevêque de Clermont s’apprête à célébrer les
qualités. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy, qui a condamné le coup
d’Etat et continue de reconnaître officiellement le président Zelaya,
devrait logiquement refuser le visa d’entrée en France à ce prélat
considéré comme putschiste par le gouvernement légal.
Les états de service dont peut se prévaloir Michel Camdessus sont d’un
autre ordre : il n’a certes jamais trempé dans une action armée, mais
les politiques qu’il a impulsées à la tête du FMI, de 1987 à 2000, ont
été infiniment plus coûteuses en détresse et en vies humaines que celles
de la soldatesque hondurienne. Sa trajectoire est l’inverse de celle du
cardinal de Tegucigalpa : il pose volontiers aujourd’hui à l’adepte de
la mondialisation « à visage humain », alors que pendant des années, il
a imposé d’impitoyables plans d’ajustement structurel aux malheureux
pays qui avaient recours à son « aide ».
Grâce aux « recettes » du FMI, il a à son actif, si l’on peut dire, la
création ou l’aggravation d’une dizaine de crises financières majeures,
de celle du Mexique en 1994 à celle du Brésil en 1999. Fanatique du
marché et de la libéralisation financière qui, pour lui, « demeure le
but final correct », il s’est toujours désintéressé des conséquences
sociales des mesures qu’il imposait. Après les émeutes de la faim
qu’elles provoquèrent en 1997 en Indonésie, et la violente répression
qui s’ensuivit, ce catholique pratiquant expédia ainsi ses regrets aux
familles des victimes : « Je n’avais pas prévu que l’armée allait tirer
sur la foule »...
Il n’y a certainement aucun pays du Sud où une institution universitaire
accorderait une distinction à Michel Camdessus. Tout porte même à croire
que sa venue dans un établissement d’enseignement supérieur provoquerait
des troubles. Est-ce cette persévérance dans l’erreur, à peine compensée
par des bribes tardives de repentance, que va récompenser l’Institut
catholique ?
Que Jean-Claude Trichet ait été sollicité pour faire le panégyrique de
l’ancien directeur général du FMI complète un tableau franchement
caricatural. Le président de la BCE partage avec le récipiendaire une
absolue certitude des bienfaits de l’orthodoxie monétaire et un
souverain mépris des instances élues. Avec eux, les salles de marchés
font leur entrée officielle dans les hauts lieux du savoir. La finance
n’a que faire des franchises universitaires qui, pourtant, s’imposent
encore à la police...
Tout cela fait beaucoup pour une seule journée. Certainement, le 24
novembre à 19 h, on refusera du monde à la « Catho »...