Ce dimanche 17 janvier 2010, le Collectif Mémoires Coloniales [1] a organisé à Ostende un hommage à Patrice Lumumba, à ses compagnons de lutte et à son combat pour un Congo libre et indépendant. Plus de 100 personnes ont participé à cet événement. La mixité était au rendez-vous puisque jeunes, personnes âgées, hommes et femmes, congolais-e-s et belges se sont réuni-e-s, sous un soleil radieux, pour rendre un hommage émouvant, au premier ministre du Congo indépendant, assassiné il y a 49 ans, le 17 janvier 1961, avec la complicité de la Belgique [2].
Le choix d’organiser cette cérémonie à Ostende n’était pas un hasard. Le corps de Patrice Lumumba, d’abord enterré sommairement, a ensuite été entièrement détruit. Certains des agents chargés de cette macabre besogne ont parlé et l’un d’eux, Soete, a expliqué qu’après avoir conservé des dents de Lumumba, il les avait jetées dans la mer du Nord. La cérémonie initialement prévue sur un bateau s’est finalement déroulée sur l’estacade d’Ostende, en raison d’une très forte demande de participation.
Vers 12h00, les participant-e-s ont quitté la gare d’Ostende pour se diriger, en un immense cortège, vers l’estacade où avait lieu la cérémonie. Précédée de deux drapeaux du Congo Indépendant [3] et d’un portrait de Patrice Lumumba (portés par trois femmes, une congolaise, une belge et une française), la fanfare Kimbanguiste a invité les ostendais-e-s à nous rejoindre. La musique qui retentissait sur toute la jetée, produisait une émotion forte, à la fois solennelle et joyeuse. Dans le cortège, sur des affiches représentant Patrice Lumumba on pouvait lire « La liberté est l’idéal pour lequel, de tout temps et à travers les siècles, les Hommes ont su lutter et mourir ».
La cérémonie a débuté par les discours de Pauline Imbach (CADTM, membre du Collectif Mémoires Coloniales), Guy de Boeck (Historien belge, membre du Collectif Mémoires Coloniales) et Antoine Tshitungu (Historien congolais, membre du Collectif Mémoires Coloniales). Revenant sur le Collectif Mémoires Coloniales, sur les raisons de l’organisation d’un tel hommage et surtout sur le combat et la vie de Patrice Lumumba, les orateurs ont rappelé que la lutte incarnée par ce dernier est une lutte universelle toujours vivante. « Lumumba est mort d’avoir cru que « Indépendance » signifiait aussi « Liberté », alors que dans l’esprit des grands financiers internationaux, « Indépendance » signifiait que le monopole belge sur l’exploitation du Congo et des Congolais prenait fin, pour laisser place à la ruée de tous les prédateurs. Nous y assistons encore aujourd’hui. Et c’est parce que nous assistons à la continuation de ce pillage, que nous le trouvons intolérable et que nous ne le tolérons pas, que nous venons rendre hommage à Patrice Lumumba et que nous devons continuer sa lutte. Si nous baissons les bras, il nous faudra revenir ici, honteusement, pour lui dire « Patrice, tu es mort pour rien ». Cela ne doit pas se produire » [4] « (...) que la mémoire de Lumumba reste entière, qu’elle nous inspire pour des luttes nouvelles contre l’impérialisme, contre la domination et la spoliation des droits des peuples (...) Cette lutte historique est également une lutte actuelle, c’est celle de millions de personnes, celle des peuples africains, indiens, honduriens, palestiniens, comoriens, haïtiens, et bien d’autres encore » [5].
La cérémonie s’est poursuivie par une minute de silence. Puis l’hymne congolais a retenti, interprété par la fanfare Kimbanguiste et accompagné par les chants des participant-e-s. Chacun-e a ensuite rendu hommage à Patrice Lumumba en jetant une rose rouge dans la mer. On pouvait lire sur tous les visages des expressions d’émois. Certains, les joues humides de larmes, nous rappelaient l’espoir que Lumumba a incarné pour le peuple congolais et l’importance de s’en souvenir, de ne pas oublier ce grand homme et l’idéal qu’il a si fortement représenté.
Le cortège, précédé de la fanfare, a ensuite quitté l’estacade et traversé la plage pour se diriger vers les monuments coloniaux qui longent la côte. Les quelques minutes de marche, avant d’arriver au premier monument, ont permis à chacun-e de récupérer de ses émotions.
Arrivés au niveau de l’actuel Casino, nous avons commencé notre promenade anticoloniale, guidée par Lucas Catherine. Ce dernier nous a expliqué comment Ostende était, en temps que ville royale et maritime, une ville dont la fortune s’est basée sur l’exploitation du peuple et des ressources du Congo. Nous avons pu voir la statue de Baudoin Ier, qui, il y a quelques années, a été recouverte de peinture rouge par un groupe d’activistes flamands « Stoete Ostendenoare » voulant dénoncer la responsabilité du roi dans l’assassinat de Patrice Lumumba.
Nous avons continué notre chemin, en passant sous les arcades du palais. Là, la musique de la fanfare amplifiée par l’architecture du passage, retentissait sur tous les alentours, donnant un air imposant à notre cortège.
Nous nous sommes ensuite arrêtés devant la statue « la gratitude des Congolais » qui représente à gauche un groupe de congolais et à droite un groupe de pêcheurs ostendais qui se prosternent tous deux devant Léopold II situé au centre du monument, pour le remercier de les avoir libérés. Ce monument, symbole de la lecture officielle de l’histoire coloniale, offre une vision tronquée de la réalité. L’histoire populaire nous apprendra qu’au contraire, ni les congolais, ni les pêcheurs ostendais vouaient une quelconque reconnaissance à Léopold II. En 1887 les pêcheurs ostendais se sont d’ailleurs révoltés contre le déchargement d’une chaloupe anglaise qui venait vendre son poisson à Ostende. Cette révolte a été réprimée dans le sang, par les tirs de la garde civique. Une autre lecture historique de ce monument montre alors que les peuples ostendais et congolais subissaient le même système d’exploitation au profit d’une élite capitaliste européenne, dont Léopold II constituait un maillon fort.
En 2005, la statue « la gratitude des Congolais » a reçu une correction historique. Le groupe d’activistes « Stoete Ostendenoare » a coupé la main d’un des congolais se prosternant devant le roi, pour rappeler à la Belgique que la colonisation du Congo, loin d’être une œuvre civilisatrice a été une œuvre barbare. Le groupe demandait en échange de la restitution de la main coupée, qu’une plaque explicative soit ajoutée au monument. Jusqu’à ce jour, la ville d’Ostende a refusé d’ajouter une explication historique à ce monument.
En clin d’œil à cette action et à ses revendications, le collectif a déposé une main en chocolat de plus de 60 cm de haut et de plus de 4 kilo. Réalisée par Enca, un chocolatier engagé, cette main symbolisait également le pillage des ressources du Congo. La Belgique est internationalement reconnue pour son chocolat, d’où vient-il ? Historiquement du Congo ! Dans une mise en scène burlesque, nous avons déposé cette main sous la statue avant de la couper en morceau à coups de hache. En signe symbolique de réparation, le chocolat a été offert aux participant-e-s congolais-e-s qui, non rancuniers, ont partagé le festin.
La fanfare a alors repris la musique, faisant danser la foule.
Nous avons ensuite quitté la jetée pour nous rendre tous ensemble dans un restaurant où de nombreuses personnes ont pris la parole pour rendre un dernier hommage à Patrice Lumumba. Discours revenant sur la lutte de Patrice Lumumba, sur les conditions de son assassinat, chansons ou témoignages ont clôturé cette journée riche en émotions, dédiée à celui que nulle personne emprunte de justice, de liberté et de solidarité ne peut oublier. « Tôt ou tard le peuple se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur (...) sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres » [6].
Vidéos de la cérémonie :
Dailymotion - Hommage à Lumumba
De Streekkrant.be - Moordaanslag op Lumumba herdacht
Vidéo de Patrick Taliercio
Photos : Indymédia Belgique (flandre)
Retrouvez d’autres photos de la commémoration dans la Galerie de photos du CADTM
[1] Signez l’appel du collectif « 2010 : Il est temps que la Belgique reconnaisse ses responsabilités historiques, excuses et réparations ! » http://www.cadtm.org/A-Bruxelles-un-monument-Patrice
[2] Lire : L’affaire Lumumba une seule interprétation possible : le meurtre, par Pauline Imbach et Guy De Boeck. http://www.cadtm.org/L-Affaire-Lumumba-une-seule
[3] Drapeau bleu foncé, avec au centre une grosse étoile de couleur jaune et sur le côté gauche six petites, représentants les régions. Ce drapeau est celui qui figure sur la photo officielle de Lumumba comme Premier Ministre. Les Congolais l’appellent parfois « le drapeau de Lumumba ». Il fut en vigueur du 30 juin 1960 à 1965 où il fut remplacé par celui dit de la « Constitution de Luluabourg » qui a une étoile et une large bande rouge à liseré jaune. Ensuite, Mobutu imposa le drapeau de son Zaïre, puis, Laurent Désiré Kabila remit en vigueur le drapeau de Lumumba et la constitution de 2006, celui de Luluabourg.
[4] Extrait du discours de Guy de Boeck
[5] Extrait du discours de Pauline Imbach
[6] Patrice Lumumba dans la dernière lettre qu’il a écrit à sa femme en novembre 1960.
CADTM France