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Féministe engagée dans les luttes locales et internationales contre le capitalisme, le racisme et le patriarcat, Denise Comanne avait créé le CADTM aux côtés d’Éric Toussaint et d’autres militant-e-s il y a tout juste 20 ans. Le vendredi 28 mai 2010 en fin d’après-midi, elle est décédée subitement suite à un accident cardiaque qui l’a frappée dans la rue à Bruxelles alors qu’elle marchait vers la gare de chemin de fer pour rentrer à Liège après avoir participé activement à un Forum sur le cinquantenaire de l’indépendance de la RD Congo. Durant cette activité de solidarité avec le peuple congolais, elle avait une nouvelle fois brillé par ses interventions engagées et sa joie communicative. Le départ précipité de Denise laisse un énorme vide mais nombreux sont celles et ceux qui, à son contact, ont rejoint son combat contre la dette du tiers-monde et contre toutes les autres formes d’injustice et d’oppression.
Révolutionnaire infatigable, dirigeante politique à la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire, section belge de la Quatrième internationale) pendant de nombreuses années et ancienne déléguée syndicale de la FGTB (Fédération Générale du Travail de Belgique) à la Ville de Liège, Denise aura milité jusqu’au bout dans les mouvements sociaux. Au cours des années 1980, elle avait affronté la répression policière et judiciaire pour son engagement dans le combat des travailleurs de la Ville de Liège soumis à une succession de plans d’ajustement structurel pour payer la dette publique. Elle avait été victime d’une mise en garde à vue, son téléphone avait été mis sur écoute et une condamnation pour participation à des actions de grèves et de rue avait été prononcée… Cela n’avait fait que renforcer sa détermination à lutter pour la justice sociale et des changements révolutionnaires. Pour elle, le combat des peuples au Nord comme au Sud de la planète contre la dictature des créanciers et de la dette ne faisait qu’un. Cinq jours avant son décès, elle avait activement collaboré à la rédaction et à l’adoption d’un appel intitulé « Femmes d’Europe, soulevez-vous ! » (http://www.cadtm.org/Femmes-d-Europe-soulevez-vous) qui proclamait entre autres : « Nous, les femmes du CADTM, exigeons la suspension immédiate du paiement de la dette publique grecque ! Nous exigeons que soit mené dès maintenant un audit de cette dette afin de déterminer la part des dettes illégitimes qu’il faudra abolir purement et simplement ! Nous exigeons l’arrêt des dépenses d’armement et l’investissement des sommes ainsi économisées dans les dépenses socialement utiles : les besoins sociaux et la lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes. Nous appelons à la révolte contre l’austérité que nous imposent les capitalistes. »
Denise avait accepté avec enthousiasme d’être candidate aux élections législatives belges du 13 juin 2010 sur la liste Front des Gauches. L’explication publique qu’elle a donnée pour présenter sa candidature illustre bien sa détermination : « Je suis en révolte permanente contre l’injustice du système capitaliste dont j’ai vu les effets dans ma vie de femme, de travailleuse. C’est pourquoi je milite. J’ai accepté d’être sur la liste Front des Gauches parce que, enfin, après tant d’années d’essais, on a fait un pas vers l’unité de la gauche radicale. » (http://frontdesgauches.be/candidats/liste-chambre-a-liege/denise-comanne.html)
Denise était une internationaliste en pensée et en action : solidarité avec les ouvriers polonais en 1983, avec les mineurs britanniques durant leur longue grève en 1984-1985, animation et coordination de brigades de travail volontaire au Nicaragua pour soutenir la révolution sandiniste entre 1985 et 1989, les actions de solidarité avec le peuple palestinien, plusieurs missions en Afrique (Bénin, Togo, Mali, Burkina Faso, Niger, Tunisie…), en Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Sri Lanka, Népal) et en Amérique latine (Venezuela, Brésil, Cuba…) pour renforcer le réseau du CADTM et participer au renforcement du Forum social mondial, solidarité en Belgique avec les sans papiers (Denise était membre du CRACPE qui lutte notamment contre les centres de détention), sans oublier son rôle dans la revue du CADTM intitulée « Les Autres Voix de la Planète » qu’elle a dirigée entre 2007 et 2009, et pour laquelle elle a écrit de vibrants éditoriaux et articles. Denise savait aussi combien il est important de mener la bataille des idées et elle mettait un point d’honneur à tenir des stands de vente des publications du CADTM. Lorsqu’elle a été fauchée vendredi 28 mai fin d’après-midi, elle emportait avec elle la valise sur roulettes qui servait à transporter les livres et revues du CADTM !
Féministe très active, Denise était également membre du réseau international de la Marche mondiale des femmes. La veille de son décès, elle a terminé une importante contribution : « Pourquoi le CADTM est-il féministe ? » où elle développe une capacité aiguë de critique et d’autocritique à l’égard de sa propre organisation. Ce document est un apport considérable pour l’ensemble du réseau international du CADTM présent dans 29 pays. Enfin, en tant que militante du mouvement altermondialiste, elle avait participé à la fondation et suivait de près les activités d’ATTAC en Belgique.
Depuis l’annonce de son décès, des centaines de personnes ont envoyé des messages de solidarité et de condoléances depuis tous les coins de la planète. On peut continuer à en envoyer à l’adresse suivante : international chez cadtm.org
Pour ceux et celles qui ont l’occasion de se déplacer à Liège, Eric Toussaint, son compagnon, la famille et les proches de Denise recevront les visites le mardi 1 et le mercredi 2 juin de 17h à 19h au centre funéraire de Robermont, 1 rue des Coquelicots à 4040 Bressoux (Liège).
La cérémonie des funérailles suivie de la dispersion des cendres aura lieu au même endroit le jeudi 3 juin 2010 à 10h.
Les personnes qui désirent témoigner leur sympathie peuvent également verser un don au Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM) sur le compte 001-2318343-22 du CADTM avec la mention « A la mémoire de Denise » (pour les virements depuis l’étranger : IBAN : BE06 0012 3183 4322 - SWIFT BIC : GEBA BE BB ).
Messages reçus du 29 mai au 1er juin au matin
(principalement en français, certains en espagnol et en anglais |
(principalement en espagnol, certains en français et en anglais) |
(en anglais) |
Messages reçus du 1er juin après-midi au 8 juin
(en espagnol principalement, quelques uns en anglais) |
(en anglais) |
(en français) |
Denise Comanne, LCR, 6e candidate effective à la Chambre à Liège sur la liste du Front des Gauches
Née en 1949, pas mariée, pas d’enfants mais très heureuse en amour ! J’ai fait des études d’Histoire de l’Art et Archéologie et pendant ces années universitaires (1967- 1972), j’ai participé à toutes les luttes estudiantines (mai 69, enseignement rénové, minerval des étudiants étrangers, etc.). Je me suis à l’époque conscientisée à la question de la dépénalisation de l’avortement et, plus largement, au féminisme.
Employée à la Ville de Liège, j’ai participé très activement aux grands mouvements de grève qui ont secoué la cité en 1982-1983, 1985, 1987 et 1989. A ce moment-là, je suis devenue déléguée syndicale du secteur administratif (FGTB - CGSP - ALR) et militante politique à ce qui était alors la Ligue Révolutionnaire des Travailleurs (LRT - ancien nom de la LCR). Je suis donc membre de ce parti depuis 1984 sans interruption.
Dans les années 1990, j’ai eu la possibilité, tout en restant dans le cadre de la Ville de Liège, de travailler au CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde) et cela, jusqu’à ma retraite en 2009. Le CADTM est une ONG d’éducation au développement dont le sérieux et la force de conviction ont permis de créer un réseau international. A ce titre, j’ai voyagé en Amérique latine (que j’avais découverte auparavant avec les brigades de travail FGTB au Nicaragua), en Afrique et en Asie. Actuellement, je me replonge dans les questions du féminisme étant donné que la crise financière, économique, sociale, écologique va avoir des répercussions spécifiques sur le quotidien des femmes.
Je suis en révolte permanente contre l’injustice du système capitaliste dont j’ai vu les effets dans ma vie de femme, de travailleuse. C’est pourquoi je milite. J’ai accepté d’être sur la liste Front des Gauches parce que, enfin, après tant d’années d’essais, on a fait un pas vers l’unité de la gauche radicale. Il faudra que cette unité se concrétise par un travail et une ligne commune sur le long terme (air connu : ce n’est qu’un début, continuons...).
Dans les plateformes, je suis particulièrement sensible à la revendication « *Révocabilité des élu-e-s *s’ils n’accomplissent pas leurs devoirs et limitation de leurs rétributions au salaire d’un-e travailleur/euse qualifié-e ». Des pays comme le Venezuela, l’Equateur, la Bolivie ont fait la démonstration tout récemment qu’il était possible d’inscrire cette revendication dans une Constitution. Ils nous ont d’ailleurs démontré que de véritables processus constituants avec large participation démocratique permettent d’obtenir des avancées politiques et sociales cruciales. En Belgique, les politiciens font tous les jours la preuve non pas de leur incapacité mais au contraire de leur grande capacité à trahir la population et à la sacrifier sur l’autel du profit.
« Que se vayan todos » comme on dit en Amérique latine... Révocabilité des mandats !
Par Eric Toussaint
*Ce texte a été écrit par Eric Toussaint en 2009 à l’occasion des soixante ans de Denise Comanne
J’ai rencontré Denise en avril - mai 1983 au début d’un combat syndical qui cette fois-là allait durer environ une douzaine de semaines. Nous étions des milliers de travailleurs et travailleuses de la Ville de Liège à entamer une lutte emblématique. 17 500 salariés de la Ville se rebellaient contre le plan d’ajustement structurel que le « gouvernement » de la municipalité (le conseil échevinal appuyé par le conseil communal) avait décidé d’imposer au personnel et à la population. L ’alliance politique au pouvoir était de type « olivier » : socialistes (PS) + écologistes (Ecolo) et « sociaux chrétiens » (PSC devenu aujourd’hui le CDH). Selon eux, afin de rembourser une dette liégeoise d’un milliard d’euros (44 milliards de francs belges à l’époque), il fallait privatiser plusieurs services à la population, réduire le nombre de travailleurs et leur imposer une réduction de salaire. Denise était à l’époque employée au service de l’urbanisme et j’étais enseignant à l’école technique et professionnelle connue sous le nom de la « Grosse Mécanique ». Nous nous sommes rencontrés dans un véritable tourbillon de luttes et de prise de conscience : une grève de longue durée, des piquets de grève, des manifestations de rue, les réunions du comité de grève avec une vingtaine de personnes (dont Denise), des assemblées syndicales régulières avec plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes présentes, des actions musclées, la répression par les gendarmes, des actions de protestation lors des réunions du conseil communal qui entérinaient les mesures antisociales, la recherche de la jonction entre travailleurs des services publics et ouvriers de l’industrie, les discussions de bilan et perspectives plusieurs fois par semaine au restaurant Le Bosphore, au café A l’ombre de la Cathédrale ou ailleurs. Que dis-je, un tourbillon ? Non plutôt une tornade sociale et politique. Tout allait très vite et on le vivait de manière très intense.
J’avais remarqué et beaucoup apprécié (cela continue jusqu’à aujourd’hui) Denise pour sa ténacité, sa combativité, sa volonté de prendre la parole en assemblée (alors que ce n’est pas facile et qu’elle le faisait pour la première fois), son rejet de l’injustice et son refus de se plier devant les ukases d’où qu’elles viennent. De son côté, elle m’a dit plus tard que ma prise de parole lors d’une assemblée dans l’usine de la sidérurgie (à l’ atelier de Jemeppe Kessales) l’avait convaincue de chercher à pousser plus loin notre relation qui était juste amicale et très récente. J’étais intervenu devant une assemblée d’ouvriers et une délégation des travailleurs de la ville de Liège pour expliquer les liens entre les différents combats ainsi que leur dimension politique. Avant la fin de la grève, on a commencé une relation amoureuse, cela devait être en juin 1983. Vingt-six ans déjà !
Je vous passe les détails. Notre relation a toujours eu une dimension politique, sociale et l’internationalisme a joué un grand rôle. En 1983-1984, Denise s’est jointe au Xe voyage que j’effectuais en Pologne pour porter de l’aide à des syndicalistes radicaux, mais surtout on a lancé ensemble avec d’autres camarades les brigades de travail volontaire au Nicaragua révolutionnaire. La révolution avait triomphé dans ce pays en juillet 1979 et nous participions activement à un vaste mouvement de solidarité en y jouant un rôle fort actif. De 1984 à 1989, chaque année ou presque nous avons collaboré à l’organisation de ces brigades qui partaient travailler avec les paysans nicaraguayens. On se cotisait, on organisait des fêtes en Belgique pour apporter de l’aide matérielle à la révolution et chaque brigadiste utilisait ses jours de congé pour aller travailler bénévolement 3 semaines avec les paysans en ayant soin de payer son billet d’avion. Dans les brigades que nous avons contribué à organiser, il y avait presqu’une moitié d’ouvriers de la métallurgie, notamment de Caterpillar et de Cockerill (aujourd’hui Arcelor-Mittal). Une très belle expérience que Denise et moi ne regrettons pas, loin de là. Nous en profitions pour rester en Amérique centrale et à Cuba quelques jours de plus, pour apporter notre soutien à d’autres processus révolutionnaires. A une occasion, cela a failli tourner très mal pour elle et moi, quand nous avons été arrêtés par des militaires honduriens à la frontière entre le Salvador et ce pays alors que nous étions en possession de documents de la guérilla salvadorienne qu’une religieuse m’avait remis la veille dans la capitale salvadorienne. Dans les moments difficiles, face au danger, on n’a pas eu froid aux yeux. Denise fait très bien face à des situations très tendues avec les forces de répression.
Denise, au cours de ces voyages, n’a jamais cherché le confort. On s’est très souvent contenté d’un sommier avec ou sans matelas, d’une paillasse sur le sol ou sur quelques planches de bois. Si Denise vous fait croire qu’elle ne parle pas espagnol, elle vous ment. Les brigadistes qui étaient avec elle dans la « 5ta Région » au Nicaragua en 1989 vous diront qu’elle était la responsable de la brigade et qu’elle dialoguait avec les Nicaraguayens quotidiennement. Mais elle préfère dire qu’elle ne parle pas espagnol. Il faut dire qu’il faut vivre au quotidien avec elle pour savoir combien elle doit faire d’efforts pour entendre ce que les gens disent. Pour elle, à cause de son problème d’ouïe, rester à l’écoute et comprendre tout ce qui se dit est un véritable combat.
Il m’est impossible de raconter davantage ces 26 années d’actions et de lutte dans la place impartie. Mais je dois dire que Denise a déjà vécu plusieurs vies. Elle a été à deux doigts de s’arrêter en chemin un peu après le 11 novembre 2005 , mais elle est finalement ressortie très forte de cette épreuve. Elle en a déduit que la vie devait encore être plus pleinement vécue car elle a une fin. Elle a bien raison. Il faut vivre intensément la vie.
Maintenant elle a commencé une nouvelle vie qui correspond à l’âge de la retraite. Comme de très nombreux retraités, elle ne se mettra pas à l’écart des luttes. Elle restera très active et apportera encore énormément à la réflexion et à l’action. Denise a encore beaucoup de choses à recevoir et à donner.
Elle fait bien partie de manière active et créatrice de ces Autres Voix de la Planète dont elle a pendant deux ans assumé l’entière responsabilité avec succès.
par Eric Toussaint
11 avril 2012
Denise, bientôt deux ans après ton décès, je t’écris. La crise cardiaque qui t’a terrassée est survenue à un arrêt de tram à Bruxelles alors que tu venais de quitter une conférence de solidarité avec le peuple congolais. Transportée par ambulance aux urgences, plusieurs médecins ont essayé de te sauver la vie mais après plus d’une heure de tentative, la vie t’a quittée à 18h44 le vendredi 28 mai 2010. Moi qui ai partagé tant de moments importants avec toi pendant 27 ans, je n’ai pas pu être à tes côtés car j’étais en réunion du CADTM à Dakar. Quand j’ai appris la nouvelle deux heures plus tard, je ne pouvais pas y croire. Je t’écris en pleurant comme presque chaque fois que je pense à toi. Je viens de parcourir les notes que tu as rédigées dans ton calepin pendant la conférence. Jusqu’à la dernière minute, tu t’es battue pour promouvoir la justice dans le monde et tu t’es exprimée avec force pour l’action émancipatrice.(Lire la suite)
Nous publions ci dessous les textes et poèmes adressés à Denise dans « Les Autres Voix de Denise », un numéro spécial rappelant la revue du CADTM « Les Autres Voix de la Planète » que Denise a dirigée entre 2007 et 2009, offert par ses ami-e-s à l’occasion de son soixantième anniversaire.
Vous trouverez l’intégralité du numéro Les Autres Voix de Denise en pièce jointe ci-dessous |
En voix-là, une voie. Bien tracée. Directe, droit au but ; voie rapide. Pas abrupte, non, mais pas non plus de celles qui donnent le mal de mer. Souple, douce, solide aussi, rivée à la terre.
Les arbres le long de la voie de Denise sont des poings levés, toujours plus haut, plus déterminés. Ils sont ancrés dans la Terre mère et se nourrissent de luttes, d’espoirs, de victoires. Ses pavés sont ceux de mai 68 : tantôt rondelets, tantôt carrés. Costauds. Agréables à fouler d’un pas révolutionnaire.. mais gare aux bruits de bottes qui viendraient s’y frotter ! Les pavés deviennent alors glissants et rugueux, prêts à faire trébucher la moindre injustice, la moindre inégalité. Sous les ramures des poings levés. Sotto l’ombra d’un bel fior.
La voie de Denise est traversée de ponts multiples. Elle est un pont, vers les autres mondes possibles, vers les possibles tout court. On peut y voyager en mots, en manifs, en petit bateau de feuille de coca (les pavés parfois se changent en vague montante et enveloppante, de celles qui soulèvent des montagnes), en AVP à roulettes ou flottantes, en randos dans les Fagnes, ou le long de l’Ourthe, en constitution vénézuélienne, en livres du CADTM, en sourires, en abrazos,… Quand on fait un bout de chemin aux côtés de Denise, sur cette voie-pont-vague, impossible de ne pas se laisser entraîner, de ne pas emboîter ses pas sûrs, prompts, décidés. Ils revigorent et ravivent, souvent ouvrent la marche, siempre adelante.
Un carrefour est arrivé, la voie de Denise prend à gauche, comme d’hab’, vers d’autres ponts et d’autres pavés, rebondis, accueillants, toujours prêts à lancer… ou être lancés.
Les ramures des poings levés te prêteront leur ombre lorsque le soleil frappe, te tiendront chaud lorsque le froid tiraille, et t’offriront toujours, au détour du chemin, avec l’été, un apéro bien mérité !
Alice M.
Eu conosc be sel que be’m di
e sel que’m vol mal atressi ;
e conosc be celui que’m ri,
e sels que s’azauton de mi
conosc assatz ;
e atressi dei voler lur fi
e lur solatz
Disait Guillaume d’Aquitaine en provençal, ce personnage « machista », violent, mal ou bon amant mais aussi un grand poète et nous pouvons profiter sa poésie de troubadour :
« ... conozco bien a quien me sonríe,
Y a quienes se divierten conmigo,
Los conozco bastante,
Por eso debo desear su beneplácito
Y su solaz. »
Nous voulons que nos amis soient heureux et jouissent de la vie. Il faut lutter, il faut être inflexible avec les injustices mais la vie on la doit chérir.
Et l’on croit que tout cela est toi, chère Denise, lutteuse infatigable, féministe puissante tendre amie et fidèle amante. Et pour nous, tu es un exemple.
Et nous sommes ici pour fêter avec toi et pour apprendre en plus.
Raúl et Griselda
Denise, c’est le feu, c’est la flamme, de celles que l’on brandit en haut des barricades, de celles qui éclairent les révolutionnaires prêts à renverser les Bastilles de notre temps, IFI et fonds spéculatifs en tête. C’est la tornade-passion qui vous emmène et vous emporte dans ses justes combats – les droits des femmes, les droits des peuples. Le droit de ne pas se laisser dépouiller et asservir, fût-ce sous des discours faussement socialisant à la Grameen Bank. Le droit de vivre debout – et dans la joie. Denise sait de quoi elle parle, elle a lu livres et dossiers, elle a voyagé, elle a écouté. Pas un mot qui ne soit étayé, mais pas un mot non plus qui ne soit animé, qui ne vibre de sa conviction la plus intime. Denise vous prend et vous secoue. Derrière ses ouragans, par dessous ses mises en cause, soutendant ses soutiens, profilant ses projets de cette autre monde tellement nécessaire, par-delà la réflexion, il a le pouvoir immense de la solidarité. Denise décoiffe parfois, mais toujours, si nous le voulons ; elle nous prend par la main.
Christine Pagnoulle
Pour raconter ses combats, ses rencontres, ses révoltes, Denise Comanne mérite un livre ! Alors quand le staff du CADTM m’a proposé d’écrire ces quelques lignes, la réponse positive était la seule possible.
Ma première rencontre avec cette grande dame du militantisme radical a eu lieu à Arles, en août 2000. Je faisais alors mes premiers pas dans l’altermondialisme, qui était d’ailleurs encore l’antimondialisme. Les manifestations contre l’OMC à Seattle en 1999 m’avaient poussé à agir, Attac m’avait attiré. En moins d’un an, j’avais commencé à me former sur ce monde économique qui ne m’était pas familier, et je comptais sur l’Université d’été d’Attac pour compléter utilement cette formation. Je suivais assidument toutes les conférences et tous les ateliers possibles : au programme, multinationales, paradis fiscaux, retraites, dette…
J’ai vite remarqué une dame volontaire et dynamique qui tenait son stand avec passion sur une toute petite table, presque en travers du passage entre l’entrée et la grande halle où se déroulaient les activités. Dès que je me suis approché, j’ai remarqué qu’elle n’avait pas l’accent chantant du Sud. Plutôt l’accent des terrils du Nord et des baraques à frites. Elle m’a très vite appris que c’était celui des ouvrières liégeoises, avec ses « nonante » et ses « septante ». Chaque jour de cette université d’été, j’ai passé de plus en plus de temps vers Denise, puisque c’est bien sûr d’elle qu’il s’agit. Je dois avouer que je l’ai tout de suite adorée. Cela ne s’est pas démenti depuis.
Avec son bagout légendaire, elle m’a bien sûr vendu l’intégralité des œuvres du CADTM pendant ces quelques jours d’août 2000. Et quand un certain Eric Toussaint a pris la parole devant le millier de militants réunis pour parler de la dette du tiers-monde, j’ai été à la fois convaincu et subjugué. L’impression d’un coup de comprendre ce qui se passe derrière le rideau du monde. Si ces deux-là étaient ensemble au CADTM, ma place était à coup sûr au CADTM. C’était le 26 aout 2000, et ce jour-là, j’aurais pu crier « Nous sommes tous des révolutionnaires liégeois ! », avec l’accent de Denise.
Je ne voulais pas partir, ne pas les quitter. Nous avons mangé au restaurant avec quelques autres militants. Eric était fatigué, mais Denise n’a pas hésité devant son plateau de fruits de mer géant. Le vin de Provence a abondamment coulé, la soirée était douce, la révolte grondait un peu plus fort en moi depuis que Denise me parlait. C’est là que j’ai su que je voulais militer à ses côtés.
Fort heureusement, nos rencontres se sont multipliées. En novembre 2000, nous posions les bases du CADTM France et Denise était là. Lors de nos premières réunions, elle venait de Belgique exprès. Elle a été de tous nos combats et elle a suivi toutes les étapes du développement de notre association. Je crois qu’elle n’imagine pas à quel point sa rencontre a été décisive pour moi, ni à quel point sa révolte a alimenté la mienne. Passer une journée avec Denise, c’est emmagasiner de l’énergie militante pour les 10 ans à venir.
De séminaires en manifestations anti-G8, de congrès citoyens en réunions du réseau international, de Liège à Genève, de Bruxelles à l’autre bout du monde, je savais que j’allais croiser Denise et cela était en soi un réel bonheur. Les récits de ses combats passés égayaient nos discussions et nos soirées. Et là, infini respect ! On ne dit plus Denise, mais « Madâââââme Denise ». Parce qu’avec Denise, on se sent légitimé dans ce qu’on pense, aussi radical cela soit-il. Avec Denise, le mot « anticapitalisme » n’est pas un gros mot, plutôt un compliment.
Je me souviens… enfin, pas de l’année ! Peut-être 2003… Denise devait présenter les conclusions d’une journée de débats organisée par le CADTM à l’université de Liège. Et là, au lieu de lister calmement une série de revendications, Denise se met en colère, une vraie colère sincère et contagieuse. Elle avait durement bataillé pendant des semaines pour permettre aux copains africains et latino-américains de prendre part à cette activité importante. Des visas avaient été refusés pour des raisons qu’elle ne pouvait pas accepter. Nombre de représentants des peuples du Sud étaient là, mais trop d’autres n’avaient pas pu venir pour des raisons administratives intolérables. Et devant plusieurs centaines de personnes présentes, sa colère avait explosé, elle avait détaillé tout cela, terminant en vociférant avec raison : « La Belgique est une prison ! La Belgique est une prison ! » Et nous avions tous envie de crier avec elle et de la serrer dans nos bras.
Si je ne devais garder qu’une image de Denise, ce serait celle-là. Aussi longtemps que je vivrai, elle conservera ma révolte intacte contre tout ce qui opprime les peuples du monde. Aujourd’hui, Denise prend sa retraite mais nous savons tous qu’elle ne pourra jamais arrêter de se battre comme elle l’a toujours fait et qu’elle sera toujours à nos côtés pour défendre les opprimés. Et si un jour la révolution anticapitaliste est à portée de main, nul doute que nous y mettrons toutes nos forces. Pour Denise. Parce qu’elle le vaut bien…
Damien Millet
Tu gagnes ton pain sur la violation des droits humains
Par autant de crimes que de dettes illégitimes ;
et d’ingérence internationale que de créances illégales
Tes chèques en blanc aux plus corrompus des dirigeants
Sont aussi douteux que tes contrats de prêts odieux ;
Et que tes conditionnements que tu nommes plans d’ajustements
Tes fonds vautours cachés dans tes paradis fiscaux courent,
Insatiables à l’affût de recouvrements impayables,
Reçus de tes multinationales et de leur évasion fiscale,
Donc j’nique tes dettes
illégales, odieuses, impayables ou onéreuses...
En bref j’nique tes dettes illégitimes
Olivier Chantry
Denise, je l’ai d’abord découverte maternelle. Quand j’ai débarqué à Liège et au CADTM, j’étais un peu paumée, et ses douces attentions m’ont vite fait me sentir comme à la maison. Elle prend soin des jeunes pousses du CADTM, et on peut dire qu’elle a la main verte… La révolution est en germe, les jardiniers de l’ordre établi n’ont qu’à bien se tenir !
Evidemment, la Denise militante n’a pas tardé à se faire entendre. Ses coups de gueule retentissent encore dans bien des oreilles…Garder autant d’indépendance d’esprit, de ténacité dans la lutte, d’intransigeance, et le tout avec fraîcheur et spontanéité, cela ressemble fort à une gageure. Mais Denise est là pour nous démontrer que c’est possible.
La Denise que j’ai eu le plus de surprise et de bonheur à connaître, c’est sans doute la Denise épicurienne. Sur ce terrain, elle a su s’entourer : Ricky Toutou n’est pas non plus du genre à bouder son plaisir.
Et puis, il y a ma préférée, celle pour laquelle j’ai une tendresse particulière, c’est la Denise féministe. Je crois qu’il est difficile de mettre cette Denise-là en mots…elle les choisit beaucoup mieux que nous. Avec Denise, on a tou-te-s envie d’être féministes !
Et puis il y a toutes les autres. Celles que je n’ai pas connues, ou que je n’ai pas encore eu le privilège d’entrevoir. J’espère que la Denise retraitée m’en laissera l’occasion.
En tout cas, si c’est ça avoir 60 ans, je n’ai plus peur de vieillir !
Stéphanie Jacquemont
Mario Benedetti (Uruguay) : Poème à Denise
DEFENSA DE LA ALEGRÍA - DEFENDRE LA GAITE
Défendre la gaîté comme une citadelle
la défendre du scandale et de la routine
de la misère et des misérables
des absences transitoires
ou définitives
défendre la gaîté comme un principe
la défendre du stress et des cauchemars
des neutres et des neutrons
des douces infamies
et des graves diagnostics
défendre la gaîté comme un drapeau
la défendre de l’éclair et de la mélancolie
des naïfs et des canailles
de la rhétorique et des arrêts cardiaques
des épidémies et des académies
défendre la gaîté comme un destin
la défendre du feu et des pompiers
des suicides et des homicides
des vacances et de l’ennui
de l’obligation d’être gai
défendre la gaîté comme une certitude
la défendre de l’oxyde de la rouille
de la fameuse patine du temps
de l’oisiveté et de l’opportunisme
des proxénètes du rire
défendre la gaîté comme un droit
la défendre de dieu et de l’hiver
des majuscules et de la mort
des noms à particule et de la pitié
du hasard
Ainsi que de la gaîté.
Isanièle Racoll (Alpes du Pays d’Oc) : Poème à Denise
A quels seins généreux, avant la clope s’est-elle accrochée pour remplir à ce point sa belle et solide carcasse d’autant d’énergie rieuse ?
De quels seins vigoureux a-t-elle pompé goulûment le breuvage qui continue à la faire
rire, danser, nager, marcher, grimper,
palabrer, argumenter, interpeller, haranguer,
écrire, rédiger, commenter, témoigner
convaincre, enthousiasmer, séduire,
résister, lutter, défendre, militer,
apprendre, découvrir, voyager,
et
porter les valises chargées des livres du CADTM et les bières qui vont avec ?
Denise, maintenant « laisse un peu téter les veines » !
Fais la place aux repos et aux siestes
flemmarde, traîne, paresse, roupille, délasse- toi
mets du rouge aux ongles
et
viens écarter tes orteils face à la Meije à Ventelon
et siroter un pastis sur le port de Marseille !
Daniele Coll
Quand un militant laisse après lui 3 militants, il a au moins sauvé son combat.
Denise, elle, va en laisser des dizaines (centaines ?).
Quand un militant parvient à faire vivre une association toute sa vie, il a fait un exploit.
Combien de CADTM essaimés à travers le monde grâce à l’acharnement et au bagout de Denise ?
Quand un militant a réussi à militer plus de 20 ans, il a dépassé toutes les limites du supportable dans les déceptions et les écœurements.
Denise, elle, a milité combien de fois plus que 20 ans ?
Quand un militant finit par baisser les bras, on glorifie quand même ses années de militantisme.
Ô combien faudrait-il glorifier Denise de n’avoir jamais renoncé !
Quand un militant donne tous ses samedis et la moitié de ses vacances à l’action, c’est un militant « de choc ».
Alors on trouve quel qualificatif pour Denise ?
Quand un militant prend sa retraite, il s’assoit enfin 40% du temps, pense au bilan de ses actions et le reste du temps....il continue !
Denise arrivera-t-elle à s’asseoir 5% du temps ?
Denise, je te suggère donc le défi suivant : le jour exact de ta retraite, passe UNE journée à ne RIEN faire, juste une fois dans ta vie, que tu saches au moins ce que ça fait !
Signé : une militante qui se bat pour essayer d’arriver à ta cheville.
Isabelle MARCOS LIKOUKA
CADTM Brazza
« Je voudrais sans la nommer
Vous parler d’elle
Comme d’une bien aimée,
D’une infidèle,
Une fille bien vivante
Qui se réveille
À des lendemains qui chantent
Sous le soleil.
C’est elle que l’on matraque,
Que l’on poursuit, que l’on traque,
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit, qu’on abandonne,
Qui nous donne envie de vivre,
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout.
Je voudrais sans la nommer
Lui rendre hommage :
Jolie fleur du mois de mai
Ou fruit sauvage,
Une plante bien plantée
Sur ses deux jambes
Et qui traîne en liberté
Où bon lui semble
Je voudrais sans la nommer
Vous parler d’elle :
Bien-aimée ou mal-aimée,
Elle est fidèle ;
Et si vous voulez
Que je vous la présente,
On l’appelle Révolution permanente. »
Moustaki
de la part de Pauline, Myriam et Geert
Photos de la cérémonie d’hommage au centre funéraire de Robertmont le 3 juin 2010 suivie de la dispersion des cendres par Nicolas Sersiron |
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