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La Banque du Sud, ancre nécessaire du processus d’intégration latino-américain
par Daniel Munevar
7 janvier 2011

A quelques jours du IV Sommet de l’UNASUR [1] qui s’est déroulé au Surinam, s’est tenu à Asuncion (Paraguay) le Séminaire « Banque du Sud, Souveraineté et Intégration », les 24 et 25 novembre, à l’initiative de la Présidence de la République du Paraguay, et avec le soutien des entreprises binationales Itaipu et Yacyreta [2]. Les discussions ont rassemblé des représentants de plusieurs pays de la région, parmi lesquels Pedro Paez (Commission technique présidentielle pour une Nouvelle Architecture Financière, Équateur), Alejandro Vanoli (Argentine), Ramiro Chimuris (CADTM AYNA-Uruguay), Daniel Munevar (CADTM AYNA-Colombie), ainsi que les représentants d’organismes internationaux Amenothep Zambrano (Secrétaire Exécutif de l’ALBA [3]) et Michael Clark (CNUCED).

Durant ces deux journées de débats, la discussion s’est centrée sur les obstacles auxquels doit faire face le processus d’intégration régionale, et sur les mécanismes à travers lesquels la Banque du Sud peut contribuer à renforcer un tel processus, dans un contexte marqué par la crise financière dont les secousses continuent d’ébranler l’économie globale. Aussi, tandis qu’on reconnaît les avancées menées dans le cadre de l’UNASUR, notamment quant à son rôle d’appui aux gouvernements bolivien, paraguayen et plus récemment équatorien alors qu’ils traversaient une montée des forces anti-démocratiques, on pointe également l’absence d’avancées en termes d’intégration économique. Ce n’est pas une question mineure, puisque la faible intégration productive signifie qu’il n’y a pas suffisamment d’incitants économiques afin d’encourager l’investissement dans l’intégration régionale. Sans ces incitants, le processus continuera à fonctionner à bas régime et restera exposé aux va-et-vient des cycles politiques nationaux.

En ce sens, après plusieurs années de gouvernements dont le discours accorde une place prépondérante à l’intégration, il est préoccupant que le commerce intra-régional occupe toujours le second rôle. Pour preuve, les principaux partenaires commerciaux de la CAN [4] restent les États-Unis, et l’Union européenne dans le cas du MERCOSUR [5]. Au sein de l’ALBA, la situation n’est guère meilleure. Des avancées importantes ont été réalisées en termes d’alphabétisation dans les pays membres et la Mission Milagro [6] a été un succès retentissant, mais d’un point de vue financier les opérations de l’ALBA concernent quasi exclusivement le programme PetroCaribe [7]. Cette situation implique deux choses : d’abord, une réelle diversification de l’agenda en matière d’intégration productive n’a pas été atteinte, mis à part l’exportation de pétrole à des conditions favorables de la part du Venezuela ; ensuite, si ces exportations ont effectivement joué un rôle fondamental pour protéger les pays membres de PetroCaribe de la volatilité des prix internationaux des matières premières, ce type de transaction s’apparente néanmoins davantage à de l’aide publique au développement qu’à un processus d’intégration.

Dès lors, pour que le processus puisse avancer, il est nécessaire d’intégrer les capacités productives régionales, en créant et en renforçant les flux commerciaux et financiers afin de diminuer la dépendance à un seul type de relation commerciale basée sur le pétrole et, de fait, sur un modèle de développement extractiviste. En la matière, la Banque du Sud dispose d’un énorme potentiel pour contribuer au financement nécessaire à la poursuite de ce projet. L’utilisation commune des ressources régionales créerait un saut quantitatif et qualitatif dans des domaines clefs de l’intégration, tels que la souveraineté alimentaire, énergétique, la souveraineté en matière de santé et de production de connaissances. Tant que des avancées dans ces domaines ne sont pas accomplies, par le biais d’une discussion inclusive et constructive, et bien sûr par le biais de projets productifs concrets dans une logique différente de l’extractivisme, le processus d’intégration régionale reste vulnérable aux attaques économiques et politiques d’agents externes opposés à un tel processus.

Mener à bien ces initiatives implique la participation, en tant qu’acteur central, des mouvements sociaux. Seule la participation active et critique du mouvement social peut peser sur l’agenda actuel de l’intégration et l’orienter vers des thèmes clairement en lien avec le bien-être des peuples. Sans quoi on court le risque de voir le projet rester aux prises des vieux intérêts économiques contraires à l’intégration régionale. Comme le montre l’expérience récente de l’Union européenne, un processus d’intégration qui obéit aux paradigmes économiques traditionnels finit toujours par opérer contre les intérêts des populations. Forts de cet exemple, nous devons avancer sur base d’un agenda alternatif au sein duquel la Banque du Sud finance un modèle de développement différent, libéré du cercle vicieux de la dette, de la destruction de la nature et des modes de vies. Un modèle de développement au sein duquel le bien-être de la population et de la nature priment sur les perspectives de profits, et où l’allocation des ressources régionales tient compte des revendications historiques de l’Amérique latine.

Traduit par Cécile Lamarque


Notes :

[1Créée en mai 2008, l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) réunit 12 pays d’Amérique du Sud : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Surinam, Uruguay, Venezuela (NDT).

[2Entreprises binationales hydroélectriques, Itaipu appartient au Paraguay et au Brésil, Yacyreta au Paraguay et à l’Argentine (NDT).

[3L’ALBA (Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América, Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique) est un projet d’intégration alternative proposé en 2003 par le président du Venezuela en réponse à l’ALCA (Área de Libre Comercio de las Américas, Zone de Libre Échange des Amériques), l’initiative des États-Unis. Opérationnelle depuis 2004, elle comprend maintenant le Venezuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, St Vincent et les Grenadines, l’Équateur, Antigua & Barbuda. La proposition d’intégration inclut des projets dans plusieurs domaines tels que la finance, l’éducation, les infrastructures, la science et technologie, l’énergie, l’environnement, etc. (NDT).

[4La Communauté Andine des Nations (CAN) est une organisation sous-régionale formée de la Bolivie, de la Colombie, de l’Équateur et du Pérou. La CAN a connu une grave crise au début de l’année 2006 avec la sortie du Venezuela du fait de la ratification par la Colombie et le Pérou d’un traité de libre-échange avec les États-Unis.

[5Le Marché commun du Cône Sud, ou Mercosur, a été créé en 1991 par le Traité d’Asunción. Il rassemble à l’origine le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Le Venezuela a entamé son processus d’adhésion en décembre 2005. Plusieurs pays ont le statut de « pays associé » : la Bolivie et le Chili depuis 1996, le Pérou depuis 2003, la Colombie et l’Équateur, depuis 2004 (NDT)

[6En 2004, les gouvernements de Cuba et du Venezuela ont entamé une campagne commune, la Misión Milagro (Mission Miracle) pour soigner gratuitement dans toute l’Amérique latine des personnes souffrant de maladies des yeux (NDT).

[7PetroCaribe est un accord énergétique créé à l’initiative du Venezuela afin de fournir aux pays de la région non exportateurs d’hydrocarbures du pétrole à un prix inférieur au prix du marché mondial (NDT).

Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.