Le soir du 14 janvier, au moment où je regardais les informations
sur la télé et la reprise du discours de l’ex-président tunisien où il
empruntait le fameux “je vous ai compris” du Général de Gaulle, je me
suis dit que c’est, encore une fois, une sale manœuvre pour faire
calmer les protestataires et étouffer cette révolution extraordinaire
du peuple tunisien. Ma méconnaissance de l’état des lieux en Tunisie,
la force de sa jeunesse et sa détermination était certainement à
l’origine de mes craintes, puisque avant même la fin de ce journal
d’information, on nous informe que le “grand” dictateur, qui faisait
trembler presque tout le monde en Tunisie, a pris la fuite comme un
petit lâche voyou.
Un mouvement principalement contre la “HOGRA”
“HOGRA” politique
Si le jeune tunisien devenu martyr et héros national, Mohamed
ELBOUAZIZI, a pris cette décision suicidaire de s’immoler c’est
surtout contre la HOGRA qu’il a senti des représentants de ce régime
répressif. Habitant à Sidi Bouzid, ville de 40 000 habitants située
dans le centre-ouest de la Tunisie, Mohamed Bouazizi a dû arrêter ses
études secondaires après la mort anticipée de son père qui était
ouvrier agricole. En vendeur ambulant de fruits et de légumes, il a
pris la lourde responsabilité d’une famille de 7 enfants. À l’image de
ses confrères dans toute la région maghrébine, Mohamed se fait
régulièrement confisquer sa marchandise par les policiers, insulter
et humilier à chaque fois qu’il essaye de la restituer. Ce jour-là, il
en avait assez !
Si les contestations, qui ont débutées par des dizaines de manifestants
dans cette petite localité, se sont élargies à des milliers de protestants
un peu partout dans le pays, c’est que tout le peuple tunisien, avec ses
femmes et ses hommes, jeunes et moins jeunes, s’est identifié à Mohamed
ELBOUAZIZI et avait envie de dire « BASTA » : ça suffit !
23 ans de dictature : ça suffit !, 23 ans d’humiliation : ça
suffit !, 23 ans d’état d’exception où une simple réunion, un sit-in,
une manifestation sont réprimés dans le sang et l’exemple du bassin
minier de Rdayef et plus qu’éloquent !
“HOGRA” économique
Si les IFI, et à leur tête la BM et le FMI, ne manquent pas l’occasion
pour présenter la Tunisie comme un modèle à suivre pour les pays de la
région, le peuple tunisien a souffert longtemps de cette mafia
économique autour du président déchu et sa femme. Au moment où la
bourgeoisie tunisienne accumulaient les richesses, les jeunes avaient
de plus en plus de difficultés à trouver un emploi stable et digne.
Une révolution au bon moment
Cette révolution vient pour rappeler que l’histoire de cette région
maghrébine n’est pas encore finie et qu’elle sera écrite et inventée
par ces militantes et militants, ces femmes et ces hommes humbles,
appauvris, réprimés mais toujours fiers. La révolution n’est plus
aujourd’hui un mythe ou un vœux pieux, avec le nouveau modèle
tunisien, elle est redevenue possible, voire nécessaire pour
l’émancipation de tous les peuples de la région.
Avec la lutte du peuple tunisien le mot “Révolution” redevient
d’actualité, retrouve toute sa force, ce n’est plus un tabou réservé,
comme on essayait de le présenter, à une poignée de nostalgiques rêveurs
dont nous faisons partie… le mot a été démocratisé et réapproprié par
le peuple…
Avec votre lutte, chères sœurs et chers frères tunisiens, la jeunesse a
retrouvé sa vraie place au devant de la scène politique, la vraie
politique, une politique qui s’exerce sur le terrain chaque jour et
partout, dans la rue comme dans les institutions, et non pas les
caricatures des élections auxquelles on nous invite chaque 5 ans !!
Avec votre révolution, chers sœurs et frères tunisiens nous avons
retrouvé une boussole dont nous avions tant besoin pour guider nos
lutte vers notre émancipation totale politique, économique et
culturelle en tant que peuples.
Avec votre révolution, nos espoirs renaissent, nous renouons avec nos
rêves, et nous rechargeons nos batteries pour continuer notre lutte.
Chers frères et sœurs tunisiens : merci !
En espérant que vous meniez votre révolution jusqu’au bout et que nous
commencions la nôtre !
Jawad – 18-01-2011
Attac/Cadtm Maroc
Jawad Moustakbal est le coordinateur national au Maroc pour l’International Honors Programme : « Climate Change : The Politics of Food, Water, and Energy » à la School of International Training (SIT) dans le Vermont, aux États-Unis. Il a travaillé en tant que chef de projet pour plusieurs entreprises, dont l’OCP, l’entreprise publique marocaine de phosphates. Jawad est également un militant de la justice sociale et climatique, il est membre du secrétariat national d’ATTAC/CADTM Maroc, et membre du secrétariat partagé du Comité international pour l’abolition des dettes illégitimes. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur civil de l’EHTP de Casablanca.