Depuis l’été 2011, les expressions « lutte des classes » et « guerre des classes » sont au cœur des discours de porte-parole des classes dominantes.
Il est frappant de constater que dans le langage de la communication de masse, ce sont aujourd’hui les classes dominantes ou leurs représentants qui parlent de guerre des classes.
Aux États-Unis, la classe capitaliste se sent tellement en position de force politique et idéologique face au peu de résistance sociale qu’elle brise le tabou de la lutte des classes. Si elle le fait, c’est aussi qu’elle sent que sa situation dominante peut plus ou moins rapidement se dégrader. Les actions des indignés à Wall Street et dans d’autres villes l’inquiètent.
Les gouvernements, face au désastre financier et productif causé par la classe capitaliste, envisagent timidement de taxer un peu les riches. Il n’en faut pas plus pour que le parti républicain dénonce Barack Obama comme le responsable de la guerre de classes (« class warfare »). Celui-ci, afin de se défendre de porter atteinte aux capitalistes, prend comme bouclier Warren Buffett, l’un des deux plus riches capitalistes nord-américains et parle de « règle Buffett » (Buffett rule). En effet, Buffett a dressé il y a quelques mois le constat suivant : sa secrétaire paie deux fois plus d’impôts que lui. Le thème du discours d’Obama autour de la « règle Buffett » est le suivant : il faut éviter que les ménages qui gagnent plus d’un million de dollars par an paient moins d’impôts que ceux qui gagnent moins d’un million. Au Royaume-Uni comme sur le Vieux continent, le débat est aussi engagé puisque les gouvernements de Silvio Berlusconi et de Nicolas Sarkozy ont créé une petite taxe supplémentaire pour les ménages qui gagnent plus de 300 000 euros et 500 000 euros respectivement. En G-B, on débat du taux marginal d’impôt sur la tranche la plus élevée des revenus.
L’hebdomadaire The Economist, porte-parole traditionnel de la classe capitaliste britannique, prend position. Dans son édition du 24 septembre 2011, il titre en première page « La chasse aux riches » (« Hunting the rich »), l’illustration montre un Barack Obama à cheval en habit de chasseur entouré d’une meute de chiens lancés à la poursuite des riches qui s’enfuient avec leur magot. L’éditorial principal développe le sujet d’une manière qui se veut pondérée. Le sous-titre énonce : « Les nantis devront payer plus de taxes. Mais il y a de bons et de mauvais moyens de les faire payer ». L’éditorial poursuit : « Dans le monde développé, la chasse pour prélever plus de taxes sur les nantis est ouverte ». Après avoir mentionné les débats provoqués aux États-Unis par la volonté d’Obama d’appliquer la règle Buffett et les décisions prises par Berlusconi et Sarkozy, il ajoute : « La guerre de classe est peut-être un terme un peu fort mais il exprime un débat fondamental dans les sociétés occidentales : qui doit souffrir pour redresser les finances publiques ? ».
Le discours est très idéologique : « En général, les instincts de ce journal (« this newspaper’s instincts ») sont favorables au gouvernement le plus réduit possible et opposés à toute augmentation des taxes pour financer un insoutenable État de bien-être social. Nous rejetons la notion, implicite dans beaucoup de débats actuels, selon laquelle des taux d’imposition plus élevés sur les nantis sont justifiés par le rôle de l’industrie financière dans la crise. Une punition est peu rationnelle pour justifier une taxe ». The Economist affirme que le 1% des plus riches Américains contribue fortement à l’impôt et que les très riches à Londres paient plus de taxes que dans toute autre grande place financière (ce que l’hebdomadaire regrette amèrement). Néanmoins, The Economist finit par concéder que malgré tout, il est vrai qu’il faudra bien que les nantis paient un peu plus de taxes car la réduction des dépenses sociales touche davantage les moins nantis (« the less well-off ») que les plus nantis. The Economist propose de faire porter l’effort sur le patrimoine des plus riches plutôt que sur leurs revenus.
Et si on taxait les deux très fortement afin de redistribuer la richesse ?
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.