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Entretien avec Hugo Arias, coordinateur de Jubilé Equateur :
Les traités de protection des investissement sont dangereux pour la souveraineté nationale et les droits humains
par Renaud Vivien , Hugo Arias Palacios
15 novembre 2011

Propos recueillis par Renaud Vivien
Hugo Arias est le coordinateur de Jubilé Équateur et l’ancien président de LATINDADD (un réseau latino-américain travaillant notamment sur la dette des pays du Sud). Il a également fait partie de la Commission d’audit intégral de la dette publique équatorienne (CAIC) avec Éric Toussaint (président du CADTM Belgique), qui intervient à ses côtés dans le documentaire « Debtocracy [1] ». Nous avons réalisé cette interview en marge des activités organisées à Bruxelles du 5 au 8 novembre par plusieurs réseaux militants [2] à l’occasion de la Semaine d’action sur les Traités de protection des investissements et l’arbitrage international. Au cœur de cet entretien : les suites de l’audit de la dette équatorienne, les traités de protection des investissements, les relations de l’Équateur avec ses créanciers et le projet d’une nouvelle architecture financière régionale en Amérique latine.

Renaud Vivien : Hugo Arias, vous avez été porte-parole de la Commission d’audit en Équateur (CAIC). Cet audit a permis d’identifier une série de dettes illégitimes et a eu des résultats significatifs puisqu’il a permis à l’Équateur d’épargner plus de 7 milliards de dollars, autant d’argent qui était initialement destiné au remboursement des créanciers privés. Pour autant, considérez-vous que l’audit de la dette équatorienne est terminé ?

Hugo Arias : Non, certainement pas. Lors de la conférence internationale que nous avons organisée à Guayaquil (en Équateur) en janvier dernier entre les différents réseaux travaillant sur la dette du Sud (dont le CADTM), nous nous sommes engagés à poursuivre l’audit de la dette équatorienne (suite à la demande du Président Rafael Correa) en nous focalisant cette fois sur la dette multilatérale, notamment celle qui a été contractée à l’égard de la Banque mondiale durant ces 30 dernières années. En effet, les 7 milliards de dollars d’économie auxquels vous faites allusion dans votre question ne portent que sur la dette commerciale : autrement dit la dette due par les autorités équatoriennes à l’égard de ses créanciers privés [3]. Nous poursuivrons par ailleurs notre travail d’audit de la dette dans d’autres pays d’Amérique latine.

Nous nous réunirons à nouveau à Guayaquil en janvier 2012 pour présenter publiquement les avancées sur ces audits mais aussi sur le projet de nouvelle architecture financière en Amérique latine composée de la Banque du Sud, du Fonds Monétaire du Sud et du CIRDI du Sud. Ces nouvelles organisations doivent constituer des alternatives régionales à la Banque mondiale, au FMI et au CIRDI [4]. Lors de cette prochaine conférence, nous inviterons également des représentants officiels du gouvernement équatorien et d’UNASUR (Union des Nations sud-américaines [5]) pour les interpeller sur ces différents points.

R.V : Avant d’aborder cette nouvelle architecture financière régionale et les traités de protection des investissement qui sont directement liés au CIRDI, j’aimerais revenir sur la dette équatorienne et sur les relations entre l’Équateur et les créanciers internationaux. Quels sont aujourd’hui les rapports avec les Institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) ?

H.A : Tout d’abord, il faut souligner que le peuple équatorien est pleinement conscient des dommages qu’ont causé le FMI et la Banque mondiale à notre pays, à travers l’endettement et les plans d’ajustement structurel que ces deux organisations ont imposé au peuple au lendemain de la crise de la dette du tiers-monde de 1982. Le peuple ne pourra jamais leur pardonner. C’est d’ailleurs cette prise de conscience citoyenne qui a poussé Rafael Correa a créer la CAIC en 2007, dès le début de son mandat présidentiel pour faire la lumière sur l’endettement encouragé par le FMI et la Banque mondiale et à rompre ses relations avec eux. En effet, depuis l’accession de Correa à la présidence, aucun prêt, aucun programme n’a été conclu avec ces deux organisations. Correa ne supporte même plus leur présence. On l’a bien vu lors du dernier Sommet Ibéro-américain, qui s’est tenu le 29 octobre dernier à Ascuncion (Paraguay). Correa est sorti avec fracas de la salle de conférence pendant l’allocution de la représentante de la Banque mondiale pour le continent sud-américain afin de protester contre l’ingérence de cette institution dans les affaires internes de nos États. Mais comme je l’ai dit précédemment, il reste encore des dettes à l’égard de la Banque mondiale. Nous allons pousser le gouvernement à les répudier, sur base de l’audit.

R.V : Quelles sont les relations avec les autres créanciers comme la Chine ?

H.A : La Chine prend de plus en plus d’importance en Amérique latine. Le gouvernement équatorien s’est effectivement tourné vers la Chine pour financer certains de ses investissements dans le domaine des infrastructures et surtout dans le secteur énergétique. En effet, l’Équateur a récemment contracté des prêts d’environ 5 milliards de dollars s’étalant sur 5 ans à l’égard de la Chine. Ces prêts orientés vers le financement des projets de développement principalement dans le secteur énergétique, seront donc décaissés progressivement au cours des 5 prochaines années. Les taux d’intérêt sont par ailleurs très élevés, autour de 7,5%.

R.V : Revenons à présent sur l’autre axe prioritaire du travail de LATINDADD : la constitution d’une nouvelle architecture financière en Amérique du Sud. Une première étape semble avoir été franchie, non sans difficultés, avec la création de la la Banque du Sud. Est-ce qu’elle fonctionne aujourd’hui ?

H.A : La convention constitutive de la Banque du Sud a été signée le 27 septembre 2009 au Venezuela, par les présidents argentin, bolivien, brésilien, équatorien, paraguayen, uruguayen et vénézuélien. Mais elle ne fonctionne pas encore car les Parlements de certains États signataires n’ont pas encore ratifié l’accord portant sa création. C’est le cas du Paraguay, du Brésil et de l’Uruguay. On espère que ces parlements vont ratifier au plus vite cet accord pour que cette banque puisse enfin commencer ses activités en 2012.

A côté de cette Banque du Sud, nous travaillons à la création d’un Fonds monétaire du Sud (toujours pour le continent latino-américain dans un premier temps) qui, évidemment, ne fonctionnerait pas selon les mêmes règles anti-démocratiques du FMI. L’objectif de ce Fonds monétaire du Sud serait notamment d’aider les pays à régler leurs problèmes de balance commerciale et d’aider au contrôle des flux de capitaux (notamment les flux Nord-Sud). Enfin, le CIRDI du Sud parachèverait cette architecture en tranchant les litiges entre les transnationales et les États latino-américains. La principale différence avec le CIRDI de la Banque mondiale est que cette nouvelle organisation devra assurer la primauté des droits humains sur les droits des investisseurs.

R.V : Les droits des ces « investisseurs » sont garantis notamment dans les Traités de protection des investissement conclus par les États. Le gouvernement équatorien, en plus d’être sorti du CIRDI, a dénoncé plusieurs de ces traités. Quelles sont les principales raisons qui ont poussé le gouvernement à ne pas les reconduire ? Quel est l’état actuel du droit des investissements en Équateur ?

H.A : Les traités de protection des investissements sont dangereux pour la souveraineté nationale et les droits humains car ils ne donnent aucun droit aux États. Seules les entreprises sont protégées via le recours aux instances d’arbitrages comme le CIRDI qui sont garantes du respect de ces traités. Il suffit qu’un parlement adopte une mesure (comme une loi environnementale ou une loi augmentant les impôts sur les sociétés) qui va à l’encontre des intérêts des transnationales pour que l’État soit sanctionné par les arbitres internationaux. Ces arbitres, qui se substituent à la justice nationale du pays hôte des investissements, condamnent ces États à de lourdes amendes. Les traités de protection des investissements constituent donc un obstacle certain à la mise en place d’une véritable politique de développement. Or, la Constitution équatorienne affirme le caractère souverain du pays sur le plan politique, juridique et économique. C’est pourquoi Rafael Correa a demandé au Parlement de supprimer 13 traités sur les 17 existants en Équateur. Pour l’instant, 8 traités ont été abrogés car ils sont incompatibles avec la Constitution. Il reste donc à examiner les traités restants.

Soulignons que l’Équateur a refusé, sous la pression des mouvements sociaux, de signer le traité de libre commerce avec les Etats-Unis et que depuis 2006 aucun traité sur les investissements n’a été conclu. En revanche, nous avons depuis 2010 un code de la production qui régule les investissements étrangers. En résumé, selon ce code, les investisseurs étrangers ont les mêmes droits que les investisseurs équatoriens (ils peuvent par exemple contracter des prêts à l’égard de banques locales) mais ils sont obligés de respecter le droit du travail, le droit de l’environnement et s’acquitter des impôts déterminés par les pouvoirs publics équatoriens. Par ailleurs, les secteurs stratégiques tels que les ressources naturelles restent sous le contrôle exclusif de l’État.

Enfin, selon l’article 422 de ce code, l´État ne peut pas signer de traité qui lui imposerait de renoncer à sa compétence juridictionnelle en cas de litige. S’il y a conflit entre l’État et les investisseurs, les investisseurs étrangers ne pourront saisir l’arbitrage international qu’en dernier recours et ces arbitres ne pourront appliquer que le droit équatorien. Ces entreprises devront donc au préalable saisir les tribunaux équatoriens et c’est le droit national qui s’applique, conformément à la doctrine Calvo [6]. C’est une question de souveraineté nationale !


Notes :

[2Les principaux organisateurs étaient : Seattle to Brussels (S2B) network, Network for Justice in Global Investment (NJGI), EU-ASEAN FTA network, Campaign against BITs and ICSID Latin America, Hemispheric Social Alliance, Europe-Latin America biregional network Enlazando Alternativas, Transnational Institute (TNI), SOMO, PowerShift, Corporate Europe Observatory (CEO), 11.11.11, Traidcraft UK, Oxfam Solidarity, Chamber of Labour

[3Sur base de cet audit, le président Correa a, en effet, pu imposer aux créanciers privés le rachat par le gouvernement équatorien pour moins de 1 milliard de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. En comptant les intérêts sur ces dettes qui ne seront pas remboursés, l’Équateur a économisé au total 7 milliards de dollars.

[4Le CIRDI est le Centre international de règlement des différents relatifs aux investissements. Cet organe d’arbitrage, qui fait partie intégrante du groupe de la Banque mondiale, est chargé de trancher les litiges entre les transnationales et les États. La Bolivie et l’Équateur se sont retirées de cette institution en 2007 et 2008.

[5L’UNASUR est composée de 12 pays : l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur, la Colombie, le Brésil, le Chili, le Pérou, la Guyane, le Paraguay, l’Uruguay, le Suriname et le Venezuela. Cette union économique et politique vise notamment à contourner le recours à l’Organisation des États américains(OEA), dont les États-Unis sont partie prenante, lors du traitement de problèmes spécifiquement sud-américains.

[6Selon la doctrine Calvo, le droit et les tribunaux nationaux sont seuls applicables et compétents pour réguler les relations contractuelles entre l’État et les investisseurs étrangers, à l’abri de toute influence et intervention extérieure.

Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.

Hugo Arias Palacios