printer printer Cliquer sur l'icône verte à droite
La Jamaïque dans l’étau du FMI
par Olivier Bonfond
12 août 2004

Le « paradis » jamaïcain

Troisième île des Caraïbes en superficie, la Jamaïque est à peine plus grande que la Corse. Son climat est tropical, sa végétation luxuriante. Montagnes, chutes d’eau, barrières de corail et plages de sable blanc font rêver. Mais c’est aussi un pays qui évoque en nous des notions porteuses d’une symbolique forte : Reggae, cannabis, rastas, Bob Marley, solidarité, respect, cool... un vrai petit paradis. Si cette vision idyllique peut paraître vraie pour un touriste « aveugle », en quête de repos et de dépaysement, la réalité est loin d’être aussi « cool » pour les habitants de l’île. Les problèmes sociaux et économiques sont énormes. Pauvreté, violence (« Kingston se classe parmi les dix villes les plus dangereuses des Amériques »), habitations insalubres, installations sanitaires déficitaires, équipement public déficient, ... font partie du quotidien de la majorité des Jamaïcains. Et les perspectives d’amélioration sont maigres, voire nulles. L’Etat est en effet asphyxié sous le poids d’une dette énorme. Le gouvernement doit à l’heure actuelle consacrer 65% de son budget au remboursement de la dette. Alors que 9% sont consacrés à l’éducation, et 4% à la santé ! La Jamaïque est aujourd’hui dans une impasse...

1972 - La naissance d’un espoir

En février 1972, dix ans après l’acquisition de l’indépendance de l’île, Michael Manley est élu Premier Ministre. Amateur de reggae, tiers-mondiste, son projet politique est résolument de gauche. Egalité des salaires entre hommes et femmes, instauration d’un revenu minimum, augmentation des dépenses publiques de santé, élargissement de la gratuité de l’éducation, lutte contre l’illétrisme, réforme agraire, sont autant de mesures qu’il s’applique à mettre en œuvre dès son arrivée au pouvoir. Et les résultats sont manifestes (en 1985, le taux de mortalité est inférieur à celui des USA). Mais le choc pétrolier de 1973 va paralyser le pays. Le prix du pétrole est multiplié par quatre du jour au lendemain. Il faut dire que « la principale richesse minière du pays est la bauxite (...). Il se trouve que la transformation de la bauxite en alumine, première étape de la préparation de l’aluminium, nécessite beaucoup d’énergie (...). La facture pétrolière explose » [« La Jamaïque dans l’étau du FMI - La dette expliquée aux amateurs de reggae, aux fumeurs de joints et aux autres » - Damien Millet, François Mauger - L’Esprit Frappeur.]].

David Contre Goliath

M. Manley a besoin d’argent pour financer ses réformes. Les USA ne supportent pas ses liens avec Cuba. Les créanciers privés n’apprécient guère ses objectifs progressistes qui menacent leurs perspectives de profit. Le FMI (Fonds monétaire international) est donc la seule solution possible. Mais le Fonds ne prête que sous certaines conditions. Le pays devra entreprendre des réformes néolibérales : dévaluation de sa monnaie, gel des salaires, forte diminution des dépenses publiques, ... Ces mesures sont en totale contradiction avec le programme de M. Manley, qui entendait privilégier les besoins sociaux. Le combat est lancé. Que va-t-il se passer ? Quelle sera l’issue du combat ? M. Manley pliera-t-il ? Qu’en sera-t-il de ses successeurs ? Quels sont les personnages qui ont marqué de leur empreinte cette histoire ? Quelle est la situation actuelle du pays et quelles en sont les causes profondes ? Dans un langage accessible à tous, ce livre répond à toutes ces questions. Il nous raconte la lutte entre le FMI et la Jamaïque. Une lutte semée de rebondissements, de pressions extérieures, de campagnes de déstabilisation du pouvoir, d’émeutes, d’arnaques politiques, mais aussi de victoires.

« La Jamaïque dans l’étau du FMI » : un outil de compréhension globale

S’intéresser à l’histoire de la Jamaïque est essentiel. En tant que citoyen du monde, il est de notre devoir de comprendre, afin de pouvoir prendre position avec lucidité. Si la Jamaïque ne sort pas du cercle vicieux de la dette, la détresse que connaît son peuple s’annonce sans issue. Une situation révoltante et intolérable, qui ne peut qu’éveiller en nous un sentiment de solidarité et l’envie de s’engager à ses côtés.

Mais cet ouvrage est bien plus que cela. En mettant en évidence le rôle central qu’a joué la dette dans l’explication du sous-développement du pays, il nous permet d’avoir une vision claire sur la situation critique de la quasi totalité des pays du tiers-monde. L’exemple jamaïcain est riche d’enseignements, car sous bien des aspects, l’histoire de la Jamaïque n’est malheureusement pas un cas particulier.

Primo, le FMI impose depuis plus de trente ans des pressions énormes pour faire « rentrer dans le rang » tous les Etats du tiers-monde. D’autant plus quand ceux-ci ont, comme la Jamaïque, voulu décider par eux-mêmes de leur avenir, en élaborant des modèles de développement autonomes et en harmonie avec leurs visions politiques. Si la mondialisation néolibérale n’a pas oublié la Jamaïque, beaucoup d’autres en ont connu les affres : le Chili, Cuba, le Congo, ou encore le Brésil et le Vénézuela n’en sont que quelques exemples.

Secundo, les gouvernements et les multinationales du Nord ont réussi, de manière très subtile, à remplacer une colonisation politique par une colonisation économique. En Jamaïque comme ailleurs, le FMI a été l’instrument de cette colonisation ; la dette, l’arme du crime. Parce que les pays du Sud sont endettés, le FMI peut leur imposer des politiques économiques conformes aux intérêts des puissances économiques et financières du Nord.

Tertio, la diversité historique, politique et économique des pays en développement doit être prise en compte lorsqu’il s’agit de créer un modèle de développement viable. C’est une évidence. Le FMI, quant à lui, nie cette diversité. A l’heure actuelle, aux côtés de la Jamaïque, c’est plus de 100 pays et 80% de la population mondiale qui doivent subir les politiques d’ajustement structurel dévastatrices d’un point de vue humain.

Quarto, contrairement au discours officiel qui met l’accent sur la générosité du Nord en médiatisant l’aide au développement, la Jamaïque rembourse à l’heure actuelle plus que ce qu’elle ne reçoit en aide. La dette est un véritable mécanisme de transfert de richesses du Sud vers le Nord. De nouveau, cette constatation est valable pour l’ensemble des pays du tiers monde. En 2002, les pays en développement ont remboursé au titre du remboursement de la dette 343 milliards de dollars, alors que l’aide publique au développement (APD) s’élevait à environ 37 milliards de dollars !

Que faire ?

Créé en 1944 lors des accords de Bretton Woods, le FMI a pour objectif officiel d’assurer la stabilité financière internationale et de contribuer à la croissance et au développement de l’ensemble des pays en développement. Après vingt ans de politiques d’ajustement structurel, force est de constater que partout, la pauvreté et les inégalités ont augmenté. Partout. Les théories du FMI ont chaque fois été contredites par la réalité. Ses calculs et ses conseils n’ont pas atteint leurs objectifs proclamés. Il a clairement participé à la dégradation des conditions de vie de milliards de personnes et porte une part évidente de responsabilité dans l’apparition des crises financières de ces dernières années (au Mexique en 1982 et 1994, en Asie du Sud-Est en 1997, en Russie l’année suivante, en Argentine en 2000... ). Un constat s’impose : le FMI a échoué. Malgré cela, son pouvoir se renforce, son impunité reste totale, et ses objectifs sont clairement de pousser encore plus loin « l’intégration » des pays du Sud à l’économie mondiale. Que faire ?

Drop the debt !

La Jamaïque, tout comme les autres pays en développement, est dans une impasse. L’annulation de la dette est prioritaire. Les arguments contre une annulation pure et simple ne résistent pas à l’analyse. En revanche, les arguments historiques, politiques, écologiques, moraux et juridiques qui justifient sa suppression sont indiscutables. Mais l’annulation de la dette financière ne suffira pas. Elle n’est qu’une première étape. Il faut proposer des alternatives concrètes. Avec efficacité, simplicité, et pédagogie, « La Jamaïque dans l’étau du FMI » développe toutes ces réflexions et questionnements. Un livre à se procurer... et à lire avec toute l’attention qu’il mérite. Il est en vente au CADTM au prix de 4 euros.


Olivier Bonfond

est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).

Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles