Auditer la dette de sa collectivité (et des établissements publics) grâce au droit à l’informationAuditer la dette de son hôpital public grâce à ses représentants salariés et au droit à l’information..
Les établissements publics de santé sont dotés d’un cadre budgétaire basé sur la notion « d’état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) ». L’état des prévisions de recettes et de dépenses est l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses annuelles des établissements publics de santé. Il détermine les recettes et les dépenses prévisionnelles, dans le respect du projet d’établissement, en fonction notamment du contrat d’objectifs et de moyens et des prévisions d’activités, et en cohérence avec les ressources fixées par les autorités compétentes. L’EPRD fait l’objet d’un vote unique global par le conseil d’administration. En principe son adoption intervient vers la mi-mars.
De son côté, le comité technique d’établissement est régulièrement tenu informé de la situation budgétaire et des effectifs prévisionnels et réels de l’établissement.
Les représentants du personnel présents dans le conseil d’administration et le comité technique d’établissement sont donc en droit de demander la communication des documents relatifs à la dette de leur établissement (l’état de la dette et les contrats de prêts) et de poser toutes les questions qu’ils jugent utiles.
A l’instar des initiatives engagées par les collectifs locaux qui ont entrepris de poser les premiers jalons d’un audit local de la dette publique des collectivités [1] , en particulier celles touchées par les emprunts « toxiques », les salariés des établissements hospitaliers ont la possibilité d’auditer la dette de leur établissement, à travers leurs représentants. Un tel audit est d’autant plus nécessaire que Libération a établi dans son édition du 21 septembre dernier une carte de France des collectivités mais aussi des hôpitaux publics touchés par les emprunts toxiques commercialisés par Dexia [2]. Cette liste n’est pas exhaustive car d’autres banques françaises et étrangères ont également placé de tels prêts.
Les citoyens, et à plus forte raison les salariés, peuvent accéder aux informations aux informations comptables et financières de leur établissement hospitalier en vertu de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.
En effet, la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 concerne non seulement les communes et les autres collectivités territoriales (communautés de communes, département, régions, organismes de coopération intercommunale) mais également les établissements publics, notamment les établissements publics hospitaliers, ainsi que les structures de droit privé chargées d’une mission de service public. L’article 1 de la loi précitée indique :
« Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des chapitres Ier, III et IV du présent titre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. »
Chacun peut les publier sous sa responsabilité. La communication des documents mentionnés au premier alinéa intervient dans les conditions prévues par l’article 4 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 qui précise que L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration :
a) par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ;
b) sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ;
c) par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique. »
Les représentants des salariés siégeant au conseil d’administration ou au comité technique d’établissement de l’hôpital peuvent accéder à ces documents lors des réunions auxquelles ils participent.
Les personnes qui ne sont pas salariées de l’établissement et qui souhaitent consulter les budgets, les comptes administratifs, les contrats de prêt, l’état de la dette ou les autres documents dans le cadre d’un audit citoyen, doivent avoir préparé préalablement un courrier de demande comportant les mentions suivantes :
« Objet : consultation des documents municipaux (budget primitif, comptes administratifs, état de la dette, état des garanties d’emprunts, délibérations, procès-verbaux, arrêtés municipaux, etc.), en vertu de l’article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales et de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée. »
Ces documents sont à demander à la personne responsable de l’accès aux documents administratifs de l’établissement public qui a un mois pour les fournir. Le fait de ne pas les communiquer dans ce délai vaut refus. Le demandeur dispose alors d’un délai de deux mois pour saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) dont un référent peut être joint dans chaque préfecture.
Auditer la dette de son hôpital public en quelques questions
L’angle d’attaque ici est circonscrit aux prêts « toxiques » car les réflexions sur la nature légitime ou illégitime des dettes des hôpitaux ne sont pas assez avancées au sein de notre collectif pour donner lieu à une démarche sérieuse et étayée. Il en va de même pour ce qui est de la pertinence des investissements qui n’est pas abordée ici et qui relève d’une approche spécifique propre à chaque établissement hospitalier. Même si la présente approche est limitée, elle offre l’avantage d’identifier une partie de la dette illégitime, la plus visible : les prêts structurés « toxiques » proposés par les banques. La première chose à faire est de consulter la carte de France des emprunts toxiques grâce au lien indiqué à la note 2 de la page 1 de cette note. Attention, cette carte ne recense que les prêts toxiques de Dexia. D’autres prêts « toxiques » ont pu être souscrits par l’hôpital auprès d’autres établissements financiers.
Les prêts structurés « toxiques » se reconnaissent à 4 caractéristiques essentielles qui peuvent se cumuler :
des taux supérieurs à la moyenne,
des taux révisés à partir d’indices spéculatifs (par exemple, les monnaies étrangères, le franc suisse en particulier),
des indemnités de sortie (ou soultes) d’un montant très élevé (pour les évaluer il faut se référer aux contrats de prêts et tout particulièrement à l’article précisant les modalités de remboursement anticipé des emprunts),
des durées plus longues que celles de l’amortissement du bien financé (ou de la durée résiduelle moyenne des prêts refinancés dans le cas d’un réaménagement).
Cette approche offre également l’avantage d’être opérationnelle immédiatement. En outre, des responsables de l’hôpital peuvent s’associer à notre démarche puisqu’elle va dans l’intérêt de leur établissement, notre objectif étant de faire supporter aux banques la totalité du surcoût de leurs prêts « toxiques ».
Voici quelques exemples de questions à poser aux élus et de premières investigations à réaliser à partir d’un document essentiel : l’état de la dette :
Quelle est la répartition de la dette entre les 3 grandes catégories d’emprunts :
Cas particuliers d’un prêt structuré qui réaménage un ou plusieurs prêts. De telles opérations de réaménagement de dette qui ont pu être réalisées ces dernières années sont à surveiller car un réaménagement peut dissimuler plusieurs éléments de nature à donner lieu à contestation :
Si l’établissement possède des prêts « toxiques », quelles démarches a-t-il engagées ou envisagées ?
L’établissement a-t-il inscrit ou envisage-t-il d’inscrire des provisions dans son budget au titre de ses prêts. Une telle mesure serait le signe qu’il possède un ou plusieurs prêts « toxiques » dont il essaie d’anticiper l’augmentation de la charge d’emprunt. Les provisions ne sauraient être qu’une mesure provisoire pour l’hôpital car dans notre conception c’est à la banque de supporter l’intégralité du surcoût des prêts qu’elle a consentis.
Dans la mesure où le caractère « toxique » du prêt ou sa nature de crédit « structuré » ne ressort pas de l’état de la dette ni des décisions d’emprunt, la consultation des contrats peut s’avérer nécessaire, d’autant que les prêts « toxiques » possédant généralement une première période (souvent de 3 ans) à taux fixe bonifié ne se laissent pas identifier au départ.
Des prêts « toxiques » de l’hôpital sont-ils garantis par une collectivité ? Il faut savoir que les collectivités ont la possibilité, à certaines conditions, d’apporter leur garantie à différentes catégories d’emprunteurs (établissements publics, organismes de logement social, associations) mais en cas de défaillance de ces derniers, ce sont les collectivités qui sont appelées en paiement.
En résumé, notre démarche a pour vocation de :
Repérer les prêts « toxiques ».
Identifier ce qui est atypique dans leur déroulement (exemple : brusque évolution des taux, augmentation conséquente des échéances, montant démesurée de l’indemnité de remboursement anticipé, durée inappropriée, indices de révision spéculatifs, etc.).
Chiffrer les surcoûts auxquels ils donnent lieu (chiffrages des surcoûts payés détaillés par prêt et par année).
Préparer un vaste mouvement citoyen, si possible avec les responsables, les salariés et les citoyens usagers, pour faire pression sur les banques prêteuses afin qu’elle transforment ces prêts « toxiques » en prêts classiques (prêts à taux fixe ou prêts à taux révisable) sans surcoût, sans majoration de taux, sans soulte, sans allongement de durée et sans clause léonine ou abusive. Les banques doivent supporter la totalité des surcoûts que leurs produits ont générés pour les hôpitaux.
À l’occasion de leurs interventions auprès des responsables de l’établissement, les salariés ont l’opportunité de les informer sur notre démarche pour un « audit citoyen de la dette publique » et de les gagner à cette cause.
Patrick Saurin, militant du syndicat Sud Banques Populaires Caisses d’Epargne (Sud BPCE), est membre du Collectif d’audit citoyen (www.audit-citoyen.org ) et du CADTM France.
[1] Cette note fait suite au « Livret de l’audit local » accessible par le lien : http://www.audit-citoyen.org/wp-content/uploads/2011/11/Les-dettes-publiques-locales.-Un-enjeu-citoyen-essentiel.doc
[2] Cette carte est accessible par le lien : http://labs.liberation.fr/maps/carte-emprunts-toxiques/
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.