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Deux ans après les soulèvements populaires en Tunisie, la Belgique est toujours dans l’illégalité
par Renaud Vivien
15 janvier 2013

Une carte blanche de Renaud Vivien, juriste au Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, sur le site du Soir http://jn.lesoir.be/#/article/11669

Il y a deux ans, le peuple tunisien chassait Ben Ali et exigeait la justice sociale. Mais en 2013, la situation économique et sociale peine à s’améliorer à cause du poids de la dette largement héritée de la dictature. En effet, la majorité des ressources financières du pays est allouée en priorité au paiement des dettes. Le budget consacré au remboursement de la dette publique tunisienne représente 3 fois celui de la santé et presque 6 fois celui de l’emploi.

Une partie importante de cette dette devrait pourtant être annulée sans conditions, en application de la doctrine de la dette odieuse. Selon cette doctrine de droit international, « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’État entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. » Cette définition de la dette odieuse, bien que restrictive, s’applique parfaitement aux dettes contractées par le régimes de Ben Ali mais aussi à d’autres dictatures comme celles de Moubarak en Égypte, comme le reconnaît d’ailleurs le Parlement européen dans sa résolution du 10 mai 2012.

En effet, cette résolution « juge odieuse la dette publique extérieure des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient sachant qu’elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l’enrichissement personnel des élites politiques et économiques et de l’achat d’armes, utilisées souvent contre leurs propres populations ». Le Sénat belge ne dit pas autre chose en affirmant « le caractère odieux de la dette tunisienne dès lors que l’on considère celle-ci comme une dette contractée par un gouvernement non démocratique, ne respectant pas les droits de l’homme, dont la somme empruntée n’a pas bénéficié aux populations locales ». Dans cette résolution adoptée en juillet 2011, les sénateurs belges demandent donc au gouvernement « de décider, dès à présent, d’un moratoire sur le remboursement de la dette bilatérale existante de la Tunisie à l’égard de la Belgique, y compris ses intérêts, ainsi que d’un audit permettant d’examiner plus en détail les aspects qui relèveraient de la définition de la dette odieuse ». Mais aucun de ces textes n’a encore été appliqué par le gouvernement belge.

Deux ans après les soulèvements populaires en Tunisie, le remboursement de la dette n’a toujours pas été suspendu, l’audit n’a pas débuté et l’annulation des dettes illégitimes de la Tunisie semble encore lointaine. Pourtant, l’accord de gouvernement Di Rupo précise clairement que « le gouvernement réalisera l’audit des dettes et annulera en priorité les dettes contractées au détriment des populations ». La Belgique est donc clairement dans l’illégalité. Pire, elle aggrave son cas en votant en juillet 2012 contre une résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui dénonce « l’iniquité du système actuel de règlement de la dette, qui continue de donner la priorité aux intérêts des créanciers ». Sont clairement visés la Banque mondiale et le FMI qui continuent de maintenir les pays du Sud comme la Tunisie sous leur tutelle. Un nouveau prêt de 500 millions de dollars, assortis de conditionnalités incompatibles avec le le droit du peuple tunisien à disposer de lui-même, vient d’ailleurs d’être accordé par la Banque mondiale au gouvernement provisoire de Tunisie.

Fort heureusement, sous la pression des mouvements sociaux tunisiens comme RAID (membre des réseaux internationaux CADTM et ATTAC) qui mène campagne contre la dette illégitime, les choses bougent en Tunisie. Une proposition de loi pour un audit de la dette sera débattue en février par les députés de la l’Assemblée constituante à Tunis. Le Président Moncef Marzouki s’est, par ailleurs, prononcé pour cet audit et l’Équateur a récemment proposé d’apporter son aide pour sa réalisation. Rappelons que l’Équateur a mené entre 2007 et 2009 un bras de fer avec ses créanciers en décidant d’auditer unilatéralement l’intégralité de sa dette publique.

Sur base des conclusions de cet audit mené par une commission internationale instituée par Rafael Correa et composée de représentants de l’État, de mouvements sociaux et de réseaux internationaux travaillant sur la dette dont le CADTM, l’Équateur avait alors suspendu le paiement d’une part importante de sa dette illégitime et forcé ses créanciers à reprendre leurs titres diminués de trois quarts de leur valeur. Au final, cette opération a permis au pays d’épargner 7 milliards de dollars, autant de nouveaux moyens financiers qui peuvent être consacrés non plus au remboursement de la dette mais aux dépenses sociales dans la santé, l’éducation et dans le développement d’infrastructures de communication.

Il est temps que le gouvernement belge cesse l’hypocrisie en appliquant l’accord de gouvernement ainsi que les textes votés par ses parlementaires. Le CADTM et le CNCD-11.11.11 ont déjà interpellé à deux reprises le Ministre des finances, en charge de ces questions, mais ce dernier n’a toujours donné aucune réponse ! Nous posons donc à nouveau la question au gouvernement : Compte-il, oui ou non, respecter ses engagements et la souveraineté du peuple tunisien en suspendant le paiement de la dette tunisienne à son égard, le temps que l’audit soit réalisé en Tunisie ?

Cet audit, tel que l’exigent la société civile tunisienne mais aussi les 120 parlementaires d’Europe signataires de l’appel lancé en 2011 par le CADTM et les euro-députées Marie Christine Vergiat et Gabi Zimmer, doit associer la société civile et permettre de comprendre les circonstances entourant la conclusion de ces prêts, leur utilisation, d’identifier les responsabilités et déterminer la part odieuse : celle qui doit être annulée sans conditions.


Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.