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Opinion
Non, la dette publique n’est pas par essence collective !
par Pauline Imbach
31 mars 2013

Réponse de Pauline Imbach à l’opinion de Bruno Colmant publiée dans le magazine Trends-Tendances du Vif le 21 Mars dernier. Voir en bas.

Vous affirmez que « une dette publique est, par essence, collective. » Voilà un raccourci qui permet de manipuler l’opinion publique. En effet, monsieur Colmant, vous oubliez de rappeler quelques éléments essentiels concernant la dette belge. D’abord l’origine de la crise des dettes publiques, provient en premier lieu d’une crise bancaire, c’est-à-dire une crise de la dette privée. En effet, l’augmentation récente de la dette publique belge et européenne résulte largement des sauvetages des banques privées de 2008 et de 2011. Ces sauvetages ont, en réalité, consisté en une socialisation massive de dettes privées, dettes causées par les comportements aventureux de leurs gestionnaires et de leurs actionnaires. Ces sauvetages ont jusqu’à aujourd’hui provoqué une augmentation de la dette publique belge de 35 milliards d’euros. Et ce n’est pas fini : alors que les banques continuent de spéculer à leur guise, de nouvelles crises et donc de nouvelles injections de capitaux sont à prévoir. Sans parler des garanties publiques attribuées aux banques belges qui constituent une menace très grave pour les finances publiques belges…

Ensuite, les différentes politiques fiscales, mises en place depuis 30 ans, ont systématiquement favorisé les grosses fortunes et les grandes entreprises privées : intérêts notionnels, réduction de la progressivité de l’impôt, précompte mobilier libératoire, amnisties fiscales… La baisse des recettes publiques a contraint l’État à s’endetter auprès de banques privées pour compenser le manque à gagner, ce qui a généré une augmentation de la dette publique. Ainsi, c’est la collectivité qui paye le coût des importants cadeaux fiscaux dont ont bénéficié une petite minorité. Enfin, depuis 1992 et le Traité de Maastricht, les pays de l’Union européenne ont renoncé à la possibilité d’emprunter auprès de leur propre banque centrale à du 0 % et sont obligés de s’adresser aux grandes banques privées, à des taux qui sont fixés par les marchés internationaux de capitaux. Ce choix a coûté très cher à la Belgique. Sur la période 1992-2011, l’État belge a remboursé en intérêts de la dette un montant équivalent à 313 milliards d’euros. Si l’État belge avait pu emprunter les mêmes montants auprès de sa banque centrale, mais à un taux de 1 %, il aurait alors économisé 250 milliards d’euros…

Bref, la population belge, la collectivité, paye une dette qui, ayant essentiellement profité à une minorité, est tout sauf collective. Est-il normal que la collectivité paye pour une dette provoquée par le comportement cupide de quelques entreprises privées (les banques) ? Se poser la question, c’est y répondre. Monsieur Colmant, vous affirmez que ce sont les générations futures qui vont rembourser la dette et vous vous offensez que celles-ci n’aient pas été consultées. Rappelons que la génération actuelle paye déjà les pots cassés à travers les politiques d’austérités imposées au nom du remboursement de la dette et qu’à aucun moment elle n’a été consultée dans les décisions prises par le gouvernement (sauvetage des banques, garanties de Dexia, réforme fiscale, etc.). Quant au « contrat collectif socio-économique » dont vous parlez et de son maintient grâce à une cohérence entre « le taux d’intérêt lié à la dette publique et la pression fiscale (ou la dépréciation monétaire) à venir », il semble avoir été rompu depuis longtemps, notamment par la mise en place de politiques fiscalement injustes, dont vous êtes, Monsieur Colmant, « père fondateur » des intérêts notionnels, en partie responsable.

Pour finir, comme vous le dites, « l’Histoire regorge, en effet, de dettes publiques non honorées et la principale manière d’y arriver (outre la spoliation des créanciers), c’est l’inflation. » En effet, l’Histoire montre qu’il est possible pour un État de ne pas honorer ses dettes, et cette solution a l’avantage d’être socialement juste. Faut-il considérer cela comme une spoliation des créanciers, quand ceux-ci sont largement responsables de l’explosion de l’endettement et que pendant des années ils se sont enrichis avec des intérêts colossaux ?

Entre spolier la collectivité et spolier les créanciers, Monsieur Colmant, vous semblez décidément avoir choisi votre camp.

Le texte de Bruno Colmant :

La banqueroute est nécessaire, chaque siècle !

La dette, c’est du temps. Et le prix du temps, c’est l’intérêt. Mais dans le cas de la dette publique, un phénomène singulier doit être mis en évidence. En effet, une dette publique est, par essence, collective.

Son remboursement est quant à lui individuel puisque, dans le meilleur des cas, c’est l’impôt qui permet d’honorer la dette publique. C’est ainsi que, profitant d’effets d’aubaines, le Royaume s’est immergé dans une immense dette publique dont, comme pour le financement des pensions, il déporte le remboursement sur les futures générations... peu consultées.

En bonne logique, le niveau de la dette publique et le taux d’intérêt qui y est associé devraient être mis en perspective avec les impôts futurs à lever. Le taux d’intérêt lié à la dette publique devrait être cohérent avec la pression fiscale (ou la dépréciation monétaire) à venir. Il agirait alors comme une mesure du maintien du contrat collectif socio-économique.
Lorsque les taux d’intérêt sont bas, les contribuables devraient se réjouir de ce que le coût réduit de l’emprunt exige une moindre ponction fiscale ultérieure. Or ces emprunts à taux d’intérêt bas n’ont aucun succès. Cela signifie que le créancier prend le dessus sur le contribuable de demain. L’individu et le présent prennent le pas sur la collectivité et le futur.

Mais attention : le titulaire d’une créance publique implique le maintien de l’ordre social et des forces politiques contemporaines.

Il en est pourtant rarement ainsi car la dynamique sociale et économique est fluide. De plus, la valeur d’une créance sur les autorités publiques suppose la pérennité du pouvoir d’achat de la monnaie, qui constitue l’unité de compte centrale. L’Histoire regorge, en effet, de dettes publiques non honorées et la principale manière d’y arriver (outre la spoliation des créanciers), c’est l’inflation.

Cette dernière est, en effet, un moyen commode de déprécier silencieusement l’unité monétaire, et donc de rembourser la dette publique avec de la monnaie effritée, sans confronter la population à des impôts et des questions de justice sociale y afférentes.

Mais en tant que telle, l’inflation ne résout rien si le taux d’intérêt de la dette publique en reflète l’anticipation, à l’instar du fait que ce taux d’intérêt doit refléter les impôts futurs. Pour être efficace, l’inflation doit donc être soudaine et conjuguée avec ce que les économistes appellent la « répression financière », c’est-à-dire la canalisation de l’épargne vers le financement des dettes publiques (au travers des banques et entreprises d’assurances) qui portent un taux d’intérêt artificiellement bas.

Si cela ne fonctionne pas, la dette publique n’est plus sous contrôle, les choses tournent mal et les créanciers sont spoliés. Les rappels historiques en sont nombreux : l’hyperinflation des empereurs romains Dioclétien et Constantin, les multiples tentatives de confiscation de Philippe le Bel, qui rogne les pièces d’or et envoie les Templiers sur le bûcher afin de capturer leurs biens, les assignats français de la Révolution française, l’hyperinflation de la République de Weimar, etc.

Le contrôleur des finances du Royaume de France entre 1768 et 1774, l’abbé Terray (1715-1778), disait que « la banqueroute est nécessaire, une fois tous les siècles, afin de mettre l’Etat au pair ».

Que tirer des leçons de l’histoire ? A notre estime, l’inflation sera donc une des principales variables d’ajustement aux déséquilibres que nous traverserons. Au reste, déconnecter la création de monnaie de celle de richesse conduit d’habitude à des poussées inflationnistes. Elle aura des conséquences défavorables pour les rentiers mais permettra aux Etats de diminuer la valeur de leur endettement.

L’inflation est l’avertissement que le bien-être futur sera plus onéreux. Croire, comme certains économistes, que les prochaines années seront caractérisées par une situation de croissance morne avec une inflation quasiment nulle nous semble relever plutôt du postulat de principe que d’une étude empirique de l’économie.

Source : Le Vif


Pauline Imbach

CADTM France