La facture des trois sauvetages de Dexia par les contribuables belges s’élève déjà à 9 milliards d’euros et la saignée n’est pas prête de s’arrêter tant que les garanties des États sur les emprunts de la bad bank, composée de Dexia SA et Dexia Crédit Local (DCL), ne seront pas annulées.
La balle est aujourd’hui dans le camp de nos parlementaires qui peuvent remettre en cause ces garanties en refusant de ratifier le 16 mai prochain les deux arrêtés royaux que le gouvernement a pris en toute illégalité en 2011 et 2012.
Rappelons que ces arrêtés engagent la Belgique à garantir conjointement avec la France et le Luxembourg les dettes de cette bad bank [1] pendant près de vingt ans et pour un montant atteignant 85 milliards d’euros (sans compter les intérêts et les accessoires). La part supportée par la Belgique est de 43,7 milliards d’euros, l’équivalent de 25 % du budget de l’État fédéral. Autrement dit, si Dexia ne paie pas ses dettes, les pouvoirs publics doivent les régler à sa place. L’impact sur le budget et la dette de la Belgique serait alors catastrophique avec comme conséquence dramatique le renforcement des mesures d’austérité contre la population.
De manière toute à fait cynique et indécente, le gouvernement et Dexia utilisent cet argument pour justifier les recapitalisations à répétition de la bad bank. L’objectif étant d’éviter à tout prix l’activation de ces garanties en sauvant Dexia autant de fois que nécessaire, à coup de milliards d’euros injectés dans cette banque moribonde regorgeant d’actifs toxiques et n’ayant aucun dépôt d’épargnant. Ce qui a également pour effet de gonfler la dette belge.
Mais ces garanties sont également le talon d’Achille du gouvernement et de Dexia car elles ont été prises illégalement. C’est ce que démontrent les députés Zoé Genot et Meyrem Almaci ainsi que les trois associations (CADTM, ATTAC Liège, ATTAC Bruxelles 2) dans leurs requêtes en annulation des deux arrêtés royaux introduites devant le Conseil d’État. Un des arguments est que la Constitution a été violée du fait que les parlementaires n’ont pas délibéré sur l’octroi de ces garanties alors que cette matière relève de leur compétence.
L’illégalité est tellement flagrante que le gouvernement tente aujourd’hui de faire ratifier de façon expresse par le Parlement fédéral ces deux arrêtés royaux. Ne nous y trompons pas : le respect des règles élémentaires d’un État de droit comme le principe de la séparation des pouvoirs est le dernier souci du gouvernement, dont l’objectif principal est de protéger les créanciers. Selon les termes même du projet de loi soumis au vote du Parlement fédéral, « la ratification législative serait la seule mesure qui soit à même de lever la méfiance des investisseurs du fait de l’existence des recours » introduits par les députés et les associations. Comme si les problèmes de financement de Dexia étaient causés par ces actions en justice ! Rien n’est plus faux comme le fait d’avancer que la Grèce et les autres pays européens placés dans l’étau de la Troïka seraient responsables de la débâcle de Dexia. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le montant des créances de Dexia sur la Grèce avec celui des dettes de Dexia. Fin 2011, les dettes immédiatement exigibles de Dexia SA s’élevaient à 413 milliards d’euros tandis que ses créances sur la Grèce ne dépassaient pas à la même époque les 2 milliards d’euros soit 200 fois moins que les dettes immédiatement exigibles !
La réalité est que Dexia a réalisé des placements aventureux notamment dans les subprimes, distribué des bonus aux actionnaires et des parachutes dorés à ses dirigeants même en pleine crise et fait prendre des risques énormes aux collectivités publiques, si bien qu’aujourd’hui il existe rien qu’en France plus de 80 procès contre DCL.
Dexia n’a définitivement pas plus d’avenir. Face à cette impasse, les parlementaires ont le choix :
soit ils approuvent les garanties et restent donc prisonniers du chantage de la recapitalisation pendant au moins vingt ans, soit ils annulent ces garanties et tournent définitivement la page Dexia en mettant la bad bank en faillite.
Trois autres raisons devraient pousser nos élus à ne pas ratifier les arrêtés royaux.
Tout d’abord, ces arrêtés confèrent au Ministre des finances les pleins pouvoirs jusqu’en 2031 pour conclure les conventions de garantie avec les créanciers de Dexia, privant ainsi les parlementaires de tout droit de regard sur le contenu de ces conventions comme celle qui a été signée par le Ministre des finances le 24 janvier 2013 .
Cette convention précise explicitement dans son article 2 (a) qu’en cas de défaut de paiement de Dexia, l’Etat renonce à tout moyen de défense et devra payer dans un délai de cinq jours ouvrables les dettes de Dexia même si elles sont illégales et indépendamment de la conduite de Dexia ! Cette convention, prise en application des deux arrêtés royaux qui indiquent que « la garantie est payable à première demande », renforce ainsi l’aléa moral puisque les créanciers de Dexia, sachant que les pouvoirs publics interviendront en dernier ressort pour les payer, sont encouragés à augmenter leur prise de risque. De plus, cette convention court-circuite non seulement les parlementaires mais aussi les tribunaux. Or, cet engagement de l’État à garantir des dettes illégales constitue une violation des principes généraux de bonne administration qui imposent d’agir dans le respect de la légalité et du principe de séparation des pouvoirs. C’est notamment sur ce fondement juridique que les associations et les députées demandent également au Conseil d’État d’annuler cette convention de garantie. C’est aussi la deuxième raison pour rejeter les arrêtés royaux du gouvernement qui servent de base juridique à ces conventions signées par le Ministre des finances.
Enfin, la défense de l’intérêt général commande à nos élus de privilégier la protection de la population à celle des créanciers. Soulignons que la protection des droits humains constitue la première obligation de tout État et qu’il est logique que les créanciers qui ont pris des risques excessifs assument les pertes. Ce n’est pas à la population de payer la facture des sauvetages bancaires en remboursant la dette illégitime générée par ces sauvetages et en subissant les politiques d’austérité.
[1] Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.