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La dette irakienne
par Thierry Brun
29 novembre 2004

L’allégement de la dette satisfait les États-Unis, pas les associations.

Les dix-neuf pays riches réunis au sein du Club de Paris [1] ont accepté ce que Washington souhaitait depuis l’invasion militaire de l’Irak. L’administration Bush s’est employée à obtenir par tous les moyens l’annulation de la dette irakienne, et le compromis obtenu le 21 novembre lors de la réunion de ce club informel en est le résultat. Au terme d’un sombre marchandage, un accord a été signé et porte sur un allégement à hauteur de 80 %, au lieu des 95 % réclamés par les États-Unis. L’Allemagne, la France et la Russie, qui se sont opposées à la guerre, n’étaient prêtes à concéder qu’un allégement de 50 % à un gouvernement irakien illégitime et sous tutelle américaine.

L’accord prévoit un allégement de 33 milliards de dollars en plusieurs étapes, qui est loin de la réduction massive de la dette, annoncée par les délégués. Le Club de Paris ne détient en effet que le tiers de la dette irakienne et la réduction ne concerne que la dette publique extérieure. Au total, hors réparations dues après l’invasion du Koweït (estimées à 200 milliards de dollars), elle s’élève entre 120 et 125 milliards de dollars, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI). Elle constitue surtout « un élément central dans la domination exercée par les grandes puissances et leurs entreprises dans l’économie du Moyen-Orient », souligne Damien Millet, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM France).

Pour le protecteur américain de l’Irak, la signature d’un allégement de la dette irakienne est surtout une victoire politique, intervenue à la veille de l’ouverture de la conférence de Charm el-Cheikh, qui a réuni le G8, la Chine, les États de la région, l’ONU et la Ligue arabe. Le compromis sur la dette a ainsi donné un semblant d’appui au processus de transition politique mené par l’administration Bush, qui doit déboucher, le 30 janvier prochain, sur les premières élections multipartites.

La décision du Club de Paris est dénoncée pour son cynisme. La plate-forme « Dette et développement », qui regroupe une trentaine d’associations et de syndicats en faveur d’une solution juste au problème de la dette des pays du Sud, relève « l’opportunisme des créanciers, qui apportent des solutions à leur mesure à la dette irakienne, mais sont sans pitié lorsqu’il s’agit de pays pauvres sans enjeu stratégique ». Les 33 milliards d’allégement pour l’Irak représentent le montant total de ceux dont ont bénéficié les pays pauvres très endettés depuis 1996. Et, selon la Banque mondiale, il faudrait consacrer au moins 2,3 milliards de dollars supplémentaires par an à l’allégement de la dette pour éviter l’effondrement des pays les plus pauvres. Ce que les riches créanciers du club se refusent toujours à verser. « Les États-Unis, le Japon et l’Allemagne remettent même en cause leurs promesses d’allégements de dette à l’Éthiopie et au Niger, deux des pays les plus pauvres de la planète », s’inquiète la plate-forme.

Les créanciers espèrent tirer profit de ce que Paris a appelé un « signal fort » de la communauté internationale en direction de l’Irak. Pour l’administration Bush, il était hors de question que la dette laissée par Saddam Hussein « vienne ponctionner le budget irakien et gager les futures recettes pétrolières », critique la plate-forme. Désormais, elle peut offrir sans crainte à ses grandes multinationales, comme Halliburton, les marchés liés à la reconstruction du pays et à l’exploitation des réserves pétrolières.


Source : Politis (http://www.politis.fr), 25 novembre 2004.

Notes :

[1Il réunit les gouvernements créanciers des pays industrialisés.

Thierry Brun