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L’audit des créances européennes sur la Tunisie et l’Égypte
par Mimoun Rahmani
20 novembre 2013

Synthèse du 12e séminaire international du CADTM sur la dette et les droits humains

« L’audit des créances européennes sur la Tunisie et l’Égypte »

co-organisé avec Olga Zrihen, sénatrice belge et Marie-Christine Vergiat, députée européenne [1]

La 12e édition du séminaire international sur la dette et les droits humains est organisée dans un contexte de crise économique et sociale en Tunisie et en Égypte, deux pays qui connaissent un processus révolutionnaire en gestation mais qui continuent, malgré le manque de moyens et de ressources, de payer les dettes des dictateurs déchus.

L’objectif de ce séminaire est justement de faire le bilan des campagnes menées dans ces deux pays contre la dictature de la dette, en vue d’annuler les parts illégitimes et odieuses des dettes contractées par les régimes de Ben Ali et Moubarak.

Alors que la situation dans les deux pays est en dégradation continue et ce à tous les niveaux, les dettes quant à elles ne cessent d’augmenter et constituent un poids énorme pour les budgets des deux États. Ainsi, la dette extérieure publique de la Tunisie a augmenté de 49% en 3 ans seulement. Celle de l’Égypte a augmenté de 26 à 31 milliards de dollars en une seule année. Le taux de l’endettement de l’Égypte a alors atteint 92% du PIB faisant de ce pays le plus endetté dans toute la région arabe. Cette accélération du niveau de l’endettement est sûrement due à la compensation du manque de devises.

La dette demeure un outil fondamental pour maintenir en place le système pourri et pour préserver les intérêts des classes dominantes et des multinationales étrangères. Les institutions financières internationales (FMI, BM, BEI et BERD) continuent à mettre la main sur l’économie de ces États et à proposer des financements pour des projets inutiles et imposés (exemple de l’aéroport du Caire). Ce sont des « éléphants blancs » dont ne bénéficient ni la population ni l’économie du pays en termes de valeur ajoutée. Ces institutions financent également des projets énergétiques qui endommagent l’environnement, font des dégâts énormes et qui ont pour objectifs de contrôler les économies de ces pays, de soutenir les politiques extérieures des États prêteurs (UE, USA) et de permettre aux sociétés transnationales d’accaparer les secteurs stratégiques.

Au lieu de tenir leurs engagements concernant les aides au « développement » (qui n’étaient jusqu’ici, le plus souvent, que des aides liées et très limitées), de procéder à des annulations pures et simples des dettes illégitimes, coloniales et historiques des dictateurs déchus, d’aider pour le rapatriement de l’argent détourné et des avoirs mal acquis, les États européens continuent au contraire à faire pression sur des pays comme la Tunisie, l’Égypte ou encore le Maroc et la Jordanie pour appliquer de nouveaux accords de libre-échange dits « approfondis » et « complets ». Lesdits accords, dont les négociations se font de manière secrète, n’ont pour finalité que d’approfondir davantage les libéralisations de quasi tous les secteurs de l’activité économique et d’ouvrir les marchés de ces États aux produits européens.

En Tunisie comme en Égypte, la situation politique est dramatique. La situation sociale devient de plus en plus inquiétante, et la situation économique se complique davantage avec l’ « embargo » sur le financement de la Tunisie ainsi que l’explosion de la dette.

Ainsi, l’audit de la dette s’impose mais semble difficile à réaliser avec les pouvoirs en place. A titre d’exemple le projet de loi sur l’audit de la dette publique tunisienne est mis au placard ! La société civile devra prendre les choses en main parce que l’audit de la dette doit être l’initiative des organisations sociales et des mouvements sociaux, qui sont également appelés à faire l’enquête sur les avoirs des dictateurs et de leurs familles ! Il faut aussi s’attaquer au système fiscal injuste et aux paradis fiscaux.

Du coté de l’Europe, les députés devront continuer à jouer leur rôle d’interpellation des responsables gouvernementaux sur les audits de la dette des pays qui connaissent des processus révolutionnaires et des soulèvements populaires, sur les avoirs des dictateurs déchus, sur la fiscalité… Ils devront aussi soutenir les campagnes, tunisienne et égyptienne pour des audits de la dette dont l’objectif est d’annuler la part illégitime et odieuse de la dette publique. Mais il est important de ne pas confondre l’annulation avec l’allègement de la dette qui a concerné les dettes des PPTE (pays pauvres très endettés) et qui reste très limité et, parfois même, dérisoire. Les conversions des dettes en investissements sont également à rejeter car elles permettent de « blanchir » la dette odieuse et illégitime ainsi que l’accaparement des secteurs les plus stratégiques par les sociétés européennes et étrangères.

A travers les exemples d’audits de la dette réalisés (Équateur et Norvège) ou en perspective (Tunisie), il s’avère qu’un audit, qu’il soit institutionnel ou citoyen, est non seulement possible mais il est surtout nécessaire. Le cas de la Norvège vient de nous montrer qu’un audit des créanciers est aussi possible et utile.

Les audits réalisés en Équateur et en Norvège, comme ailleurs, sont en fait des moyens et outils de sensibilisation, mais ils servent aussi à inciter d’autres audits similaires. D’où l’importance d’un audit en Tunisie qui pourra faire boule de neige dans toute la région !

Au-delà des audits, il est possible de s’appuyer sur des principes juridiques, les rapports des experts de l’ONU ainsi que sur les résolutions parlementaires portant sur la dette. Aussi, faut-il voir comment rendre possible l’application ces principes et textes juridiques, aussi bien par les créanciers (en particulier les institutions financières internationales) que par les débiteurs. Pour y parvenir, la mobilisation populaire et la poursuite du travail des ONG et des mouvements sociaux avec les élus politiques convaincus de la nécessité d’abolir les dettes illégitimes et odieuses est indispensable.

Mimoun Rahmani (ATTAC-CADTM Maroc)


Notes :

[1avec le soutien des coupoles CNCD-11.11.11 et 11.11.11, Counter Balance et EURODAD

Mimoun Rahmani

Secrétaire général adjoint d’ATTAC Maroc, est membre d’ATTAC/CADTM Maroc et représentant du Réseau CADTM international au CI du FSM.