25 septembre 2012 par Christophe Koessler
L’Argentine et l’Equateur montrent la voie à l’Europe pour se débarrasser du fardeau de la dette, selon le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde.
« Oui, il est possible d’amener les institutions financières, les banques et les puissants à accepter des solutions qu’ils ne souhaitent pas », a martelé jeudi soir Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du TiersMonde (Cadtm), lors d’une conférence à Genève. Et ce sont deux pays du Sud, l’Argentine et l’Equateur, qui l’ont démontré. Face à un endettement qui étouffe les économies nationales, seule une politique de rupture permet de sortir de l’ornière, a-t-il argumenté. D’autant plus qu’une grande partie de ces dettes sont illégitimes, selon lui.
Aujourd’hui, en pleine crise dite des « dettes souveraines », les pays européens pourraient s’en inspirer. « L’Argentine a suspendu le paiement de sa dette de 2001 à 2005. Et elle est toujours en cessation de paiement vis-à-vis du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, le club des Etats les plus riches, pour un montant de 6,5 milliards de dollars. On avait parlé de représailles, il n’en est rien. Actuellement, l’Argentine fait même partie du G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
et connaît un très fort taux de croissance », a rappelé le chercheur.
Mais c’est surtout l’Equateur qui a créé un précédent de taille en répudiant plus de 75% de sa dette. Eric Toussaint connaît d’autant mieux le dossier qu’il a participé lui-même à l’audit de la dette de l’Equateur, à l’invitation du gouvernement de ce pays. « Nous avons mené une étude qui a démontré l’illégitimité de la majeure partie de la dette. Le gouvernement a pu s’appuyer dessus en juin 2009 pour forcer ses créanciers à reprendre leurs titres diminués de trois quarts de leur valeur ».
Sa collègue, Maria Lucia Fattorelli, coordinatrice de l’organisation brésilienne Auditoria cidadã da dívida, qui a aussi fait partie de cette commission d’audit en Equateur, a complété : « L’Equateur a pourtant continué à avoir accès à des crédits et à des investissements étrangers et se porte beaucoup mieux ». Au Brésil, le gouvernement n’a pour l’instant rien entrepris de similaire. Cela n’a pas empêché les citoyens de mener leur propre audit, dans le but de conscientiser la population : « Le Brésil est la sixième économie du monde, mais n’est classé que 84e en matière de développement humain par l’ONU. Nous avons pu établir que la raison réside dans le système de la dette extérieure, initié dans les années 1970 pour nourrir la dictature, qui consomme actuellement plus de 50% des dépenses annuelles de l’Etat », a-telle expliqué. Seule une mobilisation citoyenne d’ampleur, s’appuyant sur cet audit, pourrait forcer les autorités à agir, ont estimé les deux orateurs, comme cela s’est passé du reste dans les deux pays précités.
Tout comme en Islande, autre exemple mis en exergue, où les protestations de la rue ont contraint le gouvernement social-démocrate à rompre avec les milieux financiers. « Confronté à l’effondrement de son système bancaire en 2008, l’Islande a répondu par le blocage complet des mouvements des capitaux, les empêchant ainsi de s’échapper du pays, et par la décision de n’indemniser que les résidants islandais », a rappelé Eric Toussaint. « Aujourd’hui, l’économie se porte bien, l’Etat peut emprunter sur le marché intérieur à des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
de 3% en lieu et place des 17% qu’il payait avant la mesure ».
Un cas qui reste pourtant unique en Europe. La Grèce avait néanmoins été à deux doigts d’emprunter une voie similaire après les grèves générales de ce printemps. Le parti d’extrême gauche Siriza a récolté 27% des suffrages aux dernières élections, juste derrière le parti de droite Nouvelle démocratie, avec 30%, qui agitait le spectre de la sortie de la Grèce de la zone euro en cas de victoire de Siriza.
Conclusion d’Eric Toussaint : « Les mobilisations restent dans le cadre national en Europe. Or, nous sommes confrontés à une politique globale à l’échelle du continent. Il nous faut le développement d’un véritable mouvement social européen pour faire face ». Un rassemblement de la société civile aura lieu à Florence du 8 au 11 novembre prochains, pour définir des stratégies d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
dans ce sens.
Christophe KOESSLER (Quotidien Le Courrier, Genève, 22 septembre 2012, p. 9)
20 avril 2020, par Eric Toussaint , Christophe Koessler