Franc CFA et Françafrique : après les billets, par ici la monnaie !

20 septembre 2011 par Survie




Ce lundi 19 septembre à Bercy, le ministre français des Finances préside la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de la zone Franc, en présence du ministre de la coopération Henri de Raincourt. Tout un symbole : en pleine crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et de la monnaie européenne, ceux qui prétendent que la Françafrique n’existe plus ne trouvent rien à redire au maintien d’un de ses principaux mécanismes institutionnels, le contrôle monétaire par le franc CFA.

La semaine dernière, les développements médiatiques autour des « révélations » de Robert Bourgi sont venus une fois de plus étayer les soupçons de corruption de nombreuses personnalités politiques françaises de premier plan, dont l’actuel Président de la République. Mais l’association Survie rappelle que la nébuleuse criminelle de la Françafrique ne se limite pas à des transferts de mallettes de billets, complétés depuis longtemps par des montages sophistiqués dans les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
 [1]. Celle-ci repose surtout sur des mécanismes institutionnels tels que le maintien du franc CFA, seul système monétaire colonial ayant survécu à la décolonisation. Les pays de la zone franc n’ont aucune marge de manœuvre en termes de politique monétaire : depuis plus de 50 ans, ces décisions-là nécessitent l’accord de l’ancien colonisateur.

Cette quinzaine de pays monétairement vassalisés sont tenus de déposer la moitié de leurs réserves de changes sur un compte d’opérations au Trésor public français, et le gouvernement français possède toujours la capacité statutaire de contrôler, par son droit de vote et de véto, toutes les instances des banques centrales (BCEAO en Afrique de l’Ouest [2], BEAC en Afrique centrale et BCC pour les Comores). Il peut donc imposer les grandes orientations monétaires de ces pays, comme cela avait été le cas sous le gouvernement Balladur lors de la dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. de 1994, dont les économies africaines ne se sont jamais relevées. Cette ingérence française est justifiée par l’assurance qu’elle prétend offrir aux marchés financiers, transposition sur le plan monétaire du dogme de la « stabilité politique » qui permet à la France de soutenir les pires despotes du continent, en sous-entendant que ce serait pire sinon... Elle est aussi présentée comme la garantie d’une prétendue « bonne gouvernance » de ces institutions monétaires ; cela n’a pourtant jamais empêché les dictateurs de se servir dans la caisse, et un câble diplomatique révélé par Wikileaks (09PARIS608) cite un responsable de la BEAC selon lequel l’argent détourné était en partie canalisé « vers les partis politiques français. [...] Des deux côtés, mais surtout à droite, spécialement Chirac et y compris Sarkozy ».

Alors que la crise budgétaire des Etats européens repose la question de la souveraineté monétaire face aux marchés financiers, pratiquement personne ne s’étonne que les pays de la zone franc n’aient jamais eu ce droit souverain face à l’ancienne puissance coloniale : il est pourtant urgent que la France se désengage du système du Franc CFA. L’association Survie appelle donc celles et ceux qui s’offusquent des livraisons de mallettes de billets de Robert Bourgi à ne pas seulement demander une enquête sur ces faits, mais à exiger un véritable examen de la politique française en Afrique, sur ses volets occultes comme sur ses mécanismes institutionnels, sans hypocrisie ni tabou.

Contact presse :

Stéphanie Dubois de Prisque, chargée de communication, stephanie.duboisdeprisque chez survie.org, 01 44 61 03 25


Notes

[2Selon l’économiste togolais Kako Nubukpo, l’autorité de la France a été récemment réaffirmée lors de la création du Comité de Politique Monétaire de la BCAO puisque «  le représentant du Trésor Français y a une voix délibérative, alors que le Président de la Commission de l’UEMOA [Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine] n’y détient qu’une voix consultative !  » (http://alternatives-economiques.fr/blogs/nubukpo/2011/09/14/reunion-de-la-zone-franc-a-paris-quelle-gestion-pour-le-franc-cfa-dans-un-monde-en-crise-3/ )

Survie

est une association loi 1901 créée en 1984 qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique.

Survie, via ses groupes de recherche, produit une analyse régulière de la politique française en Afrique et publie des brochures et des livres.

http://survie.org

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