Grands projets et dette publique

7 novembre 2012 par Jean-Denis Gauthier


Depuis la pyramide de Chéops, le grand projet manifeste la mégalomanie des puissants et commande l’admiration des directeurs de conscience à leur service. L’industrialisation lui a donné un tour utilitaire, l’économie de services qui lui a succédé le pare aujourd’hui des atours de l’intérêt général. Mais qui dit grand projet dit investissement et dit endettement. Le chemin de croix du développement du Tiers-Monde, l’organisation des jeux olympiques, les illusions linéaristes sur le devenir économique en fournissent les exemples.



Les barrages d’Inga

Après avoir été forcé de reprendre la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du colonisateur belge, sous la pression de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et des théories du développement par l’industrialisation, le Congo du dictateur Mobutu reprit un projet conçu entre les deux guerres mondiales et lancé en 1957 par le même colonisateur : les barrages d’Inga, sur le cours inférieur du Congo.

Inga I, d’une puissance de 351 MW a été mis en service en 1972, Inga II, 1 424 MW en 1982. Leur rationalité dépendait de la présence d’industries consommatrices intensives d’énergie à proximité qui n’existaient pas et n’existent toujours pas. Inga devait dispenser l’électricité à tout le pays. En raison de malfaçons et par défaut d’entretien, les deux centrales ne tournent plus qu’à 20% de leur capacité.

De 1970 à 1982, la dette publique externe de la RDC est passée de 307 à 4 071 millions d’USD courants et le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. de 34 à 128 millions. La moitié de son augmentation est attribuée aux barrages d’Inga. La valeur ajoutée de la production manufacturière, qui représentait 15,2% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 1980, en représentait 5,5% en 2009. Les moins critiques des observateurs estiment la part de la population fournie en électricité à 11%.

Des projets de réhabilitation d’Inga I et II, évalués à 550 USD millions, de construction d’Inga III et du Grand Inga, pour des coûts de 5 et 50 USD milliards, sont dans les cartons. L’opérateur sud-africain Eskom en est demandeur, mais ces projets sont irrationnels au point que BHP Billiton y a renoncé. La population congolaise n’en est pas demandeuse.

Inga n’a en rien contribué à l’industrialisation de la RDC ni donné accès à l’électricité à la population congolaise. En revanche, sa contribution à l’alourdissement de la dette publique est indéniable.

Ici se manifeste une caractéristique, que l’on retrouvera, du grand projet : Il est mené au mépris des populations qu’il concerne. Il a été estimé qu’entre 40 et 80 millions de personnes ont été déplacées à cause des grands barrages pendant le siècle 20.

Les jeux olympiques d’Athènes

L’organisation de jeux olympiques est un type de grand projet qui paraît aujourd’hui s’imposer de lui-même. La mégalomanie des puissants y trouve un terrain d’affrontement, la plus épaisse fierté nationale une occasion d’expression. Par une sorte d’absurdité chronologique, la Grèce avait le devoir d’organiser ceux de 2004.

Evalués au départ à 4,6 USD milliards, ils en ont coûté finalement 13, dont 7 à la charge de l’État. Les spectateurs du film Debtocracy ont pu voir le ministre des finances d’alors affirmer que l’État n’avait aucun problème pour financer ces jeux. En effet, l’État empruntait alors sans difficultés. Les raisons du dérapage des coûts importent peu en regard de la décision de les organiser.

Entre la fin de l’année 2000 et celle de l’année 2004, la dette publique de la Grèce est passée de 139 à 201 €milliards. L’organisation des jeux ne contribue qu’au dixième environ de cette augmentation, encore qu’il n’en faut pas négliger les coûts de fonctionnement, eux aussi financés par l’emprunt.

Les inévitables Pangloss remarquent que ces jeux ont donné lieu à la construction d’infrastructures telles qu’autoroutes, aéroport, métro, tramway, financés pour moitié par l’Union européenne. On voit aujourd’hui que ces infrastructures n’ont pas empêché la dette de produire ses effets.

L’organisation de ces jeux n’a en rien contribué à l’amélioration de la situation de la Grèce et de sa population. C’est là une autre caractéristique du grand projet : S’il est indéniable qu’il satisfait quelques intérêts particuliers, en dépit des allégations invariables de ces intérêts, il ne sert jamais l’intérêt général.

L’aéroport de Notre-Dame des Landes

Ce grand projet a été conçu en 1974 par des élus et des entrepreneurs des régions Bretagne et Pays de la Loire. Il consiste à transférer le trafic aérien de l’aéroport de Nantes-Atlantique, au sud proche de Nantes, à Notre-Dame des Landes, commune bocagère située à une trentaine de kilomètres au nord de la ville. Il est à noter que l’aéroport actuel a été classé meilleur aéroport de France en 2011.

Le projet postule l’insuffisance prochaine de Nantes-Atlantique et le développement continu du transport aérien. On reconnaît là les illusions linéaristes sur le devenir économique, la croyance béate dans la prolongation de la tendance en cours.

Dès 1975, le Bureau Études et Analyses du journal régional Ouest-France avait conclu, après une enquête de terrain, à l’irrationalité du projet. La montée en puissance du maire de Nantes, devenu depuis premier ministre, a réactivé un projet qui végétait. En 2008, une déclaration d’utilité publique (DUP) a validé le projet. L’État a concédé la construction et l’exploitation du projet au groupe Vinci (2010).

L’évaluation du projet par la DUP concluait à un bénéfice net de l’opération de 607 €millions et à un coût de 330 €millions pour les pouvoirs publics. En octobre 2011 est paru un rapport du BE néerlandais CE Delft portant sur l’examen de l’analyse globale Coûts/Bénéfices (SCBA) du projet et sa comparaison avec des améliorations sur l’aéroport de Nantes-Atlantique. Ce rapport a été commandé à un collectif d’élus opposé au projet, le CédPa.

Ce rapport met en lumière des biais, des erreurs et des lacunes suffisants pour remettre en cause la DUP. La surestimation des avantages que procurerait le nouvel aéroport est évidente. Avec une évaluation réaliste de ces avantages, le résultat net de l’opération serait un déficit de 91 millions pour un endettement public de 304 millions. Une évaluation tenant compte des traits récurrents (surcoûts) des grands projets porterait ce déficit à 614 millions pour un endettement public de 757 millions.

Toujours selon ce rapport, l’amélioration du site de Nantes-Atlantique pourrait générer un bénéfice de 106 à 158 millions pour un coût public de 93 à 134 millions.

Sur le terrain, les agriculteurs menacés par le projet et les militants environnementalistes qui s’y opposent, mobilisés depuis une décennie pour les premiers, sont aujourd’hui violemment confrontés à un dispositif policier chargé de protéger les intérêts du concessionnaire Vinci.

Les élus promoteurs du projet, à commencer par l’actuel premier ministre et son successeur à la présidence du Conseil régional des Pays de Loire, ignorent le rapport de CE Delft comme ils ont ignorés les élus du CédPa. Leur mégalomanie et leur connivence avec le concessionnaire leur tiennent lieu de raison.

En dépit de sa relative modestie, ce projet confirme les grands traits du grand projet : Mégalomanie des décideurs politiques, mépris des populations, attitude foncièrement anti-démocratique, service des intérêts des grandes entreprises et de leurs actionnaires, endettement des pouvoirs publics.