Voici une logique implacable. Nous introduisons une fiscalité internationale et son produit peut servir à financer la grande priorité de la coopération au développement. Nous taxons la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière moyennant une taxe Tobin
Taxe Tobin
Taxe sur les transactions de change (toutes les conversions de monnaie), proposée à l’origine en 1972 par l’économiste américain James Tobin pour stabiliser le système financier international. L’idée a été reprise par l’association ATTAC et par d’autres mouvements altermondialistes dont le CADTM, dans le but de diminuer la spéculation financière (de l’ordre de 1.200 milliards de dollars par jour en 2002) et de redistribuer le bénéfice de cette taxe aux plus démunis. Les spéculateurs internationaux qui passent leur temps à changer des dollars en yens, puis en euros, puis en dollars, etc., parce qu’ils estiment que telle monnaie va s’apprécier et telle autre se déprécier, devront payer une taxe minime, entre 0,1 % et 1 %, sur chaque transaction. Selon ATTAC, elle pourrait rapporter au moins 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Qualifiée d’irréaliste par les classes dirigeantes pour justifier leur refus de la mettre en place, l’analyse méticuleuse de la finance mondialisée menée par ATTAC et d’autres a au contraire prouvé la simplicité et la pertinence de cette taxe.
et nous l’utilisons pour réduire la pauvreté.
Malheureusement, ce n’est pas une bonne idée. Parce que les objectifs du millénaire (MDG) ne sont pas ambitieux et peuvent être financés d’une autre façon. Et parce que la taxe Tobin est conçue pour combattre la spéculation financière. Regardons de plus près ces deux points.
Un. Les objectifs du millénaire ne sont pas ambitieux. Le premier objectif est de réduire de moitié la pauvreté extrême entre 1990 et 2015. Selon Jeffrey Sachs dans son rapport à l’ONU, la pauvreté extrême est la pauvreté « qui tue ». Il s’agit de personnes qui gagnent moins de 1 $ par jour et qui meurent de faim ou de maladies parfaitement curables. Selon la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, il s’agit toujours de plus d’un milliard d’êtres humains. La moitié de la population mondiale vit avec une moyenne de 1,25 $ par jour. Ces chiffres ne sont pas très corrects, mais ce sont les seuls dont nous disposons et ils indiquent l’ampleur du problème. Réduire de moitié la pauvreté extrême, cela veut dire que l’on laisse mourir un demi milliard de personnes.
Les objectifs du millénaire ne seront pas atteints. La Banque mondiale le constata dès 2001. La pauvreté diminue en Chine et en Inde, elle stagne en Amérique latine et continue d’augmenter en Afrique. Selon les calculs de Jeffrey Sachs, l’on aura besoin de 135 milliards $ en 2006 et de 195 milliards $ en 2015 pour mettre en place les ’bonnes’ politiques. Cela correspond à respectivement 0,44 et 0,54 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
des pays riches. Ceux-ci ont promis, il y a trente-cinq ans, de dépenser 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement. Ils l’on répété en 2002, à l’occasion de la conférence de l’ONU à Monterrey. Ils ne le font toujours pas. En même temps, les budgets militaires s’élèvent chaque année à 900 milliards $.
Les objectifs du millénaire ne peuvent pas être atteints. Les stratégies de lutte contre la pauvreté des organisations internationales ne visent que la croissance. Selon le PNUD
PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
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, au rythme actuel, l’Afrique devra attendre jusqu’en 2147 pour réduire de moitié la pauvreté extrême. 54 pays sont aujourd’hui plus pauvres qu’ils ne l’étaient déjà en 1990. Ce n’est pas la ’mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
’, mais les privatisations, la libre circulation des capitaux et le libre-échange qui provoquent plus de pauvreté qu’ils n’en font disparaître. Le ’marché libre’ du textile introduit en janvier 2005 est à l’origine du chômage de centaines de milliers d’ouvriers. La politique sociale qui est mise en place par certains pays est de ce fait annulée.
Il est évident que les objectifs du millénaire doivent être poursuivis. Mais cette politique ne peut suffire et la lutte contre la pauvreté n’est pas synonyme de développement. Les MDG peuvent être financés dans le cadre des 0,7 % promis par les pays riches. Il n’y a aucun argument pour ne pas le faire. Et il n’y a aucun argument pour les ONG pour ne pas défendre un développement économique et social, condition réelle d’une diminution de la pauvreté.
Deux. La croissance des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
est une des caractéristiques majeures de la mondialisation. Chaque jour, près de trois mille milliards de $ sont échangés. Les spéculateurs peuvent facilement déstabiliser les marchés nationaux des pays pauvres. Ce sont les populations qui en sont les victimes. Les élites des pays pauvres ont plus de fonds sur les comptes bancaires au Nord que la totalité de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure de leur pays. 40 % de la richesse africaine se trouve sur des comptes dans les pays riches et dans les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
. Voilà une bonne raison pour limiter le pouvoir des marchés financiers.
Plusieurs propositions d’une fiscalité internationale sont en discussion. Une fiscalité sur les ventes d’armes, par exemple. Voilà ce qui est cynique, car plus on vend des armes pour tuer les gens, plus on a de l’argent pour combattre leur pauvreté. Ou une taxe sur les émissions de CO2. Ou sur le combustible des avions. Ou tout simplement sur le revenu des pays riches. Supposons que toutes ces propositions soient liées aux MDG, que faire de la taxe Tobin si l’on décide de taxer les émissions de CO2 ? Avec quels arguments faudra-t-il continuer à le défendre ?
Blair propose une International Finance Facility, un moyen de financer l’aide au développement avec des emprunts qui seront remboursés plus tard par les pays riches. Mais que faire si - une fois de plus - les pays riches ne tiennent pas leur promesse ? L’aide au développement en souffrira.
Cela me mène à deux conclusions. Premièrement, la taxe Tobin doit garder son objectif spécifique et doit être considérée comme un des éléments d’une fiscalité internationale dont nous avons besoin. Le contrôle sur les marchés financiers est essentiel dans toute lutte pour une autre mondialisation. La taxe Tobin est prioritaire parce qu’il s’agit d’une mesure structurelle qui a fait l’objet d’études multiples. Mais ce n’est pas une bonne idée de l’utiliser pour les MDG, car cela pourrait inciter certains pays de se limiter à sa première phase, limitée, suffisante pour apporter de l’argent, mais insuffisante pour limiter la spéculation financière.
Deuxièmement, il faudra réfléchir sur une fiscalité internationale aux fins d’une redistribution mondiale. La lutte contre la pauvreté n’est pas suffisante. Il faut également une lutte contre les inégalités et pour une politique de développement économique et social des pays pauvres. Il est triste de constater que l’accent est mis sur les MDG, exactement au dixième anniversaire du sommet social de Copenhague. Le programme d’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
qui y fut approuvé est oublié. On y parla de la pauvreté, mais aussi de l’emploi et de l’intégration sociale.
Nous aurons besoin d’un débat démocratique sur la façon dont le produit d’une fiscalité internationale pourra être utilisée, de préférence à l’ONU. L’on peut penser à un programme de reconstruction économique et sociale pour réparer les dégâts provoqués par le ’Consensus de Washington’. L’on peut penser à la production de biens publics globaux, tels la paix et la sécurité, la santé, la justice sociale, l’égalité entre hommes et femmes, etc. Et l’on peut penser à un programme de travail décent et d’un respect de tous les droits humains internationalement reconnus, y compris les droits économiques et sociaux. C’est ce que demande la Commission de l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
sur la dimension sociale de la mondialisation.
Les objectifs du millénaire ne sont qu’un faux-fuyant. Ils nous sont présentés comme un programme de développement ambitieux, tandis que les deux stratégies qui y mènent sont répréhensibles. D’une part, le risque existe qu’ils se limitent à une nouvelle version de ’bonnes ¦uvres’ caritatives. Elles permettront à Bill Gates, Bono et Sharon Stone de s’acheter une bonne conscience. D’autre part, les stratégies de lutte contre la pauvreté sont utilisées pour imposer aux pays pauvres des réformes néolibérales. Jeffrey Sachs, un des pères des ajustements structurels, plaide aujourd’hui pour des investissements publics dans le secteur de l’enseignement et de la santé, et pour un rôle protagoniste des Nations Unies. Or, rien n’indique que la Banque mondiale et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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aient assoupli leur propension à privatiser. Les ONG ne peuvent se joindre aveuglement à de telles stratégies. L’on attend d’elles qu’elles mettent l’accent sur les inégalités, sur le manque de politiques de développement économique et social. Le mouvement pour le tiers monde est né pour contribuer à combler l’écart entre les pays riches et les pays pauvres. Aujourd’hui, cet écart risque d’être oublié. Tout comme la redistribution et les droits économiques et sociaux qui devraient se situer au centre de tout discours sur le développement et sur la pauvreté.
Francine Mestrum, Attac Vlaanderen.
17 décembre 2013, par Francine Mestrum
FSM Tunis
Le Forum social mondial et sa gouvernance : le monstre à cent têtes26 avril 2013, par Francine Mestrum
26 avril 2011, par Francine Mestrum
17 septembre 2010, par Francine Mestrum
24 juin 2005, par Francine Mestrum