Recension Bancocratie : « C’est pas nous ! »

26 septembre 2014 par Raymond Klein


Correctement interpréter la crise financière, démasquer les discours des lobbyistes bancaires. Voilà ce que fait Eric Toussaint dans son nouveau livre, qu’il présentera mardi prochain au Luxembourg.



Il y a ceux qui, face à la crise financière, se contentent de critiquer l’insuffisance des mesures prises depuis 2009 pour réguler la finance. Ils estiment en quelque sorte qu’il faut se débarrasser du bébé monstre de la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
effrénée tout en envisageant de garder l’eau du bain, à savoir les marchés financiers. Et puis il y a ceux qui voudraient renverser la baignoire, qui proposent de mettre fin une fois pour toutes aux ravages économiques, sociaux et écologiques que produisent les mécanismes à la base du capitalisme financier. Eric Toussaint, qui tiendra une conférence mardi 30 septembre à 19h au Casino syndical, fait sans aucun doute partie de ces derniers.

Engagé depuis plus de 20 ans au Comité pour l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde (CADTM), il a eu le temps de se familiariser avec les activités néfastes des banques du Nord dans les pays du Sud, relayées par les plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. Des plans basés sur l’austérité budgétaire - l’autre nom du démantèlement social -, qui ont refait leur apparition lors de la crise de l’euro, appliqués cette fois-ci à des pays du Nord. Avec les mêmes conséquences désastreuses sur les populations et l’économie, tandis que la plupart des banques privées, une fois de plus, ont tiré leur épingle du jeu. De quoi désespérer du système. Qu’on partage les vues anticapitalistes d’Eric Toussaint ou non, on peut comprendre que, à côté de ses activités dans le CADTM et Attac, il se soit aussi engagé au sein de la Quatrième Internationale (trotskyste).

Son nouveau livre, « Bancocratie », n’est d’ailleurs pas seulement destiné aux pourfendeurs les plus radicaux du capitalisme financier. Nous vivons aujourd’hui une sorte de restauration de l’ancien régime économique, nous écoutons les discours incroyablement arrogants des lobbyistes financiers en train de se décharger des conséquences de leurs erreurs, blâmant le gonflement des dettes publiques et le niveau « excessif » des salaires. Face à cela, il faut des arguments, et ils se trouvent dans ce livre. Sur le site d’Attac, Toussaint écrit que les lecteurs et lectrices y trouveront « des informations et des arguments solides qui leur permettront de se joindre au mouvement de rejet du capitalisme », mais aussi, pour un public plus large, des éléments permettant de contrer « les mensonges répandus par les grands médias, les banques et les gouvernants ».

L’intérêt que présente le livre - et la conférence - d’Eric Toussaint se confirme en jetant un coup d’oeil sur la table des matières. Au-delà des explications sur le fonctionnement des marchés financiers et les causes ainsi que le déroulement de la crise financière, on trouve des études détaillées de tel ou tel exemple typique : la banque HSBC et le blanchiment, la manipulation du taux de référence londonien Libor LIBOR
London Interbank Offered Rate
Taux interbancaire de la City londonienne (très proche du prime rate des États-Unis, autre taux de base des prêts internationaux).
ou l’UBS et l’évasion fiscale. Le livre, découpé en 40 chapitres et muni d’un glossaire, peut aussi s’utiliser comme une référence. Le débat qu’a entamé sur le site d’Attac François Chesnais avec Eric Toussaint devrait aussi rassurer les sceptiques : l’économiste marxiste reproche à l’auteur d’avoir négligé les fondements théoriques, mais concède que « Bancocratie » contient « un très grand nombre d’informations précieuses ».

Eric chez les superparasites

Cela dit, mardi prochain, Toussaint séjournera dans un pays dont la prospérité est fondée sur la finance qui, à son tour, selon l’analyse marxiste, phagocyte l’économie réelle. Quel message apportera-t-il au superparasite que constitue le Luxembourg ? Le résumé des mesures à prendre qu’il a dressé sur le site d’Attac inclut des propositions comme « Mettre fin au secret bancaire », « Interdire les marchés financiers de gré à gré » (comme ceux gérés par Clearstream) et « Interdire les transactions avec les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
 ». De quoi signer l’arrêt de mort du Luxembourg en tant qu’entité économique. Y aura-t-il un banquier dans la salle ?


Source : http://www.woxx.lu/id_article/7643


Le livre : http://cadtm.org/Bancocratie