Quelques semaines après les rencontres internationalistes du Plan B de Paris en janvier et du lancement de « Diem » à Berlin début février, le Plan B madrilène reprend le flambeau et poursuit la mission de recomposition de la gauche européenne tout en dépassant les clivages qui mettent en péril le projet commun d’une Europe réellement démocratique au service des peuples. En réponse à l’Appel contre les politiques d’austérité et la « dettocratie » signé par plus de 13 000 personnes, dans un contexte politique espagnol extrêmement instable deux mois après les législatives du 20 décembre, les rencontres du Plan B pour l’Europe se sont déroulées au Centre Social et Culturel Matadero [1] de Madrid du 19 au 21 février dernier.
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Il s’agit selon cet appel de « créer un espace de confluence au sein duquel tous les mouvements, les personnes et les organisations qui s’opposent au modèle actuel d’Union européenne puissent discuter et élaborer un agenda commun d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
, de projets et d’objectifs. Ceci dans le but principal de rompre avec le régime d’austérité de l’UE et de démocratiser radicalement les institutions européennes, en les mettant au service des citoyens. » Même si certains signataires, tel la CUP de Catalogne, ne croient pas à une supposée démocratisation des institutions européennes et préfèrent parler d’une refonte totale plutôt que d’une réforme, tous appuient l’initiative. A ce propos, Marina Albiol, eurodéputé de Izquierda Unida affirme clairement : « Cette Europe n’est pas réformable. C’est pour cela que nous sommes venu la briser, briser ses normes et récupérer ce qu’ils nous ont volé ». « Nous ne nous trompons pas d’ennemis. Ce n’est pas une lutte entre pays, c’est une lutte de classe » conclut-elle.
Le réseau CADTM Europe était bien représenté avec une délégation de Belgique, France, Grèce, Pologne et Ukraine, et a participé activement aux deux ateliers sur l’audit de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
[2] et différentes réunions. Ce fut aussi l’occasion de présenter le livre nouvellement édité en espagnol sur la construction européenne au service des marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
(voir en espagnol : « Construcción europea al servicio de los mercados financieros ») dont les auteurs sont actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
au sein de la PACD (Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Espagne) et du CADTM.
Articulé autour de 4 forums intitulés « L’Union européenne comme champ de bataille », « Égalité des droits dans un monde limité », « Une économie pour construire une autre Europe », « Transformer les institutions et nouvelles formes de démocraties » et de nombreux ateliers regroupés par axes thématiques (« Non à la Dettocratie », « Dernier appel... face à la crise écologique globale ? », « Le Plan B sera féministe ou ne sera pas », « #RefugeesWelcome : une Europe sans barrières ni racisme », « Alternatives au régime de commerce et d’investissement », « Le projet européen, entre monnaie et démocratie » ou « Droits sociaux et droits du travail »), des alternatives aux politiques d’austérité en cours en Europe ont été clairement avancés.
Faisant parfois penser à un « mini-forum social européen », près de 3 000 personnes, selon les organisateurs, se sont retrouvées pour tirer les leçons de la capitulation de Syriza qui a renié ses promesses de campagne et mettre en mouvement des alternatives. Le Plan B ouvre un espace qui était de nouveau inexistant depuis la disparition des derniers forums sociaux européens. Un espace de rencontres, de débats et d’organisation de la gauche pour avancer des stratégies et un calendrier commun de mobilisations, notamment le 28 mai, date anniversaire de la fin sanglante de la Commune de Paris, [3] qui a été choisie pour affirmer aux quatre coins de l’Europe notre refus de l’austérité imposée par la Troika.
Couverture médiatique inappropriée
La personnalisation démesurée de certaines figures emblématiques lors d’événements politiques majeurs, dissimule trop souvent le travail colossal de centaines de collectifs hyper actifs sans budget ni en quête de notoriété. Comme à leur accoutumée, les médias mainstream ont personnalisé l’événement et se sont focalisé sur l’ex-ministre des finances, Yanis Varoufakis, venu présenter son « DiEM 25 » (Democracy in Europe Movement 2025), ébauche d’un mouvement transnational qui veut démocratiser l’Europe. Varoufakis a appelé à la formation de « Brigades internationales pour rendre la démocratie à l’Europe », assurant que l’important était, pour le prochain gouvernement d’Espagne, qu’il soit capable de « dire « no pasaran » à Bruxelles ». On déplore cependant le peu d’écho du Plan B de Madrid en général dans la presse commerciale. [4] Les paroles retentissantes de Zoé Konstantopoulou, l’ancienne présidente du parlement grec, appelant les gouvernements européens à ne pas payer la dette, considérant qu’elle relève d’un mécanisme « illégal et illégitime qui génère austérité et pauvreté » n’ont pas été relayées par les médias dominants...
Les mouvements sociaux répondent à l’appel
L’aspect positif est sans conteste celui de la participation. En plus des syndicats espagnols CGT (libertaire), ELA (pays basque), Intersindical Valenciana (Pays Valencien) et du reste de l’Europe, de nombreux mouvements sociaux étaient représentés tels la coordination des affectés par l’hypothèque (PAH), ATTAC, la « Marée blanche » qui lutte pour une santé de qualité et contre sa privatisation, les travailleurs en lutte de Coca-Cola /Madrid, Via Campesina, la Marche Mondiale des Femmes, Ecologistas en Acción, Precarios Inflexiveis du Portugal, le Tribunal Permanent des Peuples, etc. Ont participé par ailleurs, de nombreux députés et responsables politiques de différentes formations comme Podemos (Miguel Urbán et Lola Sánchez, eurodéputés), Izquierda Unida-Unidad Popular (Alberto Garzón et Sol Sánchez, députés), Equo, Compromís (Mònica Oltra) Barcelona en Comú (Gerardo Pisarello) ou Ahora Madrid (Carlos Sánchez Mato) en Espagne, Unité Populaire en Grèce, Die Linke d’Allemagne, Parti de Gauche en France, Left Party de Suède, Bloco d’Esquerda du Portugal...
Les mouvements et organisations qui luttent contre l’asservissement de la dette sont venus en nombre pour se coordonner et relancer le réseau ICAN (International Citizen Debt Audit Network) : les coordinations d’Audit Citoyen de la Dette de différents pays (PACD-Espagne, Debt Resistance UK, CAC France, Acide Belgique) et les organisations internationales (Eurodad, CADTM) se sont retrouvées avec de nouveaux intéressés venant d’Italie, Suisse, Pologne et Ukraine. La relance de ce réseau est bienvenue car il peut aider à faire connaître les expériences et problématiques d’autres pays, coordonner des campagnes internationales, populariser le non paiement de dettes illégitimes, faire exemple et renforcer le mouvement populaire... [5]
Comme le dit bien Eric Toussaint, porte-parole du CADTM, « le défi de ce projet consiste à construire un mouvement radical et de rupture au niveau européen », ce qui signifie « désobéir aux créanciers ». Il faut abroger l’article 135 de la Constitution espagnole et ne pas payer la dette illégitime. Quelques jours après le Plan B de Madrid, celui-ci appelle à une « rébellion démocratique » sur le continent, à la « désobéissance civile face aux Institutions ».
[1] Anciens abattoirs reconvertis en un immense Centre culturel de la capitale.
[2] Lire le compte-rendu de Jérémie Cravatte, Ateliers sur l’audit citoyen de la dette au Plan B de Madrid.
[3] Le 28 mai 1871 succomba la dernière barricade de la Commune de Paris au terme de la « semaine sanglante » durant laquelle près de 30 000 communards sont écrasés et exécutés en masse.
[4] A ce jour, nous n’avons rien vu de publié dans le journal au plus fort tirage, El País, par exemple...
[5] Lire à ce propos le compte-rendu de Chiara Filoni, Cinquième rencontre d’ICAN : des énergies retrouvées !
est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.
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