En Inde, ce sont 9 000 agriculteurs indiens qui se
sont donnés la mort au cours des 5 dernières années
dans les seuls Etats du Maharashtra, de l’Andrha
Pradesh, du Karnataka et du Kerala. Acculés devant
leurs dettes impayables, la mort était leur seule issue.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Alors que les
deux tiers des exploitations agricoles ne dépassent
pas un hectare, la libéralisation du commerce et le
démantèlement de l’Etat indien imposées via les politiques
d’ajustement structurel ont eu des effets
dévastateurs sur la population paysanne.
Concrètement, la libéralisation du commerce s’est
traduite par une arrivée en masse de semences
importées, et par une augmentation du prix des pesticides
et des engrais. Dans ce contexte, les coûts de
production agricole ont grimpé : aujourd’hui, cultiver
un hectare au Maharashtra coûte 11 000 roupies,
contre 5000 il y a dix ans.
Mais les politiques néolibérales ont aussi attaqué les
mécanismes d’accompagnement et de soutien que
l’Etat apportait aux paysans. Le Maharashtra, pourtant
l’Etat le plus riche du pays, a ainsi mis fin à la
garantie des prix du coton : jusqu’en 2004, l’Etat
garantissait aux paysans d’acheter la totalité de leur
production cotonnière à prix fixe. Les politiques d’austérité
sont passées par là, sapant les protections érigées
par l’Etat, et mettant en compétition le coton
indien avec le coton américain subventionné, ce dernier
étant jusqu’à 40% moins cher.
Alors vers qui se tourner ? Seuls 12% des prêts bancaires
bénéficient aux agriculteurs, bien qu’ils représentent
les deux tiers de la population active. Pris
dans l’étau, avec des coûts de production plus élevés
d’un côté, une chute de leur revenu et un moindre
accès aux prêts bancaires de l’autre, les paysans
n’ont d’autre choix que de se tourner vers des usuriers
qui pratiquent des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
ahurissants et
les plongent en quelque mois dans une situation inextricable.
Comble de l’ironie, ces prêteurs d’argent travaillent
en collaboration étroite avec les mêmes vendeurs
des semences et pesticides : ceux qui prêtent
sont ceux qui génèrent la nécessité de prêt. Et en
bout de course, c’est souvent en ingurgitant les pesticides
en partie responsables de leur appauvrissement-
que les paysans indiens mettent fin à leurs
jours...
Retour en arrière...
Pourtant, la politique agricole indienne a longtemps
eu comme priorité la souveraineté alimentaire : à ce
titre, l’autosuffisance alimentaire et l’approvisionnement
intérieur étaient des points cruciaux.
En 1994, l’Inde va entrer dans la ronde macabre en
adhérant au cycle de l’Uruguay, ancêtre de l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
. Dès
lors, elle va progressivement mettre en application
des mesures de libéralisation commerciale : l’ouverture
aux importations, la réduction des mesures de
soutien et l’élimination des subventions à l’exportation
seront les trois axes sur lesquels vont d’abord se
concentrer les mesures.
Mais plus généralement, c’est un véritable virage néolibéral
que l’Inde effectue au cours des années 90.
Bien qu’ayant conservé jusque là une relative indépendance
vis-à-vis des institutions financières internationales,
elle va peu à peu lancer des politiques
macroéconomiques tout à fait conformes à celles des
programmes d’ajustement structurel : coupe franche
dans les budgets publics, baisse puis arrêt des subventions
aux produits de première nécessité et aux
secteurs fragiles (parmi eux les agriculteurs), privatisations,
facilitation des mouvements de capitaux, etc.
L’effet conjugué de ces politiques économiques et
des mesures de libéralisation commerciale impulsées
par l’entrée de l’Inde dans le futur OMC vont se
potentialiser et se révéler catastrophiques pour les
65% d’Indiens qui vivent de l’agriculture.
Nécessaire changement
L’abandon immédiat et inconditionnel des politiques
néolibérales en Inde, dans tous les domaines, est une
exigence. L’Inde doit recouvrer sa souveraineté, en
particulier sa souveraineté alimentaire. Les droits
humains fondamentaux des paysans indiens sont
prioritaires face aux exigences de libéralisation commerciale
mortifères. Pour opérer ce changement radical
de logique et placer comme objectif la satisfaction
des besoins humains dans le respect de l’environnement
et dans un esprit de justice sociale, ce ne sont
pas les moyens qui manquent : avec presque 7% de
croissance en 2004-2005 et disposant d’importantes
réserves de change, la conjoncture est tout à fait
favorable pour effectuer ce renversement de la
donne. La mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
et son contenu actuel ne
sont pas un cadre indépassable. Bien au contraire,
elles sont un cadre qui doit nécessairement être
dépassé pour qu’un jour, les paysans indiens aient
une autre issue que la mort.
11 avril 2007, par Julie Castro
11 avril 2007, par Julie Castro
8 novembre 2006, par Julie Castro
7 novembre 2006, par Julie Castro
7 septembre 2005, par Eric Toussaint , Damien Millet , Julie Castro
Compte-rendu de la rencontre internationale du CADTM
FMI, Banque mondiale : 60 ans, c’est l’âge de la retraite !9 novembre 2004, par Damien Millet , Julie Castro