Pas de Développement sans émancipation des femmes

16 juillet 2008 par Christine Vanden Daelen




Au début de chaque été, l’équipe du CADTM organise une formation résidentielle. Cette année, rendez-vous fut pris le premier week-end de juillet au domaine de la Communauté française « La Marlagne » à Namur. En ces 5 et 6 juillet 2008, la météo, hélas, ne nous permit pas de profiter du cadre verdoyant de ce domaine comme lors des formations précédentes mais surtout, la thématique impartie à ce week-end avait des consonances quelque peu différentes. Nous allions parler des femmes…de leurs luttes, de leurs revendications et de leurs projets d’émancipation pour la moitié de l’humanité. Le choix de cette thématique reflète la position du CADTM qui est, au-delà de l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
comme moyen, de lutter contre toutes les oppressions et celle des femmes devait trouver une place prioritaire dans nos activités.

Grâce à un système de covoiturage des mieux coordonnés, la cinquantaine de participants est arrivée à bon port. Beaucoup de nouvelles têtes mais aussi des participants « fidèles », individus et membres d’associations … La multi culturalité de l’audience – reflet de la diversité des mouvements féministes - laissait présager de la richesse des échanges, des points de vue et des analyses à venir. Ce fut confirmé.

« Paroles de femmes » mais surtout : « Paroles aux femmes ! »

Lieu de convergence d’activistes féministes, de participants [1] sensibles aux problématiques du « genre » ou en recherche d’apports théoriques pour mieux appréhender le féminisme, ce week-end ouvrit un espace d’expression, de rencontres et de débats manifestement trop rare. Se réunir, réfléchir ensemble aux perspectives communes à élaborer pour venir à bout du patriarcat, échanger sur les combats à mener, s’informer, apprendre, rendre visibles des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
, retrouver la voix de la base… furent autant de leitmotivs pour ces femmes venues de France, de Belgique, de RDC, du Brésil, de Bolivie, du Burkina Faso, d’Equateur, etc.

Une écoute respectueuse des opinions, parfois contradictoires, des unes et des autres, des débats libres où règne une grande ouverture d’esprit, ont permis la participation active de personnes provenant d’horizons socioculturels très divers. Une multitude d’expériences, de vécus et de témoignages de femmes vivant au Nord comme au Sud purent être ainsi partagés.

Matières en débats

Céline Caudron, militante féministe, collaboratrice de la revue La Gauche, mit en lumière plusieurs concepts couramment utilisés lorsqu’on parle des rapports homme/femme. Les notions de « genre » - si pertinemment illustrée par la formule de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient » -, de rapports sociaux de sexe, de sexisme et de patriarcat, bien que sujettes à polémiques, ne contenaient désormais plus de zones d’ombre pour la salle. L’historique et les différentes tendances du mouvement féministe furent ensuite présentés et débattus. Ces divers apports théoriques générèrent des réflexions collectives sur l’acquisition ou non par les femmes du Nord comme du Sud, d’un pouvoir effectif de décision, de la capacité à prendre la parole en public et d’une autonomie financière. Face au constat qu’ « une femme sans argent n’a rien à dire », les participantes s’entendirent sur l’urgence d’éliminer les contraintes matérielles des femmes. Ainsi, tout en travaillant, sur le front culturel, à faire évoluer les mentalités, les mouvements de femmes doivent s’engager dans la lutte contre le système capitaliste.

Miriam Nobre, coordinatrice du Secrétariat international de la Marche Mondiale des Femmes, en présentant le féminisme en Amérique latine, a également ouvert le champ à des questionnements multiples. On discuta de la féminisation de l’immigration qui inverse totalement la distribution des rôles au sein des familles ; phénomène susceptible de faire émerger tensions et violences conjugales. De fait, bien souvent, ce sont les femmes immigrées qui rapidement ramènent les ressources nécessaires à la survie de la famille. L’homme agira dès lors, davantage au niveau de la sphère privée en faisant les courses, en s’occupant de l’éducation des enfants … ce qui inverse le vécu des rapports sociaux traditionnels. La tendance à l’institutionnalisation du mouvement féministe, la place du travail dans la vie des femmes, les effets pervers de l’instauration de la parité au sein des institutions politiques constituèrent autant de thèmes analysés par les participantes.

Les participants terminèrent cette première journée en visionnant le film de Marie-France Collard « Ouvrières du monde », film réalisé par une femme, avec des ouvrières femmes, des syndicalistes femmes. Un très bon document pour comprendre comment les femmes du Sud et du Nord ont les mêmes ennemis et peuvent nouer leurs luttes.

Après les introductions en plénière, Céline et Miriam ont chacune animé un atelier lors de la deuxième journée, l’une sur le féminisme au Nord et les nouvelles questions du mouvements féministe ; l’autre, sur la Marche Mondiale des Femmes et le féminisme au Sud. Denise Comanne du CADTM animait, quant à elle, un atelier reliant la problématique du genre à celle du développement.

Ensemble pour aller plus loin

Ce week-end ne représente qu’une première étape : la volonté de donner suite à la synergie émergeant de cette rencontre pour approfondir, entre autres, les propositions de stratégies et d’actions concrètes collectivement identifiées prédominait clairement lorsque nous nous sommes quittées. Si le CADTM s’engage à amplifier l’impact de cette formation en assurant la divulgation maximale de son contenu, en publiant un dossier dans sa revue « Les Autres voix de la Planète » et en réalisant un module de formation sur le genre, les participantes se sont quant à elles, entendues sur la nécessité de recréer des groupes militants de base à même de véhiculer, surtout auprès des jeunes, un message emprunt d’une vision idéale à long terme. Le prochain rendez-vous en 2010 de la Marche Mondiale des Femmes en fournira l’occasion.

Au sortir du week-end, planait la conviction unanime selon laquelle l’émancipation totale des femmes ne pouvait devenir réalité qu’en dehors du système capitaliste et patriarcal. C’est en s’associant à d’autres luttes transversales (cf. les sans-papiers, les syndicats, etc.) que les mouvements des femmes participeront à l’instauration d’une nouvelle manière de vivre ensemble non plus structurée par la loi du plus fort et du profit individuel.

 Compte-rendus des ateliers et plénières

Le féminisme au Nord et les nouvelles questions du mouvement féministe, par Céline Caudron
Quelles relations entre l’égalité homme-femme et le développement, par Denise Comanne
La Marche Mondiale des Femmes et le Féminisme au Sud, par Miriam Nobre
Compte-rendu de la plénière du 5 juillet- Eclaircissement des concepts et histoire du mouvement féministe, par Stéphanie Jacquemont
Compte-rendu de la plénière du 6 juillet- Bilan des ateliers et brainstorming sur des moyens d’action, par Stéphanie Jacquemont
Première évaluation à chaud, par Stéphanie Jacquemont

 Quelques textes de référence

Le féminisme latino-américain et caribéen : perspectives face au néolibéralisme, par Nalu Faria, coordinatrice de SOF – Sempreviva Organización Feminista, coordinatrice régionale du Réseau des femmes transformant l’économie (Red de Mujeres transformando la economia REMTE) et militante de la Marche mondiale des femmes.
Quelle vision du développement pour les féministes ?, par Denise Comanne
Femmes et Droit au développement, par Denise Comanne
Le mouvement des femmes en questionnement ou comment lutter ensemble égales et différentes, par Nadine Plateau
Peut-on tolérer l’excision au nom de la diversité culturelle ?
, par Denise Comanne
Théories du développement et féminisme
, par Denise Comanne

Voir les photos prises durant le Week- end


Notes

[1L’audience, majoritairement féminine, de ce week-end était heureusement mixte. 8/9 hommes, animés par la volonté de mieux comprendre les mouvements féministes, leurs enjeux et histoires, s’étaient joints à nous.

Christine Vanden Daelen

chercheuse en sciences politique

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