Promenade coloniale dans le quartier des casernes, organisée par le collectif Mémoires Coloniales
5 mai 2009 par Collectif Mémoires coloniales
Le collectif Mémoires Coloniales organisait le dimanche 19 avril une « promenade coloniale » dans le quartier des casernes à Bruxelles, guidée par l’historien Guy de Boeck. Une quarantaine de personnes se sont promenées, sous un beau soleil, pour découvrir qui se cache derrière les noms des rues de ce quartier.
Après le compte rendu de la promenade écrit par Cheik FITA qui a participé à la promenade, nous vous proposons de découvrir deux textes d’Adrien du Katanga, que nous avons eu l’occasion de rencontrer lors de cette activité. Cet écrivain-poète bruxellois nous a remis « la mi-temps (Belgique à fric) », un recueil de poèmes sur la décolonisation du Congo [1]
. Ce recueil contient aussi un texte intitulé « La Haine » qui répond à la carte Blanche sur l’assassinat de Lumumba, écrite par Pauline Imbach, membre du Collectif Mémoires Coloniales, publiée dans le Soir du 28 janvier 2009 [2]
Bonne lecture et bonne promenade !
Vous habitez Bruxelles ?
Ces noms vous disent-ils quelque chose ?
Général Jacques.
Thieffry.
Vous me répondrez sans doute : Boulevard, pour Général Jacques, et station de métro pour Thieffry, à la jonction d’une avenue qui porte le même nom. Vous avez raison.
Question suivante. Ces deux noms ont-ils un lien avec l’histoire de la République Démocratique du Congo ?
Là, il faut avoir été un bon élève en Histoire pour répondre.
Eh bien, ces deux noms ont un lien avec l’histoire de la RD Congo, ainsi que d’autres noms encore.
Pour les découvrir ou se les remémorer, nous étions une quarantaine ce dimanche 19 avril 2009 entre 14 heures et 16 heures à répondre à l’appel du Collectif « Mémoires Coloniales » pour ce saut dans le passé sous la conduite de Guy De Boeck, historien belge ayant vécu au Congo.
Partis de la Place du Roi vainqueur dans la commune d’Etterbeek, nous sillonnerons un certain nombre de rues du quartier des casernes dont les noms se réfèrent au passé colonial de la Belgique. Qui dit noms attribués à une rue pense à personnages héroïques. Le furent-ils ?
Dans notre promenade, le collectif avait préparé un certain nombre de panneaux de rue qui remplaceraient symboliquement les panneaux officiels.
Cette opération entraînera par-ci par-là quelques frictions avec certains habitants des maisons où sont apposés les panneaux des rues. Propriété privée ou espace public ?
Voici les noms des rues de nos escales ainsi que pour la plupart, les commentaires sur les panneaux du Collectif « Mémoires Coloniales »
1. Rue Général Henry
Répression des Baoni lors de la révolte de 1895. Vainqueur de la bataille de la LINDI, il devient alors « Général Chevalier de la LINDI »
2. Général Fivé
Avait auparavant des fonctions civiles. A été impliqué dans la production du caoutchouc, la dépopulation, et la pratique des mains coupées.
A cette époque, avec le progrès dans le transport, il y avait une forte demande de caoutchouc. Et les deux fournisseurs du moment étaient le Brésil et le Congo. Pour accroître la production, la main d’œuvre en paya les frais.
3. Lieutenant Camille Coquilhat
Explore et soumet la région de l’Equateur. Il est l’inspirateur du « caoutchouc rouge » (nom donné à l’exploitation sanguinaire du caoutchouc).
4. Baron Dhanis
Vainqueur de la campagne arabe « anti-esclavagiste », grand héros libérateur du Congo.
5. Capitaine Lemarinel.
Explorateur colonial, sa colonne comprend cent cinquante porteurs et cent quatre-vingt soldats. Il installe en 1891 le premier poste de l’Etat au Katanga. Il avait été de la même armée que Dhanis.
6. Commandant Ponthier
Il gagne l’Afrique en 1887, participe aux « campagnes de l’Etat Indépendant du Congo contre les Arabes » (Bantous musulmans de Zanzibar).
7. Cardinal Lavigerie (pères blancs) : prédication de la « croisade anti-esclavagiste » en 1885.
8. Capitaine Joubert
A pris la nationalité congolaise. Il est le seul congolais blanc sous Léopold II.
9. Commandant Lothaire
Servait dans l’Est du Congo, au moment de la campagne « contre les Arabes », puis de la révolte des Baonis. Surnommé « Kamba-kamba » (celui qui aime la corde), il faisait régulièrement pendre ses opposants. En 1897, il devient directeur africain de l’Anversoise (société d’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire).
10. Edmond Thieffry
Aviateur. Fut le premier à effectuer un vol en avion de Bruxelles à Léopoldville. Il quitte Bruxelles le 12 février 1925 et atterrit sur la piste de N’dolo (Kinshasa), le 3 avril 1925.
Il est seize heures dix-huit quand nous nous séparons.
Aux curieux, carte de Bruxelles en main, de refaire un autre jour notre parcours. Mais bien d’autres rues portent des noms tout aussi évocateurs. Souvent quand nous échangeons les adresses, nous donnons machinalement le nom de la rue où nous habitons sans y réfléchir.
Tant que nous y sommes, quel est le nom de votre rue ? Et d’où cela vient-il ?
Cheik FITA
Bruxelles, le 21 avril 2009
ainsi va
de rêve en calvaire
une partie du monde
dont le sort
se dessine sans
se dessiner
un dictateur endosse les crimes
MOBUTU, roi du sous-développement le moins cher
le génocide couve
Faux !?
1962, 1964, 1968
certains se souviennent de mai, d’autres de Stanleyville
la
sessile
colonne mère
la fabrique de pestiférés
la sorcière-fée
entonne le refrain de
l’exploitation
l’Espérance travaillée
a tendance à s’altérer
une centaine de nations
ballonnées
négritude remaniée
dogme
obscur, écrasant
qui se propage comme la peste bubonique
cent trente-cinq ans
de torture, de catéchisme
l’Europe, l’Amérique des Trente
Glorieuses
de Neil Armstrong
monde impuissant
pensée unidimensionnelle
qui pose ses rails
la boutique
à Johnny, Socrate
se tait
d’un océan à l’autre
c’est la grande époque
des Droits de l’Homme
les bénéfices
filent
illico au paradis
du gruyère
caïmans,
dinosaures
solidement arrimés
à la société impériafolle
à la mégalopole interpolée
sous le signe du paradoxe
et de l’étranger
martyrologue et
occultée
potentats
omniprésents
guerre
des nerfs
cri des floués de la terre
race perdue, à peine née,
tenue en laisse
déculottée
la ligne
est coupée
usuriers
rompus
aux alea
toujours prêts
à faire des routes
au tracé débile
conscience-dieu
les arbres,
majestés de toujours
manquent d’air
état
national-zazou
empoché
diamantaire anversois
alumine liégeoise
cuivre
les feux de cités entières
plongent
dans
les ténèbres
dérégulés
broussailleuse, désastreuse, raboteuse
civilisation
sommeil néo-colonial
paresseuse page d’h-Histoire
histoire
ratée pour ceux qui réussissent
réussie pour ceux
qui ratent
(même pour ceux qui aiment les belles histoires)
et finalement ratée quand même
collage
d’oublis
indigence
souterraine
gerbes
prophétiques,
trophées manipulés
bas et haut-prolétariat
doigt accusateur
des
O.N.G. [3]
reliques
accrochées
au
vide
organisations internationales
qui voltigent dans les déserts
F.M.I. fermant
la marche
ombrelles
capricieuses
hangars
stockant du vent
encrassement prodigieux
spectacle pour chartérisés
Zimbabwe
Ouganda
Darfour
Liberia
Sud
meeting
technique
à l’arrière-plan
folklore
que pimente le Sida
Amérique, Afrique,
saisies
danses empaquetées
dans la mire de la terreur
Jean-Paul
affolé
tourne trois fois le monde
dans sa poche
fosses immenses
du Rwanda
torpillé
La Haine
Réponse à deux récentes cartes blanches du Soir traitant de la mort de Patrice Lumumba. [4]
Récemment, deux cartes blanches du Soir ont évoqué de manière contradictoire l’assassinat de Patrice Lumumba. Je voudrais apporter un autre éclairage à cette question. En effet, son approche habituelle expose à la menace d’une réactivation de l’idéologie colonialiste que, du reste, la stigmatisation du Hamas et celle d’une manifestation contre la guerre qui a cours en Palestine semblent confirmer.
Au fond, les médias traitent de la question de savoir si Lumumba a bel et bien été assassiné sur l’ordre des dirigeants belges, mais ils ne traitent pas de la question du fondement de ce crime. En d’autres termes, en apparence, les médias belges d’aujourd’hui font mine de critiquer les dirigeants belges d’hier, mais, en réalité, tout en faisant mine de faire des découvertes importantes, ils ne sont pas loin de continuer à nier, à imposer le black out sur les questions que devrait faire se poser la politique congolaise de ces gouvernements.
En 1960, la Belgique octroie l’indépendance aux Congolais. Au Congo, jusqu’alors, n’en déplaise aux visions enchanteresses qui servirent quotidiennement de bréviaire à ceux qui n’auraient pas pu vivre sans de tels dogmes, ledit régime, en fait extrêmement violent, impose en réalité au Congolais, de façon cachée ,et au moyen de son oppression par une caste d’Européens, un joug destiné à mettre en coupe réglée avant tout le sous-sol du Congo. Comme dans d’autres régions du monde, la violence est le garant de l’efficacité de l’exploitation des richesses naturelles, raison d’être de la colonisation. En général, les Belges ignorent, sinon tout, du moins une grande part des faits. Ils jugeraient inadmissibles de tels faits s’ils y étaient confrontés, raison pour laquelle on les leur cache en grande partie. Les coloniaux eux y assistent, certains ont recours à la violence qui garantit leur position et sert à en préserver la fonction. Ces derniers la nient également sans trop de problème, transformant leur oppression en système presque idéal, paradisiaque. Selon eux, tout le monde profite du colonialisme, même, les colonisés, les futurs Congolais. Le raisonnement est spécieux, mais il est inutile de le faire remarquer. Il s’agit d’un dogme, d’une idéologie. Or, on n’accède que via des informations stéréotypées, soigneusement triées à une toute petite partie de la réalité qui concerne ce pays. Tous les faits sont présentés de manière avantageuse, sans grand rapport avec la réalité.
Au moment de l’Indépendance du Congo, dissimulés derrière la nouveauté de l’Indépendance du Congo, les Belges ne renoncent pas, à contrôler l’économie congolaise, et, en fait, le Congo lui-même. S’ils avaient renoncé, d’autres les auraient remplacés, et ils en eussent pays les conséquences. Les Belges tablent eux sur l’acceptation de l’ordre économique existant, sans prétendre admettre que seule la violence sert et a toujours servi à l’imposer. La guerre ne pouvait qu’éclater si les Congolais remettaient en question l’ordre économique imposé par des puissances étrangères. L’intervention des troupes belges au Congo en 1960 actualise la menace qui pèse sur le Congo et provoque en partie la guerre, tout en servant à calmer le jeu.
En prévision de l’Indépendance, Patrice Lumumba perçoit l’évidence de la nécessité de se préparer à changer de système et il tente de le faire savoir. Lui et son parti sont les seuls à s’opposer publiquement et verbalement à cette oppression et à sa violence. Là où les Belges parlent d’instaurer la démocratie et s’en flattent, méprisant toute autre approche, ils font valoir la nécessité de changer de modèle économique. Lumumba parle des conditions sanglantes de l’exploitation économique que personne ne reconnaît, sans doute parce qu’aussi incontournables et immuable que le mouvement des étoiles, dont, selon et pour les milieux qui manipulent le pouvoir en Belgique et pour les dirigeants eux-mêmes qui aiment parfois leur pays jusqu’à la folie, il serait absurde, voire fou de faire état et de critiquer. Depuis des temps immémoriaux, elles sont les conditions d’existence du système. Même l’ancien ministre belge Pétillon n’est pas exempt de lâcheté en préparant l’Indépendance du Congo en se laissant complètement manipuler par ces milieux qui n’entendent pas lâcher un pouce de terrain au Congo. En fait, Lumumba complète le travail de ce démocrate. Il eut rendu son approche cohérente s’il avait été entendu et s’il n’avait pas été assassiné. Mais comme l’oppression dont les colonisés sont victimes est systématiquement déniée, les prises de position de Lumumba font l’objet d’un dramatique interdit. Black out et démentis systématiques s’acharneront d’abord à faire de lui un menteur et, ensuite, quand il tentera malgré tout de les faire valoir, la propagande coloniale, colonialiste et néocolonialiste en fera un agitateur et un dangereux fauteur de guerre.
La guerre d’indépendance fut relativement monstrueuse. Elle fit plus d’un million de victimes. Il fut facile de faire de lui son unique responsable. Nul n’a jamais mis une telle catastrophe sur le compte d’une économie incapable de partager, de changer de mode d’organisation, ni sur le compte d’une stratégie concertée pour imposer l’ordre néocolonial.
La campagne de diabolisation de Patrice Lumumba qui faisait rage dans les médias européens et américains offrait un avantage, elle excluait la possibilité de fournir d’autres explications à la situation. La haine elle-même devenait une explication. Lorsque Patrice Lumumba fut exécuté, ou plutôt liquidé, du côté des milieux dirigeants, cela ne souleva guère plus de protestations qu’une brise légère. Il était indispensable d’invoquer quelque bouc émissaire, ainsi qu’un autre responsable qu’eux, et surtout de mettre fin à la controverse.
De nos jours, les Belges contrôlent encore en partie l’économie congolaise, empêchant souvent qu’elle existe autrement que par eux, à travers eux. Par conséquent, il leur est toujours impossible d’admettre leur responsabilité dans l’assassinat de Patrice Lumumba. Ce serait précipiter une banqueroute, la rendre inéluctable. Ce serait aussi s’attirer les foudres d’alliés et de complices infiniment plus puissants et dangereux qu’eux. Ceci rend leur lâcheté compréhensible, mais certes nullement justifiable.
Les Katangais furent les plus directement impliqués dans la guerre rendue nécessaire pour atteindre leur objectif. Pour cette raison, il a toujours été impossible à ces derniers de changer de point de vue. Pour eux, tout devient matière à critiquer les dirigeants congolais qui n’adhèrent pas au point de vue auquel ils prétendent en fait, encore et toujours de façon autoritaire, que ces dirigeants sont censés souscrire. C’est Patrice Lumumba qui a demandé à l’O.N.U. d’intervenir au Congo ce qui, à leurs yeux, représente la pire faute qu’il ait commise, la cause des massacres qui sont survenus. C’est lui aussi qui a privé leur cher Katanga de son indépendance.
Moyennant de telles préconditions violentes, préconiser l’élimination de Lumumba, comme le fait le ministre D’Aspremont Lynden en 1960, ne nécessite pas d’autre précision. Pour ceux auxquels le ministre à affaire, les choses semblent dites et claires. Une telle lâcheté faisait partie des mœurs de l’époque et n’ôte rien à la valeur d’un homme, en tout cas à cette époque, pour la plupart d’entre eux. Dans la mesure où les troupes belges étaient encore sur place, au Congo, il eut mieux valu préconiser des mesures de protection, mais personne n’aurait été en mesure de le faire valoir. Si quelqu’un l’avait fait, il eut mis sérieusement sa vie en danger. Faut-il rappeler le sort qui fut réservé au secrétaire général de l’O.N.U. de l’époque, D. H.. Combien sont incapables de lâcheté en de telles circonstances, il ne doit pas y en avoir beaucoup ! Lumumba fut probablement un des seuls. Récemment, même un général, commandant des troupes de choc, s’est rendu célèbre par sa lâcheté en laissant perpétrer tout un génocide alors qu’il était expressément sur place pour l’empêcher avec un mandat de la communauté internationale. Ce dernier n’a cependant pas fait savoir qu’il fallait éliminer les Tutsis.
[1] Ces textes sont publiés dans une brochure photocopiée qui peut être commandée. « Editions provisoires, 28 rue Emile Féron B-1060 Bruxelles – potippi chez clearwire.be », prix de soutien 2 euros.
[3] Organisations non-gouvernementales
[4] Les numéros du Soir du 28 janvier et du 11 février 2009. Le second publie une carte blanche du fils du ministre Harold d’Aspremont Lynden, Arnoud d’Aspremont Lynden, en réponse à une carte blanche rédigée par le collectif Mémoires coloniales.
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Le collectif Mémoires Coloniales boycotte les festivités du cinquantenaire de l’indépendance du Congo et appelle à la mémoire de Patrice Lumumba30 juin 2010, par Collectif Mémoires coloniales
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