Serbie : S’organiser contre le régime, hors des parlements (+ autres textes)

25 avril par Sasa Savanovic , Nemanja Drobnjak , Svjetlana Ribarević


Sasa Savanovic : Serbie : S’organiser contre le régime, hors des parlements
Nemanja Drobnjak : Serbie. Les fausses promesses de la gouvernance « experte » imposée d’en haut : Un appel à la démocratie radicale
Les étudiantes poursuivent le blocage de la radio-télévision publique malgré l’intervention de la police
Svjetlana Ribarević : Ce n’est pas (seulement) de la corruption, c’est la périphéricité, et l’UE est directement impliquée



 Serbie : S’organiser contre le régime, hors des parlements

Le 15 mars dernier à Belgrade s’est tenue la plus grande manifestation étudiante organisée depuis le début de la vague de protestations la plus massive de l’histoire de la Serbie. La lutte continue, et avec elle, les discussions autour du changement « systémique » : au-delà des récits ethno-nationalistes ou des appels libéraux à un gouvernement d’expertes, un conflit de classe émerge concrètement de la lutte étudiante.

Après des mois de confusion idéologique, des orientations plus claires commencent à émerger, tant chez les étudiantes que dans la société en général. Cela se manifeste d’une part par l’apparition et la présence croissante de drapeaux ethno-nationalistes, et de l’autre, par les efforts de l’opposition libérale pour réduire la révolte étudiante et le soulèvement social à un simple changement de régime, en le traduisant dans le langage de la politique institutionnelle.

Le but est d’orienter la mobilisation vers les voies de la démocratie libérale, sous l’administration temporaire d’un gouvernement « d’expertes » qui garantirait des conditions d’élections présentées comme libres et équitables.

Ces deux positions évoquent le récit, dominant dans les années 1990 et au début des années 2000, des « Deux Serbies » (l’une nationaliste contre l’autre libérale), mais ce temps-là est révolu. Cette opposition binaire classique n’est pas inévitable : il est tout à fait possible de critiquer les deux positions en même temps – surtout qu’en réalité, elles représentent les deux faces d’une même pièce capitaliste.

Beaucoup ont déjà du mal à assimiler ce que les étudiantes ont effectivement soulevé – leurs revendications, leur démocratie directe, leurs prises de position – remettant en question la démocratie libérale (représentative) et son cadre économique néolibéral et appelant à un « changement systémique ». Les tenants et aboutissants exacts de ce changement restent en partie flous, ce qui permet aux différentes composantes qui coexistent à l’intérieur de la lutte d’interpréter ce changement à leur propre manière.

Changement de régime ou changement de gouvernance ?

En surface, le changement de système semble impliquer un changement de régime. C’est à ce niveau que se situe l’ensemble de l’opposition, y compris les médias et les commentateurices dominantes de tous bords. Ce sont les mêmes expertes (ou leurs héritieres idéologiques) qui promettent à nouveau la même démocratie libérale, comme si les trente dernières années n’avaient pas eu lieu, comme si le système qu’ils et elles défendent ne s’était pas effondré en son cœur.

Pour reprendre les mots de Boris Buden, pour ce bloc, « le but ultime de la protestation est clair et indiscutable : nettoyer l’État de ses éléments corrompus et ainsi lui faire subir une sorte de révision générale, après quoi il sera comme neuf.  » Dans cette conception qui réduit la politique au système partisan de la démocratie libérale, la protestation étudiante est critiquée comme étant antipolitique : « la solution doit être trouvée dans l’arène politique » – ce qui signifie par le biais des partis politiques, des élections, du parlement, etc.

Heureusement, la politique est bien plus large que sa forme institutionnalisée. En effet, la société s’est auto-organisée politiquement au cours des quatre derniers mois, au-delà des institutions politiques formelles. Elle agit politiquement au quotidien : dans les assemblées générales étudiantes, dans les associations informelles nouvellement formées de professeures en grève, dans les luttes du secteur de la culture à Belgrade et Kikinda, dans l’assemblée générale de la Bibliothèque Nationale, dans divers groupes de quartiers et de parents qui soutiennent les enseignantes et les étudiantes, dans les occupations des universités privées  ; dans les protestations et revendications des travailleurses des transports publics de Belgrade, des pharmaciennes de Belgrade, Kragujevac et Užice, dans les blocages des agriculteurices à Bogatić et Rača, dans les revendications des ingénieures de Serbie, dans les boycotts des chaînes de distribution de masse, dans les groupes formels et informels qui luttent contre les « projets de développement » tels que l’EXPO 2027 ou l’hôtel de Jared Kushner  ; dans l’effort des travailleurses du secteur informatique pour fournir une aide financière aux enseignantes en grève. La liste est encore longue. Hormis quelques syndicats et associations professionnelles semi-engagés, toutes ces initiatives politiques sont extra-institutionnelles.

Dans leur Lettre au peuple de Serbie (à noter que celle-ci ne s’adresse pas au peuple serbe, mais au peuple de Serbie), les étudiantes expliquent la cohérence de leurs actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
depuis des mois, systématiquement ignorée par les commentateurs et les prétendus représentantes politiques. À la question « Quelle est la prochaine étape ? », les étudiantes répondent sans équivoque : « Tout le monde en assemblées », appelant à la démocratie directe dans d’autres domaines publics. La compréhension des étudiantes du changement systémique va donc plus loin qu’un simple changement de régime. Iels plaident pour un changement dans la manière dont la société est gouvernée, pour des institutions qui sont construites à partir de la base.

Contre l’opposition et sa démocratie libérale

Les étudiantes, contrairement à l’opposition libérale, considèrent que la démocratie « n’est pas un but extérieur mais une pratique, la vie même du mouvement » (Rancière, message de soutien au mouvement), ouvrant alors une discussion sur la nature du système. Grâce à leur lutte, nous pouvons voir les Bosniaques, Slovaques, Valaques, Roms, non pas comme des caricatures de leurs représentantes politiques, ni comme des « minorités », mais comme des membres égaux de la société.

L’opposition politique institutionnelle erre, perdue et incapable de trouver un rôle pour elle-même. Elle pourrait peut-être essayer d’agir comme médiatrice plutôt que comme représentante. Au lieu de parler en son nom, elle pourrait ouvrir un espace pour que la société parle d’elle-même). Au lieu de tenter de former parmi ses propres membres un gouvernement de transition qui n’aurait guère de légitimité , elle pourrait essayer d’engager la discussion avec la société politique auto-organisée.

Si elle veut devenir pertinente et, surtout, si elle veut être utile, l’opposition pourrait engager un dialogue avec les groupes mobilisés, les écouter, les autonomiser et les connecter les uns aux autres, se mettre d’accord avec eux sur des stratégies, des solutions de transition, des représentantes et des priorités. L’opposition pourrait faire un effort pour être présente là où la nouvelle politique se façonne, là où de nouvelles institutions et de nouvelles visions sont en train de se construire.

L’ombre permanente du nationalisme

La lutte étudiante et celle d’autres groupes sociaux rebelles partent du fait évident que les temps joyeux de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
sont bel et bien révolus. Elles actent le fait que le capitalisme, particulièrement sous ses habits néolibéraux, n’a pas apporté la prospérité mais la destruction – signalant ainsi qu’un changement de paradigme économique est nécessaire. Les étudiantes, les travailleureuses culturelles, de la santé et du social exigent des investissements publics plus importants  ; les pharmaciennes et les travailleureuses des transports publics exigent l’arrêt des privatisations et la révision des contrats public-privé existants. Les associations environnementales exigent la suspension complète du projet de mine de lithium dans la vallée de Jadar, tandis que les travailleureuses de Proleter à Ivanjica tiennent l’usine sous blocus, exigeant le paiement des salaires qui leur sont dus.

Cette perspective d’économie politique fait toutefois apparaître la part d’ombre des protestations étudiantes, à savoir l’absence de questionnement à propos du Kosovo et la formulation nationale de l’intérêt de l’État. Cette dernière tend à supprimer la nature de classe de la rébellion sociale. L’écart entre les intérêts nationaux et de classe, c’est-à-dire la question de savoir si la perspective de classe ou nationale de la lutte prédominera, est crucial pour l’avenir tant de la rébellion que de la Serbie.

Selon Jan Rettig, les programmes économiques des partis d’extrême droite en Europe peuvent être considérés en partie comme antisystèmes, puisqu’ils rompent avec la foi aveugle dans le marché. Cependant, la rupture se fait exclusivement dans le but de protéger le capital privé national. Tandis que des mesures protectionnistes sont introduites, le pillage néolibéral du secteur public et la privation des travailleureuses ne sont pas interrompus, mais au contraire accentués. Cette trajectoire est devenue évidente dans les premiers mois de la présidence de Trump mais également avec les gouvernements centristes et conservateurs en Europe.

Un rejet émancipateur du « système »

Si les intérêts nationaux l’emportent dans la lutte sur le sens et les objectifs de la révolte sociale, la Serbie n’aura d’autre choix que de s’aligner avec une première, deuxième, troisième ou cinquième puissance impériale à laquelle elle offrira tout ce qu’elle possède – des individus, de la terre, des ressources. Dans ce scénario, seules les élites politiques et économiques peuvent s’en sortir indemnes.

Contrairement à la perspective nationale, les perspectives de classe et intersectionnelles imprègnent tous les aspects de la rébellion étudiante et sociale. Ses mots d’ordre sont justice, solidarité, égalité, entraide et vie digne pour chaque être humain. Contrairement à la droite qui se dit « antisystème », la charge antisystémique de la lutte étudiante est profondément féministe, car elle place l’éthique du soin au premier plan. Elle est anti-fasciste, car elle se préoccupe du bien-être des autres. Elle est également anticoloniale et anti-impérialiste, car elle rejette la logique de la suprématie (blanche). Enfin, elle est assurément une lutte de classe, car elle ne reconnaît pas la « naturalité » de l’appropriation et de l’exploitation.

Les politiciennes s’efforcent de rétablir une nouvelle fois leur fantasme que constitue la démocratie libérale, alors que le système international dans lequel la Serbie existe a été irréversiblement altéré. Aucun retour en arrière n’est donc possible. Celui-ci ne serait d’ailleurs pas souhaitable : ce système du passé est responsable de l’apocalypse actuelle – politique, économique, écologique – qui prive la jeunesse d’aujourd’hui de son droit à un avenir. Au lieu de choisir entre périr dans une guerre nucléaire ou être brûlés par le soleil, les jeunes choisissent au moins de se battre pour la possibilité d’un avenir différent.

Si les libérauxales ne veulent pas ou ne peuvent pas aider les étudiantes en lutte, qu’ils ne se mettent pas en travers de leur route. Il n’y a pas de chemins bien tracés, la voie à suivre est très risquée et l’issue incertaine. Le mouvement étudiant est parfois maladroit dans l’articulation de ses positions, mais la concrétude de la lutte qu’il mène produit « des idées et des rêves ».

Version abrégée d’un article paru sur Masina
Traduction, coupe et adpatation de la rédaction
Sasa Savanovic
https://solidarites.ch/journal/448-2/serbie-s-organiser-contre-le-regime-hors-des-parlements/
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74564

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 Les fausses promesses de la gouvernance « experte » imposée d’en haut : Un appel à la démocratie radicale

À mesure que les protestations étudiantes en Serbie évoluent en rébellion généralisée, l’establishment vend désespérément une illusion familière : le salut par la « gouvernance experte ». Ce récit – qu’il soit présenté comme un leadership transitionnel ou technocratique – sert le même objectif : désamorcer le véritable pouvoir populaire tout en préservant les hiérarchies existantes.
Ne vous laissez pas tromper. La mythologie du sauveur-expert a systématiquement échoué pour les travailleurs du monde entier, apportant des réformes cosmétiques tout en renforçant les intérêts des élites. La crise actuelle en Serbie révèle une vérité fondamentale : un changement significatif ne peut pas être accordé d’en haut par des professionnels diplômés choisis par les puissants, qu’il s’agisse de ceux au pouvoir ou de ceux dans l’opposition.
Une véritable transformation exige quelque chose de plus radical : un pouvoir démocratique construit par le bas. Ce n’est que par la participation populaire directe – à travers des plénums, des assemblées communautaires et des structures de délégués responsables – que nous pouvons construire une alternative légitime aux systèmes corrompus qui ont dominé pendant des décennies. La question n’est pas de savoir quels experts devraient gouverner, mais comment les citoyens ordinaires peuvent se gouverner collectivement. [AN]

Les protestations étudiantes en Serbie, qui ont entre-temps évolué en une rébellion sociale plus large au cours des quatre derniers mois, semblent lentement entrer dans une nouvelle phase. Après avoir connu la plus grande manifestation jamais enregistrée à Belgrade en mars, ainsi qu’une tentative violente de disperser cette manifestation, il est tout à fait clair que les autorités n’ont l’intention ni de démissionner ni de satisfaire aux demandes des étudiants, qui sont maintenant au nombre de six.

En plus des quatre demandes initiales, des exigences liées à une enquête transparente sur l’utilisation d’un canon sonique et une demande d’enquête pour savoir qui a autorisé le président Aleksandar Vučić à entrer parmi les personnes immunodéprimées au Centre clinique universitaire de Serbie, où les patients blessés dans la tragédie de Kočani étaient soignés, ont été ajoutées.

Ces derniers jours, afin de trouver une solution pour sortir de la profonde crise politique, les mêmes propositions ou des propositions très similaires se font entendre. Les plus bruyantes sont celles qui contiennent deux mots dans leur contenu – gouvernement d’experts et gouvernement de transition. Cependant, tous les gouvernements de transition et toutes les propositions dans cette direction ne sont pas exactement identiques. Si nous observons ces propositions plus en profondeur, il est clair que les gouvernements d’experts imaginés sont de nature différente.

Gouvernement de transition et/ou d’experts – Source de solutions ou source de nouveaux problèmes ?

Que les gouvernements de transition et d’experts soient imposés comme principales solutions pour sortir de la crise était assez clair étant donné les mouvements des différentes parties à la manifestation. Ainsi, en presque deux jours, nous avons eu des propositions plus ou moins du même concept de trois côtés différents. L’initiative Proglas est sortie avec une idée antérieure, plaidant pour un soi-disant gouvernement de transition de confiance sociale dont les objectifs fondamentaux devraient être de satisfaire aux demandes des étudiants et de préparer le terrain pour des élections libres. Avec la note que tous ceux impliqués dans la protestation devraient se rassembler autour de l’idée.

Puis nous avons entendu une proposition similaire de Miloš Jovanović, leader du Nouveau DSS, qui estime qu’un gouvernement de transition est actuellement l’option la plus réaliste et que, dans ce sens, comme avec Proglas, l’objectif devrait être des élections libres et démocratiques, s’offrant lui-même comme leader d’un front plus large. Comme dans le cas précédent, le problème est que nous n’avons pas un concept clairement défini ou présenté de ce à quoi ressemblerait réellement ce gouvernement de transition, qui le constituerait, et comment exercer une pression sur la coalition au pouvoir pour qu’elle accepte une telle proposition. De plus, la proposition concernant les élections n’est pas quelque chose que les étudiants dans les plénums ont proposé et considéré comme une solution à la crise. En d’autres termes, ni Proglas ni Miloš Jovanović, ni personne d’autre auparavant dans l’opposition, ne nous ont informés des mécanismes de pression par lesquels ils atteindraient leur objectif politique.

Par-dessus tout cela est venue une proposition de plusieurs facultés de l’Université de Novi Sad, facultés et établissements d’enseignement supérieur de Novi Sad, Subotica et Zrenjanin concernant un gouvernement d’experts comme unique solution pour sortir de la crise. Leur logique est qu’il est crucial de satisfaire aux demandes des étudiants, et il est clair que ces demandes ne seront pas satisfaites par le futur gouvernement nouvellement élu, à la tête duquel Vučić a nommé le Dr Đuro Macut, un expert – endocrinologue et professeur à la Faculté de médecine. Les étudiants qui ont présenté la proposition plaident pour un gouvernement d’experts indépendants, proposant également des critères selon lesquels les experts seraient sélectionnés.

Quels sont les principaux problèmes de telles propositions ? Outre ce qui a déjà été dit sur l’absence de mécanismes de pression pleinement élaborés pour que ceux qui participent à la protestation voient leurs propositions respectées par la coalition au pouvoir, il y a également des problèmes dans la compréhension même d’un gouvernement de transition ou d’experts, même s’ils devaient advenir. Même si les structures dirigeantes acceptent un gouvernement de transition, quelle serait la répartition du pouvoir décisionnel dans un tel gouvernement de transition ? La question est de savoir qui prendrait la tête et comment. Les membres de l’establishment au pouvoir accepteraient-ils des propositions concernant, par exemple, des sujets de réforme des conditions électorales, si de telles conditions électorales, dans lesquelles ils obtiennent une majorité dominante, leur conviennent parfaitement ? Si ce n’était pas le cas, comment l’autre partie du gouvernement de transition les forcerait-elle à le faire ? Dans tous les cas, un gouvernement de transition dans ces conditions pourrait très facilement conduire à un approfondissement encore plus fort de la crise politique en raison de désaccords internes, même si les structures dirigeantes l’acceptent comme concept.

Beaucoup se réfèrent à l’exemple du gouvernement dans la période entre les changements du 5 octobre et les élections parlementaires de décembre 2000 lorsqu’ils discutent d’un gouvernement de transition. Mais il y a une différence fondamentale ici. L’alliance DOS avait alors remporté les élections présidentielles et disposait d’un fort capital de chantage. Leur gouvernement de transition était légitimé par la victoire de Vojislav Koštunica aux élections présidentielles, la défense civile des résultats électoraux et le renversement de Milošević en tant qu’homme qui était la personnification du pouvoir socio-politique global. Nous n’avons pas une telle situation maintenant. L’opposition n’a remporté aucune élection, et la question est de savoir comment ils y parviendront quand il est de plus en plus certain que nous sommes plus proches d’une reconstruction gouvernementale.

Les problèmes avec un gouvernement d’experts, cependant, sont quelque peu différents, bien qu’ils comportent des problèmes similaires à ceux des gouvernements de transition.

Expert-Politicien : Est-ce une garantie pour des réformes réussies ?

Si nous devions essayer de définir plus précisément le concept d’expert, dans les termes les plus simples, il s’agirait de personnes qui, sur la base de leurs nombreuses années d’expérience et de connaissances et compétences acquises, sont spécialistes dans un domaine particulier. Déjà à partir d’un concept ainsi défini, nous pouvons remarquer, ou du moins pressentir, certaines sources de problèmes.

Premièrement, un expert dans un domaine s’en tient généralement à ses domaines. Ils ne s’intéressent généralement pas, ou ils se distancient des connaissances et compétences qu’ils ne possèdent pas. S’engager en politique dans un sens pratique n’est presque jamais un impératif primaire pour eux. Il est donc très difficile de forcer un expert dans un domaine à entrer volontairement en politique, surtout dans le contexte de la profonde crise socio-politique dans laquelle nous vivons.

La deuxième chose est que malgré l’éloquence et l’expertise de quelqu’un, nous ne pouvons pas savoir si la recette que l’expert propose donnera les résultats souhaités. Dans ce cas, l’expert saura-t-il comment et de quelle manière les institutions qui sont coincées dans le clientélisme, le népotisme, la corruption et le dysfonctionnement depuis des décennies devraient être réformées ?

Pourquoi précisément leur application du remède serait-elle adéquate, et non celle d’un autre expert du même domaine ? Y aurait-il des conflits internes entre experts concernant l’application pratique des étapes dans le but de la réforme institutionnelle ? La société en tant que catégorie ne peut pas être réduite à des conditions strictement expérimentales dans lesquelles, dans des conditions contrôlées, certains échantillons donnent toujours certaines conséquences, donc nous savons à quoi nous attendre. Des équations à plusieurs inconnues s’ouvriraient.

Et comme troisième point, et peut-être le plus important, quelles sont les garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). que l’expert ne sera pas sensible aux pressions d’instances supérieures (lisez : politiques), qui imposeraient leurs propres solutions et, par le pouvoir saisi politiquement, feraient chanter l’expert pour qu’il ne puisse pas décider complètement ou totalement indépendamment des mouvements qui conduiraient aux réformes ? Leur expertise est-elle résistante à la politique quotidienne et aux intérêts des puissants ?

Nous n’avons actuellement pas de meilleur exemple que le nouveau Premier ministre désigné Đuro Macut. Son expertise incontestée dans le domaine de la médecine qu’il pratique garantit-elle qu’il sera immunisé contre les pressions des politiciens, ou d’un politicien qui l’a nommé ? Il semble que non. De même, si un expert acquiert également un pouvoir politique, comment saurons-nous qu’il n’en abusera pas ? Leur expertise est-elle une garantie pour cela ?

Les experts ne sont pas des ardoises vierges. Ils ont également leurs visions sociales du monde en dehors des domaines scientifiques, qui peuvent entrer totalement en conflit avec les visions sociales majoritaires. Il peut facilement arriver que, précisément sur la base de l’autorité d’un expert ayant acquis un pouvoir politique, les experts prennent des décisions en faveur d’une minorité étroite qui possède un certain pouvoir socio-politique, et non en faveur de la majorité.

Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes possibles avec les experts. Mais tous les gouvernements d’experts ne sont pas identiques. Ce seraient les caractéristiques des experts imposés « d’en haut ». Mais qu’en est-il de la possibilité d’un gouvernement d’experts surgissant « d’en bas » ?

Le seul gouvernement d’experts quelque peu significatif – Celui qui viendrait « d’en bas »

Une séquence politique logique d’événements après l’appel des étudiants à organiser des assemblées et une prise de décision directe parmi les citoyens au niveau local serait la symbiose et l’intégration de la démocratie directe des plénums et des assemblées dans un mouvement social plus large. L’épine dorsale du mouvement devrait précisément être les étudiants en blocus et les citoyens en assemblées, ainsi que toutes les parties de la société qui ont été encouragées à entreprendre certaines formes de grèves, comme les éducateurs, les agriculteurs, et autres. Un tel mouvement social large inclurait tous ceux qui voudraient participer politiquement sur de nouvelles bases et serait une base idéale et large pour tirer et cristalliser de nouveaux cadres et formes de prise de décision démocratique.

Comme il est tout à fait certain que ce gouvernement ne satisfera pas pleinement aux demandes des étudiants, le caractère du mouvement de masse devrait être centré autour de deux questions fondamentales qui sont interconnectées, et qui visent un changement de gouvernement – la question de la lutte contre la corruption et la question de la réforme institutionnelle. Un mouvement social anti-corruption et de réforme plus large dans cette constellation de forces représente la plus haute portée de la lutte politique, et en raison de sa massivité, il devrait fonctionner à plusieurs niveaux.

Le premier niveau seraient tous les étudiants et citoyens dans les plénums et assemblées qui prendraient des décisions individuelles dans leurs facultés et dans leurs communautés locales. C’est le cercle le plus large de ceux qui participent, proposent et prennent des décisions politiques directement. Le deuxième niveau sont les représentants légitimement et directement élus des assemblées et des plénums qui formeraient ensemble l’organisation faîtière du mouvement de masse. Ils seraient élus comme délégués qui, après un certain temps, deviendraient révocables, sans droit de se représenter comme délégués, afin de satisfaire aux principes de révocabilité, de démocratie directe, et du droit pour tous d’élire et d’être élu.

Le troisième niveau serait ces membres d’assemblées et de plénums triés dans des groupes de travail spéciaux pour la préparation d’un document final à travers lequel ils définiraient comment et de quelle manière réformer chaque sous-système au sein du système social global. Les groupes de travail seraient établis par vote dans les plénums et assemblées. Dans un certain sens, ce seraient des experts proposés et votés délégués de différents domaines, faisant du mouvement de réforme anti-corruption de masse une sorte de combinaison de ce qu’on appelle la démocratie directe et le règne des experts.

Les groupes de travail pourraient être liés aux secteurs les plus importants, tels que l’éducation, les médias, l’agriculture, la justice, le système de sécurité, la police et l’armée, l’économie, et autres. Les experts des groupes de travail établiraient, par l’intermédiaire de l’organisation faîtière du mouvement de masse et des délégués qui y siègent, une connexion avec les plénums et assemblées plus larges, auxquels ils répondraient directement, et qui exerceraient à leur tour un contrôle populaire sur eux. La sélection des experts dans divers groupes de travail irait « d’en bas » – par proposition, examen et vote direct.

Les critères pour un expert de certains domaines seraient également établis dans les plénums et assemblées, en proposant et en votant sur les critères qu’un expert dans les groupes de travail devrait remplir. Les experts auraient l’obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’informer les plénums et assemblées dans des périodes plus courtes par l’intermédiaire des délégués de l’organisation faîtière du mouvement de masse sur leur propre travail, sur l’état d’avancement du plan et du programme de réforme, ainsi que sur les étapes pratiques de mise en œuvre de ces réformes (disons tous les 7 ou 14 jours). S’ils ne pouvaient pas le faire, ou s’ils s’écartaient des objectifs fixés, ils seraient soumis à un remplacement par d’autres experts votés ultérieurement.

Par l’intermédiaire des groupes de travail, les experts de domaines séparés agiraient avec l’objectif primaire de créer un programme politique commun et des méthodes par lesquelles les réformes institutionnelles du système existant seraient réalisées, et en même temps, cela devrait être le programme du mouvement soutenu par les plénums et les assemblées, à travers le deuxième niveau – les délégués élus.

Ce n’est qu’après cela que les conditions seraient créées pour une lutte politique significative, qui établirait des bases solides pour un mouvement de masse « d’en bas » avec des objectifs programmatiques clairs et des solutions au sein de la lutte politique contre le gouvernement qui ne veut pas satisfaire aux demandes. En même temps, un bloc d’opposition socio-politique complètement nouveau serait créé, composé d’étudiants et de citoyens « d’en bas », de parties qui sont déléguées « d’en bas », pour lesquelles un vote direct a eu lieu, qui sont révocables, ont une limite de temps sur leurs actions, et d’experts dans des groupes de travail qui adaptent le plan sur la façon et la manière de réformer différentes parties de la société.

Un tel bloc aurait certainement un soutien massif des citoyens, en particulier ceux qui constituent la majorité de la société et ne croient pas au système politique existant, au processus électoral existant, et aux partis tant du gouvernement que de l’opposition. En d’autres termes, le mouvement ne serait pas seulement une opposition aux structures dirigeantes autocratiques qui ne satisferont pas aux demandes, mais à l’ensemble du système socio-politique mal structuré qui domine depuis plus de trois décennies.

Ce n’est que par un tel mouvement de masse, à travers lequel une cristallisation socio-politique des cadres « d’en bas » serait réalisée, qu’il y aurait une sélection d’experts légitimes selon la volonté de la majorité. Les gouvernements d’experts qui surgissent par nomination directe de groupes socio-politiques influents, de cercles et d’élites ne sont pas nécessairement efficaces parce qu’ils ne se cristallisent pas à travers des couches sociales plus larges, ni ne sont soumis à un contrôle populaire, conduisant potentiellement seulement à des changements d’élites dans des positions élevées et à leur reproduction dans les positions sociales les plus élevées, et à la poursuite de la tendance de leur fermeture au sommet de la société. La réforme du système dans ces scénarios devient généralement une question secondaire.

Une telle nomination d’experts « d’en haut » porte un problème potentiel. Si un tel choix se produit, personne ne nous garantit qu’ils ne jetteront pas leur expertise sous les pieds des détenteurs du pouvoir politique en raison du soutien qu’un expert obtient par nomination directe par les détenteurs du pouvoir et d’autres groupes socialement influents.

Un exemple réel de cela sont d’autres experts, anciens fonctionnaires, tels que les ministres Radulović, Krstić et Vujović. Tous sont venus en tant qu’experts, mais leurs réformes ou tentatives de réformes n’ont pas affecté drastiquement les couches sociales plus larges, mais précisément ceux qui les ont placés à ces postes, dans le but de renforcer leur mainmise sur le pouvoir. Pourquoi ? Parce que les couches sociales plus larges ne les ont pas nommés à des postes d’experts au gouvernement. Plutôt, ceux ou celui qui est le détenteur du pouvoir social absolu l’ont fait.

Au lieu d’une conclusion : Pas de gouvernement d’experts efficace sans un mouvement de masse

Il n’est pas difficile de conclure pourquoi un tel règne d’experts « d’en bas », cristallisé à travers un mouvement de masse, est difficile à réaliser. Il est clair que nous sommes bloqués à la toute première étape. La clé est de créer une base pour la lutte politique. Et elle réside exclusivement dans la création d’un mouvement de masse plus large. Il semble qu’au cours des quatre derniers mois, bien qu’il y ait eu des tentatives, il n’y a pas eu le courage d’avancer plus fortement avec cette idée et pour que les étudiants et les citoyens dans la protestation entrent dans toute l’histoire encore plus unis et solidaires. Cela ne signifie pas que les résultats obtenus jusqu’à présent devraient être remis en question, car si nous observons le contexte dans lequel nous vivons depuis plus de 12 ans, il est clair que tout ce qui s’est passé jusqu’à présent est quelque chose d’inattendu et certainement significatif dans la lutte pour l’éveil des couches sociales plus larges. Mais ce n’est pas suffisant.

Sans un large mouvement de masse comme base, fondé sur les plénums et les assemblées comme système de prise de décision directe, des représentants délégués à travers l’organisation faîtière du mouvement, et des experts dans des groupes de travail élus « d’en bas », qui seraient responsables devant des couches sociales plus larges à travers le principe du contrôle populaire, nous ne pouvons pas espérer des succès de toutes nouvelles formes et propositions de gouvernements de transition et d’experts. Car toutes les autres formes de tels systèmes de gouvernance ne peuvent pas avoir un contrôle direct et fort des couches sociales plus larges dans l’intérêt desquelles ils devraient travailler, ce qui leur donne une certaine possibilité de se « déconnecter du peuple », travaillant en faveur de la minorité qui possède le pouvoir social.

Nemanja Drobnjak
https://www.masina.rs/pojedine-manjkavosti-ideje-ekspertske-vlade-zasto-su-neuspesne-osim-ako-ne-dolaze-odozdo/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74591

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 Les étudiantes poursuivent le blocage de la radio-télévision publique malgré l’intervention de la police

Des étudiantes et des citoyennes ont passé les deux dernières nuits à bloquer le diffuseur public, la Radio Télévision de Serbie (RTS), dans le centre de Belgrade. Depuis le 14 avril, les étudiantes ont bloqué plusieurs centres de diffusion à Belgrade et à Novi Sad pour demander une nouvelle offre de l’Autorité de régulation des médias électroniques (REM) ou la fermeture de la RTS en raison de ses reportages inexacts sur le soulèvement actuel en Serbie.

Le mercredi 16 avril à 7 heures du matin, la police anti-émeute a escorté les « employées de la RTS qui veulent travailler », en dépassant le piquet de grève et en passant par des entrées latérales. À 5 heures du matin, la police serait arrivée sur le site de la RTS dans le centre de Belgrade, équipée de fusils à balles en caoutchouc. Cependant, cette unité s’est retirée au bout d’une demi-heure lorsqu’elle a été encerclée par les manifestantse. Plus tard, des policiers ont brutalisé des étudiantes en réprimant la manifestation.

Les étudiantes avaient appelé les citoyennes à les rejoindre en grand nombre pour aider à maintenir le blocus. Malheureusement, il n’y avait pas assez de monde aux premières heures de la matinée pour empêcher les forces de police et les employées de la RTS de forcer le passage.

Le lundi 14 avril, lorsque le blocus a commencé, les étudiantes ont appelé les travailleurs et les travailleuses de la RTS à cesser le travail en signe de solidarité. Le collectif des travailleurs et de travailleuses de la RTS, naš pRoTeSt (« notre pRoTeSt »), s’est fait l’écho de cet appel.

« Lors d’un précédent blocus de la RTS, de nombreuses et nombreux collègues avaient refusé d’entrer dans le bâtiment par des trous improvisés dans les murs. Personne n’a subi de représailles pour cette raison. Tous ceux et toutes celles qui ont choisi d’entrer par une ouverture de fortune l’ont fait en leur âme et conscience, sans aucune menace ou pression extérieure. N’entrez pas par là », a déclaré le collectif naš pRoTeSt.

La police escorte les employées de la RTS

Selon des témoins oculaires, la police a commencé à se rassembler peu après 5h30 et a réussi vers 7h à séparer les groupes d’étudiantes et de citoyennes, escortant les employées de la RTS – pour la plupart cagoulées – à l’intérieur du bâtiment via un magasin de kebab situé à proximité. Un événement similaire s’était produit lors d’un précédent blocus, lorsque certaines travailleuses et certains travailleurs étaient entrés dans la RTS par une fenêtre du sous-sol après que les barreaux métalliques de protection aient été enlevés.

Si certains travailleurs et certaines travailleuses de la RTS ont soutenu les manifestations, d’autres ont défié le blocus étudiant. Pourquoi ces travailleurs et les travailleuses accepteraient-iels de venir travailler dans de telles conditions ? Mario Reljanović, expert en droit du travail du Center for Dignified Work, a déclaré à Mašina que « personne n’est obligé de travailler si sa sécurité est menacée », et le fait d’être escortée par la police jusqu’à son lieu de travail peut certainement être considéré comme tel.

« On ne peut attendre des employées qu’iels s’exposent à des risques qui ne font pas partie de leur description de poste, et il s’agit bien d’un risque », a déclaré M. Reljanović. Il a expliqué que les risques pour la sécurité des travailleurs et des travailleuses ne sont pas seulement la manifestation elle-même ou la présence de citoyennes, mais aussi les chemins qui sont créés pour atteindre le lieu de travail – des passages qui ne font pas partie des locaux de l’employeur. « Emprunter des chemins cachés à travers un magasin de kebab est certainement une violation des règles de santé et de sécurité sur le lieu de travail ».

Au-delà de la sécurité, ces affaires soulèvent également des inquiétudes quant à la perte de dignité des travailleurs et des travailleuses. S’il peut être prouvé que les employées escortées jusqu’à leur lieu de travail par la police et par des entrées latérales ont été contraintes de le faire ou ont fait l’objet d’un chantage, des poursuites pénales pourraient être engagées contre ceux qui ont organisé les escortes.

Les assemblées de quartier de Belgrade participent au blocage de la RTS

Comme Mašina l’a déjà rapporté, vers 19 heures le 15 avril, des citoyennes des assemblées de quartier de Savski Venac, Stari Grad et Vračar ont rejoint le blocus de la RTS de manière organisée. Auparavant, elles et ils avaient bloqué la circulation dans les rues principales de Kralja Milana et Kneza Miloša.

La plus grande participation citoyenne a eu lieu plus tôt dans l’après-midi, après qu’un groupe de personnes vêtues de noir a commencé à se rassembler sur le plateau devant le parlement et dans les tentes blanches qui avaient été récemment installées. Ces personnes restent devant l’Assemblée nationale, criant des insultes aux députées de l’opposition et applaudissant les membres du Parti progressiste serbe. Le plateau devant l’Assemblée est actuellement clôturé par des barrières métalliques et gardé par la police, qui a arrêté hier l’une des personnes vêtues de noir.

Un grand nombre de citoyennes sont restées devant le bâtiment de la RTS jusque tard dans la nuit, comme elles et ils l’avaient fait la veille. Dans la soirée, la cérémonie d’accueil des étudiantes ayant parcouru 1 400 kilomètres à vélo, de Novi Sad (Serbie) à Strasbourg (France), pour se rendre à la Cour européenne des droits des êtres humains du Conseil de l’Europe, a fait l’objet d’une retransmission publique. Selon les médias, des membres du Parlement européen ont aidé les cyclistes à organiser des réunions aujourd’hui avec des représentantes de la Cour européenne des droits des êtres humains et du Parlement européen. Des images vidéo montrent que des employées de la RTS ont assisté à la cérémonie d’accueil des cyclistes à l’intérieur du bâtiment, bien que la chaîne publique n’en ait pas fait état.

Comme nous l’avons déjà rapporté, les blocages de la RTS ont commencé à 22 heures le 14 avril lorsque des étudiantes, utilisant la chanson « Master of Puppets » de Metallica, ont appelé à des manifestations via les médias sociaux avec le slogan « Join in to shut them down » (Rejoignez-les pour les faire taire). Selon les étudiantes, les blocages se poursuivront jusqu’à ce qu’un nouvel appel à candidatures pour l’Autorité de régulation des médias électroniques (REM) soit lancé ou jusqu’à ce que la RTS soit fermée.

En février, la faculté d’art dramatique de Belgrade a appelé au boycott de la chaîne publique en raison de sa couverture insuffisante des manifestations étudiantes. Plusieurs manifestations ont eu lieu devant la RTS depuis le début des blocages étudiants.
https://www.masina.rs/eng/students-continue-blockade-of-public-broadcaster-despite-police-intervention/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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 Ce n’est pas (seulement) de la corruption, c’est la périphéricité, et l’UE est directement impliquée

Notes sur le mouvement étudiant serbe

Comme dans beaucoup d’autres cas régionaux, notamment en Hongrie, en Pologne ou en Roumanie, le cadre habituel dans lequel les analystes occidentaux inscrivent les récentes manifestations en Serbie tourne autour des revendications des manifestants en matière de lutte contre la corruption et pour l’État de droit. L’esprit occidental perplexe, souvent libéral, ne comprend pas pourquoi des personnes aussi privées de leurs droits élisent, une fois de plus, un homme fort dont le gouvernement corrompu leur cause du tort. Au mieux, ces analystes essaient de masquer leur jugement en invoquant le manque prétendument historique de traditions démocratiques et d’État de droit dans les Balkans. La région, avec son imagerie politique puissante, reste un outil explicatif incontournable, même lorsqu’il n’est pas utilisé tel quel. Au pire, ils se contentent d’expliquer la culture politique locale comme étant intrinsèquement favorable aux hommes forts. Que peut-on faire, disent-ils en se félicitant, quand les populations locales continuent d’élire des personnalités qui finiront par leur nuire ? Après avoir soumis pendant des décennies les conditions sociopolitiques locales à l’aune normative de la « démocratie et de l’État de droit » qu’ils ont eux-mêmes conçue, ils soupirent en révisant les résultats de leurs efforts pour inculquer les valeurs de la démocratie libérale à ces communautés politiques apparemment en difficulté. D’une manière ou d’une autre, les peuples des Balkans ne parviennent toujours pas à rattraper les normes politiques modernes.

Pourtant, ces notions réductrices de démocratie et d’État de droit tiennent rarement compte des interdépendances économiques cruciales entre les économies centrales et périphériques de l’Europe. Les effets de la position périphérique des politiques balkaniques restent néanmoins douloureusement tangibles dans le contexte local. Du fait que les dirigeants de l’UE ignorent régulièrement des élections manifestement truquées à l’exploitation des ressources naturelles de la Serbie au mépris des normes écologiques au nom du Pacte vert européen, en passant par les vagues continues de migration de main-d’œuvre dont dépendent les économies centrales de l’UE. Les conditions périphériques font partie intégrante de l’expérience vécue par la grande majorité de la population locale.

Couverture médiatique occidentale : idiots utiles ou propagandistes délibérés ?

Dans un pays aux prises avec un État de droit fragile, nombreux sont ceux qui cherchent à se libérer d’un gouvernement longtemps considéré comme autoritaire (…) Selon des universitaires, des observateurs internationaux et des organisations de défense des droits humains, la Serbie est depuis longtemps confrontée à un État de droit fragile, miné par une corruption endémique, des ingérences politiques, des élections frauduleuses et de sévères restrictions à l’indépendance des médias.(Ingrid Gercama pour The Guardian, 30 janvier 2025)

L’effondrement de cette immense structure en béton le 1er novembre a déclenché un vaste mouvement anti-corruption et des mois de manifestations étudiantes contre les autorités dans ce pays des Balkans occidentaux. Beaucoup en Serbie pensent que l’effondrement a été causé par la corruption systémique dans les grands projets d’infrastructure, en particulier ceux impliquant des entreprises chinoises. Les détracteurs estiment que la corruption a conduit à un travail bâclé lors de la reconstruction de la gare de Novi Sad, à un manque de contrôle et au non-respect des règles de sécurité existantes. Cette affaire est devenue le symbole d’un mécontentement plus large à l’égard de l’état de droit en Serbie. (Gavin Blackburn pour Euronews, 1er février 2025)

Les étudiants serbes réclament justice pour l’accident de Novi Sad, dénonçant la corruption et la négligence des autorités sous la présidence d’Aleksandar Vucic. (Le Monde, 27 janvier 2025)
Ce mouvement de contestation contre la corruption et pour un État de droit, lancé par les étudiants il y a quatre mois, est loin de s’essouffler et semble faire trembler le président Vucic au pouvoir depuis 13 ans, pour la première fois. (…) Depuis le début du mouvement anticorruption en novembre, environ 70 incidents violents ont eu lieu, toujours contre les étudiants, qui ont toujours réussi à rester pacifiques. (…) Cette catastrophe a provoqué une onde de choc révélant l’incurie, la corruption et les défaillances des institutions. (Rfi, 14 mars 2025)
Les participants aux manifestations accusent la corruption des dirigeants sous le président Aleksandar Vučić, qui règne en partie de manière autoritaire, d’être responsable du malheur qui a frappé Novi Sad. La gare venait d’être rénovée. Ils ne réclament pas la démission des politiciens, mais l’application stricte de l’État de droit et la punition des acteurs corrompus. (Spiegel, 13 mars 2025)

Comme le montrent ces citations, la plupart des articles consacrés au mouvement étudiant serbe dans les médias européens s’appuient sur des arguments centrés sur la démocratie et l’État de droit, dans une perspective implicitement orientaliste. Une petite nation balkanique, accablée par l’histoire – c’est-à-dire « avec une culture politique sous-développée » – est aux prises avec un gouvernement corrompu qui, cette fois-ci, a coûté la vie à certains d’entre eux. Si seulement ils s’étaient européanisés à temps ! La procureure européenne, Laura Codruța Kövesi, qui a promis d’enquêter (uniquement) sur l’éventuelle utilisation abusive des fonds européens dans cette affaire, a également soutenu nominalement les manifestations étudiantes en présentant la situation sous l’angle de la lutte contre la corruption.

En fait, ce que beaucoup de médias occidentaux ont trop souligné, c’est que les entreprises qui ont participé à la rénovation controversée de la gare de Novi Sad étaient des sous-traitants chinois et hongrois, ce qui laisse penser à des affaires louches et clôt le dossier. Ce qui est souvent moins problématisé, c’est le fait que l’appel d’offres a en fait été remporté par Starting, une entreprise de construction controversée et extrêmement rentable, connue pour travailler en marge de la loi, ce qui signifie que le gouvernement aurait dû être conscient des problèmes potentiellement graves liés à son exécution.

En fait, lorsqu’ils hésitent à utiliser directement ces arguments ou ce langage, les médias européens se rabattent sur des citations d’étudiants qui reproduisent ces clichés, notamment parce qu’ils sont eux-mêmes sous l’emprise des messages provenant des principales économies de l’UE. Une telle représentation des événements est non seulement extrêmement paresseuse sur le plan intellectuel, mais elle occulte aussi dangereusement les conditions systémiques sous-jacentes qui ont conduit à la tragédie de Novi Sad et aux manifestations qui ont suivi, lesquelles pourraient soulever des questions beaucoup plus vastes et pertinentes sur la nature du projet européen. Il s’agit des questions relatives aux effets de la périphéricité sur la population locale et, plus largement, des relations entre le centre et la périphérie sur le continuum géographique européen. Il est important de noter qu’en Europe de l’Est et du Sud, ces questions ont jusqu’à présent été largement monopolisées par la droite ou l’extrême droite. Pourtant, lorsque Viktor Orbán critique « Bruxelles », cela est rejeté comme du populisme ancré dans l’illibéralisme, plutôt que comme un discours visant à lutter contre le sentiment d’être un citoyen de seconde zone au sein de l’UE. Même si ces conditions systémiques sont évidentes pour la gauche au sens large, elles ne sont absolument pas perçues par le courant libéral dominant, qui continue d’insister sur une compréhension normative du projet européen dans son ensemble. Et c’est ce dernier qui domine encore le discours sur les développements en Serbie.

Démocratie et dépendances économiques : reconnaître leur imbrication dans les contextes centraux et périphériques

Les observateurs occidentaux ne sont pas les seuls à avoir une vision réductrice. Pour beaucoup de Serbes, la tragédie de Novi Sad est quelque chose qui « ne pouvait arriver qu’ici », qui « ne pouvait arriver qu’à nous », et qui est essentiellement un problème local dont eux seuls sont responsables et qu’ils sont appelés à résoudre. La « deuxième Serbie » (druga Srbija), c’est-à-dire les intellectuels et l’intelligentsia libérale et pro-UE, attend toujours l’aide des institutions européennes et des interventions qui permettraient de remettre le gouvernement Vučić à sa place. Les jeunes générations, qui ont souvent adhéré au discours ethno-nationaliste de leurs aînés, ne peuvent compter que sur un langage autochtonisé pour rejeter les différentes hégémonies, notamment parce qu’elles ne disposent guère d’autres langages. Elles croient que leurs ancêtres ont renversé les empires ottoman et habsbourgeois et considèrent l’expérience yougoslave comme intrinsèquement corrompue et finalement détruite par les Croates, sous l’influence du Vatican et avec l’aide de forces extérieures malveillantes. La communauté serbe paroissiale se retrouve ainsi comme seul dispositif symbolique et quasi historique qui imite non seulement son prétendu caractère ethnique, mais aussi des valeurs politiques capables de résister à la condition périphérique avec toutes ses incertitudes et ses précarités.

Le discours de gauche qui permettrait de cadrer cette situation de manière plus systémique, analytique et, surtout, moins essentialiste, bien que présent et bien articulé dans lesmédias régionaux émergents, reste relativement marginal dans l’espace public européen et mondial, probablement parce que l’élite libérale locale d’opposition continue de placer ses espoirs dans l’UE et, plus largement, dans l’Occident. Dans le même temps, la droite populiste a depuis longtemps récupéré le discours sur la résilience économique de la périphérie en utilisant l’imagerie historico-culturelle des communautés paysannes locales (par exemple, la « zadruga ») ou des assemblées citoyennes nominalement horizontales et démocratiques, même si elles ne sont pas libérales (par exemple, le « zbori »). La couverture médiatique occidentale est donc le résultat de sa réticence à reconnaître ces dépendances entre le centre et la périphérie, mais aussi du fait que les acteurs locaux ne remettent pas en question ces dépendances d’une manière qui irait au-delà de la « corruption » comme caractéristique des conditions « locales » essentialisées.

Afin de resituer le mouvement étudiant serbe, une tâche qui devient de plus en plus vitale compte tenu de l’escalade de la violence à l’encontre de ses participants et de la population serbe en général, il est nécessaire d’insister sur le lien entre démocratie et dépendances économiques. En d’autres termes, il faut reconnaître que les économies centrales de l’UE bénéficient grandement de la « stabilitocratie » (la préférence donnée à la stabilité sur la démocratie). Un réengagement de l’Union en dépend tout simplement pour assurer leur croissance économique. Pour renouveler régulièrement la main-d’œuvre, principalement en Allemagne, mais aussi dans d’autres économies centrales de l’UE, il faut maintenir la fuite des cerveaux, mais aussi ce qu’on pourrait appeler la « fuite des muscles » depuis des endroits comme la Serbie, l’espace post-yougoslave plus largement, et d’autres endroits au sein de l’UE, comme la Hongrie et la Roumanie. Pour que l’Allemagne et les autres économies centrales puissent investir dans ces endroits où la main-d’œuvre et les infrastructures sont bon marché, leurs partenaires politiques dans la région doivent garantir des conditions « stables » sur le terrain. L’apaisement d’Angela Merkel envers Orbán, qui a permis la croissance de l’industrie automobile allemande, en est un bon exemple. Le fait que les élites chinoises, et plus largement la Banque de Chine, aient également compris les avantages de l’exploitation des conditions locales, notamment en matière de normes environnementales, est également visible dans la région. En Hongrie, par exemple, cela a été le cas avec les usines de batteries, et en Serbie avec la tristement célèbre usine de pneus Linglong, qui produit également pour Volkswagen. Que valent l’alarmisme des politiciens européens à propos des stratégies d’investissement chinoises ou des lacunes démocratiques, alors qu’ils font exactement la même chose dans leur propre voisinage ou leur périphérie intérieure, en maintenant des conditions politiques similaires qui conduisent parfois au meurtre de travailleurs ?

L’avantage d’investir dans une « stabilitocratie », outre les conditions de travail moins réglementées et le coût moins élevé de la main-d’œuvre et des infrastructures, est la relative invisibilité du contexte local dans les sociétés du cœur économique. Cela résulte du manque de couverture médiatique analytique des problèmes auxquels sont confrontées les périphéries, ainsi que de la présentation erronée par les médias des tragédies locales comme étant le résultat de la corruption des gouvernements locaux. Le discours officiel, qui se concentre uniquement sur les normes démocratiques, le processus démocratique et l’État de droit, occulte souvent les dépendances économiques très concrètes qui nuisent à des contextes tels que celui de la Serbie. Pourtant, les autocrates et leur milieu mafieux sont rarement confrontés à de réelles conséquences. En fait, ce sont parfois ceux qui s’opposent à eux qui en subissent les conséquences, comme dans le cas de l’expulsion des universités hongroises du programme Erasmus.

Mais que se passerait-il si ce que l’UE considère comme l’État de droit était mis en place en Serbie ? Cela donnerait-il plus de pouvoir à une population très précaire, menaçant les arrangements d’exploitation sur lesquels reposent les investissements en Serbie ? Cela affecterait-il la croissance des économies centrales de l’UE ? Les processus démocratiques dans les contextes périphériques constituent-ils une menace pour le capital en donnant plus de pouvoir aux couches les plus vulnérables et exploitées de la société ?

Perspectives « d’en bas »

Les exploités ne sont toutefois pas naïfs. Ils sont souvent bien conscients de ces dépendances, car ils ont vécu l’expérience des migrations de main-d’œuvre, des effets toxiques de la délocalisation de la production sur leur environnement et leur société – comme dans le cas de Rio Tinto ou Linglong – et, peut-être plus important encore, de l’impasse dans laquelle ils se trouvent sur le plan politique. Vers qui peuvent-ils se tourner ?

Vers leurs dirigeants autocratiques et leur appareil qui ont tout fait, ouvertement ou secrètement, pour les maintenir à leur place ? Vers les pays du cœur de l’UE, dont les élites et les économies étatiques profitent de leur asservissement et en dépendent essentiellement ?

Les travailleurs qui ne sont pas victimes de chantage, d’exclusion, de paupérisation ou d’intimidation à l’étranger peuvent rester en Serbie et continuer à travailler dans les couches exploitées, ou espérer que les auvents de la gare ne s’effondrent pas sur leur tête pendant leur trajet quotidien. Les autres devraient être reconnaissants de l’opportunité, parfois offerte par des intermédiaires tels que les agences d’intérim, de devenir des migrants économiques en Allemagne, en Autriche et dans d’autres économies de l’UE, reconnaissants d’être les meilleurs, c’est-à-dire les migrants économiques blancs et chrétiens.

Parmi d’autres questions, le mouvement étudiant a soulevé celle de la responsabilité politique de la tragédie de la gare de Novi Sad – en demandant la divulgation des documents relatifs à sa rénovation controversée – ainsi que celle de l’enquête sur les violences commises par les forces de l’ordre officielles et les voyous moins officiels soutenus par le gouvernement qui ont frappé les étudiants qui manifestaient. Plus tard, ils ont également demandé une enquête sur l’incident du 15 mars, manifestations lors de laquelle le gouvernement aurait utilisé une arme sonique contre des manifestants pacifiques.

Le refus de répondre de manière significative à ces questions et à ces revendications soulevées par le mouvement étudiant et la tragédie de Novi Sad était plus qu’évident dans la lettre ouverte publiée par la commissaire européenne à l’élargissement, Marta Kos. Des préoccupations ont été exprimées, l’importance des valeurs démocratiques fondamentales a été soulignée et la carotte habituelle de l’adhésion à l’UE a été brandie. Mais aucune conséquence réelle pour l’autocrate qui viole les droits des citoyens serbes n’est en vue, et aucun acteur des économies centrales ne se sent le moins du monde responsable. Au contraire, les déclarations comme celles de Mme Kos et les reportages des médias occidentaux sur la Serbie s’efforcent de rejeter la responsabilité sur la population serbe, tout en sachant très bien que cela pourrait faire de nouvelles victimes, non pas sur les forces de Vučić, mais sur la marginalisation persistante dont l’UE profite directement. Il est temps de reconnaître qu’en insistant sur cette approche, l’UE ne peut être considérée comme meilleure que la Russie, la Chine ou les États-Unis pour les populations d’Europe du Sud-Est.

La « droite » et la « gauche », par ailleurs très décriées, qui progressent régulièrement (même si de manière très disproportionnée) au détriment du courant libéral dominant en Europe et au-delà, sont toutes deux conscientes qu’il existe des citoyens de seconde zone dans l’UE et ses pays candidats. La droite tire directement profit de cette expérience et de l’incapacité du courant libéral dominant à renégocier le contrat social européen. En d’autres termes, compte tenu des derniers développements sur la scène internationale et sur le continent, le mécanisme institutionnel libéral de l’UE (tant au niveau de l’Union qu’au niveau des États membres) risque de compromettre son existence, et potentiellement la paix, s’il ne se montre pas prêt à prendre en compte les besoins politiques et économiques des périphéries. Cette absence de renégociation du contrat social européen coûte non seulement la vie aux Serbes, mais aussi la dignité et la santé de tous les peuples des périphéries européennes (à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE). Tout ça pourrait non seulement mettre à rude épreuve les leviers économiques entre le centre et la périphérie, mais aussi entraîner l’érosion définitive et complète, dans tous les contextes européens, des institutions nominalement libérales que partagent les États membres de l’UE (parlements, constitutions, pouvoirs judiciaires), qui sont en théorie conçues pour servir et protéger les citoyens contre l’autocratie et le marché. En d’autres termes, ce qui est en jeu, c’est pas seulement le projet d’une union européenne, mais celui de l’État libéral au sens large.

Conclusion : vers une vision pour le nouveau contrat social européen ?

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, en particulier le fait que le débat sur l’axe démocratie-corruption ne tient pas compte des dépendances économiques, je pense qu’il est nécessaire que la gauche exige une renégociation du contrat social européen, entre les membres et les non-membres, et propose une vision pour un nouvel arrangement européen plus horizontal. La tragédie qui s’est déroulée en Serbie, mais aussi celles qui se produisent à plus petite échelle chaque jour dans les périphéries européennes, montrent ce qui se passe lorsque ces dépendances ne sont pas prises en compte. Il est essentiel que cette vision ne serve pas à renforcer l’Europe forteresse, mais qu’elle continue à promouvoir l’autarcie dans une UE élargie, afin de réduire les dépendances économiques et politiques mondiales et de diminuer considérablement la mesure dans laquelle elle entretient des relations hiérarchiques entre le centre et la périphérie à travers le monde, même au prix d’une transformation économique radicale. Pour conclure, je souligne plusieurs implications de cette situation, qui, selon moi, devraient faire l’objet d’un débat plus large et être prises en compte par la gauche.

Partant du constat que nous sommes aujourd’hui, plus que jamais dans l’histoire récente, orientés vers la coopération mutuelle, il convient de souligner la nécessité d’améliorer les relations intereuropéennes et de redéfinir radicalement nos objectifs communs pour l’avenir. Si l’UE veut être véritablement, et pas seulement en théorie, un projet politique plutôt qu’un projet économique inégalitaire, il faut éliminer les conditions qui produisent des citoyens de seconde zone. Pour pouvoir résister aux défis sécuritaires et économiques qui se multiplient rapidement en Europe aujourd’hui, il faut aussi s’attaquer aux inégalités internes, au nord, à l’est, à l’ouest et au sud. Cela inclut toutes les formes d’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. et d’exploitation formelles et informelles des inégalités existantes, en particulier en termes de main-d’œuvre et de ressources naturelles. Les approches néocoloniales à peine voilées à l’égard de l’est et du sud de l’Europe doivent être abolies.

Comme je l’ai soutenu, un point de départ essentiel serait de cesser de dissocier la démocratie (l’État de droit) des dépendances économiques. Lorsqu’il est utilisé par les décideurs et les observateurs, le concept de démocratie doit être redéfini de manière à inclure intrinsèquement la résilience économique et politique de la population concernée, tandis que l’importance des principes du cycle électoral doit être réduite au profit de la première. En d’autres termes, les critères permettant de juger si une société est démocratique devraient se concentrer sur la force des droits du travail et la prospérité économique des individus, ainsi que sur d’autres critères plus explicitement politiques considérés comme normaux, tels que la liberté des médias, la liberté d’expression et de réunion, la société civile, etc. Afin de redéfinir cela, il faudrait réduire le nombre de cycles électoraux et renforcer les mesures visant à accroître la résilience économique et politique de la population. La participation constante à des élections de plus en plus dénuées de sens affaiblit les systèmes politiques à long terme et détourne l’attention des populations des conditions qui sous-tendent la démocratie, telles que l’éducation aux médias et la stabilité financière.

De plus, ce qui renforcerait ce nouvel arrangement serait l’acceptation immédiate des Balkans occidentaux dans l’Union européenne, ainsi que de la Moldavie et de la Géorgie. Continuer à les considérer comme des zones tampons ne peut que conduire à une autre guerre similaire à celle en Ukraine, mais l’intégration économique doit se faire dans des conditions équitables. Partant du principe que l’UE a dépassé le projet franco-allemand de paix et de développement économique du siècle dernier, la gauche devrait discuter et envisager une vision d’une entité supranationale centralisée qui repose économiquement sur sa propre main-d’œuvre et ses propres ressources dans la plupart des domaines de l’activité économique. Sans un changement des conditions sous-jacentes qui sont à l’origine des défis auxquels le continent européen est confronté, à savoir les dépendances économiques enracinées dans les inégalités et la corruptibilité des processus démocratiques, tant son centre que sa périphérie resteront à la merci de ceux qui s’imaginent être des grandes puissances, capables de les diviser et de les condamner à l’oubli.

La situation actuelle en Serbie et l’impasse politique dans laquelle elle se trouve ne sont qu’une variante, certes très tragique, du thème de la périphéricité. Mais le fait que les élections aient perdu toute légitimité, tout comme l’opposition politique à Vučić, et que les étudiants, qui ne peuvent cesser de manifester en raison des représailles probables, annoncent ouvertement la fin de la démocratie représentative dont ils ont constaté les limites dans le contexte périphérique, montre bien qu’une solution locale n’est pas envisageable. Elle doit au contraire passer par la création de solidarités transnationales, et avant tout Trans périphériques, et donc par la formulation de revendications qui s’attaquent aux conditions systémiques plutôt qu’aux seules conditions locales. Pour reprendre la lecture de Miljenko Jergović d’une autre tragédie de notre temps, « si le toit s’effondre sur les habitants de Novi Sad, il s’effondrera sur nous tous ».

Svjetlana Ribarević
Svjetlana Ribarević est le pseudonyme d’un chercheur en histoire moderne de la région qui a publié des articles sur les idées politiques et l’histoire sociale de la Yougoslavie et de la Hongrie au XXe siècle.
https://lefteast.org/author/svjetlana-ribarevic/