Les responsabilités de la Banque mondiale, du FMI et des gouvernements occidentaux
7 avril 2010 par Eric Toussaint
Retour sur le génocide de 1994 [1]
A partir du 7 avril 1994, en l’espace de moins de trois mois, près d’un million de Rwandais - le chiffre exact reste à déterminer - sont exterminés parce qu’ils et elles sont Tutsis ou supposés tels. Il faut y ajouter plusieurs dizaines de milliers de Hutus. Ce sont des opposants politiques au régime en place ou des personnes qui refusent ou pourraient refuser de prêter leur concours au génocide. Avant celui-ci, la population était estimée à environ 7,5 millions.
La comparaison avec le génocide des juifs et des tziganes par le régime nazi est pleinement justifiée. Il y a bien certaines différences : le nombre absolu de victimes (6 millions de juifs ont été exterminés par les nazis), les moyens mis en œuvre (les nazis ont conçu et utilisé des moyens industriels pour appliquer la solution finale).
Mais il y a bien eu génocide c’est-à-dire la destruction planifiée d’une collectivité entière par le meurtre de masse ayant pour but d’en empêcher la reproduction biologique et sociale.
Les politiques mises en œuvre par les institutions financières multilatérales
Il est fondamental de s’interroger sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux. Ma thèse, c’est que les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide. Généralement, l’incidence négative de ces politiques n’est pas prise en considération pour expliquer le dénouement dramatique de la crise rwandaise. Seuls quelques auteurs mettent en évidence la responsabilité des institutions de Bretton Woods (e. a. Michel Chossudovsky et Pierre Galand). Celles-ci refusent toute critique à ce sujet. Il est plus étonnant de constater que certains auteurs liés à des organisations non gouvernementales publient des études pour tenter de neutraliser la critique du rôle de la Bm
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(Woodward, 1996 – voir biblio en fin d’article).
Au début des années 1980, quand éclata la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers Monde, le Rwanda (comme son voisin, le Burundi) était très peu endetté. Alors qu’ailleurs dans le monde, la Banque mondiale et le FMI abandonnaient leur politique active de prêts et prêchaient l’abstinence, ils adoptèrent une attitude différente avec le Rwanda : ces institutions se chargèrent de prêter largement au Rwanda. La dette extérieure du Rwanda a été multipliée par vingt entre 1976 et 1994. En 1976, elle s’élevait à 49 millions de dollars ; en 1994, elle représentait près d’un milliard de dollars. La dette a surtout augmenté à partir de 1982. Les principaux créanciers sont la Banque mondiale, le FMI et les institutions qui y sont liées. La Bm et le FMI ont joué le rôle le plus actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans l’endettement. En 1999, ces institutions détenaient 87% de la dette extérieure rwandaise (en 1999, la dette extérieure rwandaise se répartissait comme suit : 87% dus aux institutions multilatérales, 13 % dus en bilatéral, 0% à des créanciers privés. Source : World Bank, GDF 2001).
Le régime dictatorial en place depuis 1973 garantissait de ne pas verser dans une politique de changements structurels progressistes. C’est pourquoi il était soutenu activement par des puissances occidentales : la Belgique, la France et la Suisse. En outre, il pouvait constituer un rempart par rapport à des Etats qui, dans la région, maintenaient encore des velléités d’indépendance et de changements progressistes (la Tanzanie du président progressiste Julius Nyerere, un des leaders africains du mouvement des non alignés, par exemple).
Durant la décennie 1980 jusqu’à 1994, le Rwanda reçut beaucoup de prêts et la dictature d’Habyarimana s’appropria une partie considérable de ceux-ci. Les prêts accordés devaient servir à insérer plus fortement l’économie rwandaise dans l’économie mondiale en développant ses capacités d’exportation de café, de thé et d’étain (ses trois principaux produits d’exportation) au détriment des cultures destinées à la satisfaction des besoins locaux. Le modèle fonctionna jusqu’au milieu des années 1980, moment où les cours de l’étain d’abord, du café ensuite, et enfin, du thé s’effondrèrent. Le Rwanda, pour qui le café constituait la principale source de devises fut touché de plein fouet par la rupture du cartel du café provoquée par les Etats-Unis au début des années 1990.
Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide
Quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, les autorités rwandaises signent avec le FMI et la Bm à Washington un accord pour mettre en œuvre un programme d’ajustement structurel (PAS).
Ce PAS est mis en application en novembre 1990 : le franc rwandais est dévalué de 67%. En contrepartie, le FMI octroie des crédits en devises à décaissement rapide pour permettre au pays de maintenir le flux des importations. Les sommes ainsi prêtées permettent d’équilibrer la balance des paiements
Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
. Le prix des biens importés augmente de manière vertigineuse : le prix de l’essence grimpe de 79%. Le produit de la vente sur le marché national des biens importés permettait à l’Etat de payer les soldes des militaires dont les effectifs montent en flèche. Le PAS prévoyait une diminution des dépenses publiques : il y a bien eu gel des salaires et licenciements dans la fonction publique mais avec transfert d’une partie des dépenses au profit de l’armée.
Alors que les prix des biens importés grimpent, le prix d’achat du café aux producteurs est gelé, c’est le FMI qui l’exige. Conséquence : la ruine pour des centaines de milliers de petits producteurs de café (Maton, 1994). Ceux-ci et les couches les plus appauvries des villes ont dès lors constitué un réservoir permanent de recrues pour les milices Interahamwe et pour l’armée.
Parmi les mesures imposées par la Bm et le FMI au travers du PAS, il faut relever en outre : l’augmentation des impôts à la consommation et la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation des impôts directs sur les familles populaires par la réduction des abattements fiscaux pour charge de famille nombreuse, la réduction des facilités de crédit aux paysans...
Pour justifier l’utilisation des prêts du couple Bm/FMI, le Rwanda est autorisé par la Bm à présenter d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis aux autorités rwandaises de financer l’achat massif des armes du génocide. Les dépenses militaires triplent entre 1990 et 1992 (Nduhungirehe, 1995). La Bm et le FMI ont envoyé plusieurs missions d’experts pendant cette période, ces derniers ont souligné certains aspects positifs de la politique d’austérité appliquée par Habyarimana mais ont néanmoins menacé de suspendre les paiements si les dépenses militaires continuaient à croître. Les autorités rwandaises ont alors mis au point des artifices pour dissimuler des dépenses militaires : les camions achetés pour l’armée ont été imputés au budget du ministère des Transports, une partie importante de l’essence utilisée par les véhicules des milices et de l’armée était imputée au ministère de la Santé... Finalement, la Bm et le FMI ont fermé le robinet de l’aide financière début 1993 mais elles n’ont pas dénoncé l’existence des comptes bancaires que les autorités rwandaises détenaient à l’étranger auprès de grandes banques et sur lesquelles des sommes importantes restaient disponibles pour l’achat d’armes. On peut considérer qu’elles ont failli à leur devoir de contrôle sur l’utilisation des sommes prêtées. Elles auraient dû stopper leurs prêts dès début 1992 quand elles se sont rendu compte que l’argent était utilisé pour des achats d’armes. Elles auraient dû alerter l’ONU dès ce moment. En continuant à réaliser des prêts jusque début 1993, elles ont aidé un régime qui préparait un génocide. Les organisations de défense des droits de l’homme avaient dénoncé dès 1991 les massacres préparatoires au génocide. La Banque mondiale et le FMI ont systématiquement aidé le régime dictatorial car celui-ci était un allié des Etats-Unis, de la France et de la Belgique.
La montée des contradictions sociales
Pour que le projet génocidaire soit mis à exécution, il fallait non seulement un régime pour le concevoir et se doter des instruments pour sa réalisation. Il fallait également qu’une masse appauvrie, lumpenisée, soit prête à réaliser l’irréparable. Dans ce pays, 90% de la population vit à la campagne, 20% de la population paysanne dispose de moins d’un demi hectare par famille. Entre 1982 et 1994, on a assisté à un processus massif d’appauvrissement de la majorité de la population rurale avec, à l’autre pôle de la société, un enrichissement impressionnant. Selon le professeur Jef Maton, en 1982, les 10% les plus riches de la population prélevaient 20% du revenu rural ; en 1992, ils en accaparaient 41% ; en 1993, 45% et au début 1994, 51% (Maton, 1994). L’impact social catastrophique des politiques dictées par le couple FMI/Bm et de la chute des cours du café sur le marché mondial (chute à mettre en corrélation avec les politiques des institutions de Bretton Woods et des Etats-Unis qui ont réussi à faire sauter le cartel des producteurs de café à la même époque) joue un rôle clé dans la crise rwandaise. L’énorme mécontentement social a été canalisé par le régime Habyarimana vers la réalisation du génocide.
Les créanciers du génocide
Les principaux fournisseurs d’armes au Rwanda entre 1990 et 1994 sont la France, la Belgique, l’Afrique du Sud, l’Egypte et la République populaire de Chine. Cette dernière a fourni 500 000 machettes. L’Egypte - dont le vice-ministre des Affaires étrangères, chargé des relations avec l’Afrique, n’était autre que Boutros Boutros-Ghali - a offert au Rwanda un crédit sans intérêt pour lui permettre d’acheter des armes d’infanterie pour un montant de six millions de dollars en 1991. Une fois le génocide déclenché, alors que l’ONU avait décrété, le 11 mai 1994, un embargo sur les armes, la France et la firme britannique Mil-Tec ont fourni des armes à l’armée criminelle via l’aéroport de Goma au Zaïre (Toussaint, 1996). Une fois Kigali, capitale du Rwanda, prise par le FPR, plusieurs hauts responsables du génocide ont été reçus à l’Elysée. Les autorités rwandaises en exil ont installé à Goma avec l’aide de l’armée française le siège de la Banque Nationale du Rwanda. Celle-ci a effectué des paiements pour rembourser l’achat d’armes et en acheter de nouvelles jusque fin août 1994. Les banques privées Belgolaise, Générale de Banque, BNP, Dresdner Bank... ont accepté les ordres de paiement des génocidaires et ont remboursé les créanciers du génocide.
La situation après le génocide
Après la chute de la dictature en juillet 1994, la Bm et le FMI ont exigé des nouvelles autorités rwandaises qu’elles limitent le nombre de fonctionnaires à 50% des effectifs prévu au cadre précédant le génocide. Les nouvelles autorités ont accepté.
Les premières aides octroyées par les Etats-Unis et la Belgique fin 1994 ont servi à rembourser les arriérés de dette du régime Habyarimana à l’égard de la Bm. Les aides octroyées par les pays du Nord arrivaient au compte-gouttes dans le pays qui était à reconstruire. Les autorités ont accueilli plus de 800 000 réfugiés depuis novembre 1996.
D’après le document de David Woodward réalisé pour Oxfam, en 1996, si la production agricole s’était un peu redressée, elle restait de 38% inférieure aux habituelles premières récoltes et de 28% inférieure aux secondes. Le secteur industriel s’avérait plus lent encore à récupérer : seules 54 des 88 entreprises de production existant avant avril 1994 avaient repris leur activité et la plupart produisaient bien en deçà de leur niveau antérieur : la valeur ajoutée de l’ensemble du secteur industriel ne représentait plus fin 1995 que 47% de son niveau de 1990.
L’augmentation de 20% des salaires du service public en janvier 1996 fut la première depuis 1981 mais on estimait officiellement que 80% des travailleurs du secteur public se situaient sous le seuil de pauvreté. Il ne faut pas s’étonner que les Rwandais préfèrent travailler dans une ONG comme chauffeur ou cuisinier plutôt que s’investir dans la fonction publique. Ce chiffre n’est d’ailleurs pas particulier à la fonction publique puisque la Bm estimait en 1996 que 85 à 95% des Rwandais vivaient en dessous du niveau de pauvreté absolue.
Il faut noter un accroissement considérable du nombre de femmes chefs de ménage passant de 21,7% avant le génocide à quelque 29,3% avec des pointes de plus de 40% dans certaines préfectures. Leur situation est particulièrement dramatique lorsqu’on sait à quel point les femmes sont discriminées au niveau des lois notamment liées à l’héritage, à l’accès au crédit et au régime foncier. Déjà avant le génocide, 35% des femmes chefs de ménage avaient un revenu mensuel inférieur à 5 000 francs rwandais (environ quinze dollars) par personne, alors que ce taux était de 22% pour les hommes chefs de famille.
Malgré un taux élevé d’adoption d’orphelins suite au génocide et au sida, le nombre d’enfants sans famille oscillait entre 95 000 et 150 000.
En 1996, au niveau de l’enseignement, les inscriptions dans le cycle primaire ne sont que de l’ordre de 65% tandis que le taux de fréquentation des écoles secondaires ne dépasse pas les 8% (Woodward, 1996).
En 1994, la dette extérieure totale du Rwanda s’élevait à près d’un milliard de dollars. Cette dette avait été entièrement contractée par le régime Habyarimana. Cinq ans plus tard, cette dette avait augmenté d’environ 30% et le Rwanda remboursait 31 millions de dollars (chiffre de l’année 1999).
La dette contractée avant 1994 rentre pleinement dans la définition de « dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
» [2], en conséquence le nouveau régime aurait dû en être totalement exonéré. Les créanciers multilatéraux et bilatéraux savaient parfaitement à qui ils avaient affaire quand ils prêtaient au régime d’Habyarimana. Après le changement de régime, ils n’avaient pas le droit de reporter leurs exigences sur le nouveau Rwanda. Et pourtant, ils l’ont fait sans vergogne. C’est absolument scandaleux.
Les autorités rwandaises qui ont pris le pouvoir en 1994 ont tenté de convaincre la Bm et le FMI de renoncer à leurs créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
. Ces deux institutions ont refusé et ont menacé de fermer le robinet du crédit si Kigali s’entêtait. Elles ont demandé à Kigali de faire silence sur l’aide qu’elles ont apportée au régime d’Habyarimana en échange de nouveaux prêts et d’une promesse d’annulation future de dette dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(lancée en 1996). Il est déplorable que le gouvernement ait accepté ce marchandage. Les conséquences sont néfastes : poursuite de l’ajustement structurel dont les conséquences économiques et sociales sont désastreuses et accroissement de la dette extérieure. En faisant cela, les autorités de Kigali ont obtenu le statut de bon élève du FMI, de la Bm et du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
. Pire en participant à l’occupation militaire d’une partie du territoire du pays voisin, la République Démocratique du Congo, à partir d’août 1998 et en participant au pillage de ses ressources naturelles, le régime rwandais s’est fait le complice des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans la région (ces deux pays cherchaient activement un affaiblissement de la RDC).
Banque mondiale / World Bank. 2001. Global Development Finance, Washington.
Chossudovsky Michel et autres. 1995. « Rwanda, Somalie, ex Yougoslavie : conflits armés, génocide économique et responsabilités des institutions de Bretton Woods », 12 p., in Banque, FMI, OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
: ça suffit !, CADTM, Bruxelles, 1995, 182 p.
Chossudovsky Michel et Galand Pierre, L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990/1994). La responsabilité des bailleurs de fonds. La responsabilité des bailleurs de fond, Analyse et recommandations. Rapport préliminaire. Bruxelles - Ottawa, novembre 1996.
DUTERME Renaud. 2010. « Rwanda : un génocide évitable », http://www.cadtm.org/Rwanda-un-genocide-evitable
Maton, Jef. 1994. Développement économique et social au Rwanda entre 1980 et 1993. Le dixième décile en face de l’apocalypse, Université de Gand, Faculté de Sciences économiques, 43 p.
Nduhungirehe, Marie-Chantal. 1995. Les Programmes d’ajustement structurel. Spécificité et application au cas du Rwanda. Mémoire de licence, UCL, Faculté de Sciences économiques, 162 p.
Sack, Alexander Nahum. 1927. Les Effets des Transformations des Etats sur leurs Dettes Publiques et Autres Obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
financières, Recueil Sirey, Paris.
Toussaint, Eric. 1996. « Nouvelles révélations sur les ventes d’armes », 2 p., CADTM 19, Bruxelles, 1996.
Toussaint, Eric. 1997a. « Rwanda : Les créanciers du génocide », 5 p., in Politique, La Revue, Paris, avril 1997.
Woodward, David. 1996. The IMF, the World Bank and Economic Policy in Rwanda : Economic, Social and Political Implications, Oxfam, Oxford, 55 p.
[1] Une première version de cet article est parue en 1997 : Eric Toussaint, « Rwanda : Les créanciers du génocide », 5 p., in Politique, La Revue, Paris, avril 1997. Les changements apportés dans la présente version sont tout à fait mineurs.
[2] Dette odieuse : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ». Alexander Nahum Sack (1927)
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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