29 novembre 2022 par Maxime Perriot
Nazly Ahmed, Sri Lanka Protests ! GoHomeGota2022, SriLankaEconomicCrisis, Flickr, https://www.flickr.com/photos/nazly/52038508192
Lors du printemps 2022, le Sri Lanka a connu un soulèvement populaire exceptionnel nommé Aragalaya (« Lutte du peuple »). Les révoltes ont abouti à la fuite de l’ancien Président, Gotabaya Rajapaksa. Quelques mois après ces évènements, le gouvernement, en défaut de paiement sur sa dette extérieure, négocie avec le FMI.
Le 9 juillet 2022, les manifestant·es sri lankais·ses s’emparaient du Palais présidentiel, provoquant la fuite de l’Ancien président Gotabaya Rajapaksa
Le 9 juillet 2022, les manifestant·es sri lankais·ses s’emparaient du Palais présidentiel, provoquant la fuite de l’Ancien président Gotabaya Rajapaksa. Cette situation marquait l’aboutissement de semaines de luttes populaires massives et remarquablement organisées , provoquées par un enchaînement de crises sociales et économiques liées à l’intégration du pays dans le capitalisme mondialisé et à la libéralisation croissante de l’économie depuis des années.
Encadré explicatif : Un pays se procure des devises extérieures en exportant ou en accueillant des touristes qui changent leur monnaie en arrivant dans le pays. Ces devises extérieures constituent des réserves de change qui sont ensuite utilisées pour importer les produits que le pays ne produit pas sur son sol. |
Or, les produits d’exportation dans lesquels s’est spécialisé le Sri Lanka sont des produits à faible valeur ajoutée comparés aux produits que le pays importe (exemple : la marge dégagée sur des produits électroniques est plus élevée que la marge dégagée sur la production de thé). Ce qui signifie que pour importer tous ces autres produits, le Sri Lanka doit exporter beaucoup de thé et de textile, ou recevoir beaucoup de touristes. En raison de cette différence entre la valeur ajoutée des importations et des exportations, cela faisait déjà plusieurs années que les gouvernements sri lankais s’endettaient auprès de créanciers extérieurs pour pouvoir combler le déficit de leur balance commerciale
Balance commerciale
Balance des biens et services
La balance commerciale d’un pays mesure la différence entre ses ventes de marchandises (exportations) et ses achats (importations). Le résultat est le solde commercial (déficitaire ou excédentaire).
[1], et donc pouvoir importer tout ce que le pays ne produisait pas.
Déjà en difficulté, le Sri Lanka a subi la crise du tourisme international lié au Covid-19 (réduisant fortement la présence de touristes au Sri Lanka donc l’apport de devises étrangères) et la baisse des exportations de thé (vers l’Ukraine notamment) [2] . Cette baisse des réserves en devises, combinée à la hausse des cours mondiaux des aliments et de l’énergie, et à un emprunt de 500 millions de dollars arrivé à échéance en janvier 2022, ont placé le Sri Lanka en défaut de paiement sur sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure.
En bref, le pays a manqué de carburant et de nourriture, les prix ont explosé et près d’un·e sri lankais·e sur deux se trouve en dessous du seuil de pauvreté international
Cette pénurie de devises a produit des conséquences bien plus importantes qu’un défaut de paiement : comme le pays manquait de devises extérieures, il était non seulement dans l’impossibilité de rembourser sa dette extérieure mais il a également dû faire face à des pénuries. Ces dernières ont touché les secteurs essentiels de l’énergie et de l’alimentation. En effet, le gouvernement n’a pas pu faire face à la hausse des cours mondiaux dans ces secteurs, n’ayant pas assez de devises pour importer suffisamment de carburant et de denrées alimentaires pour la population. Cette situation de pénurie a donc réduit l’offre de nourriture, d’engrais ou de carburant, faisant augmenter les prix encore davantage. L’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. a atteint 60% et même 90% sur les aliments, plongeant la population sri lankaise dans une situation très critique. L’effondrement de la roupie sri lankaise quand les réserves de change du pays se sont amenuisées a également participé à la hausse des prix des produits importés et aux pénuries. Comme le cours du dollar se renchérissait dans le même temps, les importations sri lankaises sont devenues bien plus chères par la simple dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. de la roupie sri lankaise par rapport au dollar.
Lire aussi : « Le canari dans la mine de charbon » : La crise du Sri Lanka est une chronique annoncée |
En bref, le pays a manqué de carburant et de nourriture, les prix ont explosé et près d’un·e sri lankais·e sur deux se trouve en dessous du seuil de pauvreté international [3], s’élevant à 1,9 dollar par jour (ce qui ne veut pas dire que les personnes qui gagnent plus d’1,9 dollar US par jour ne sont pas pauvres).
Cette situation économique et sociale catastrophique a provoqué un mécontentement qui grondait dans la population sri lankaise depuis déjà plusieurs mois. Ce ras-le-bol, notamment lié au niveau de corruption du clan Rajapaksa, qui domine la vie politique du Sri Lanka depuis 2005, était déjà palpable via différents mouvements sociaux secouant le pays depuis 2020. Les travailleur·euses des plantations de thé, du textile, les agriculteur·ices ou encore les femmes victimes du microcrédit avaient déjà fait entendre leur voix avant cette année 2022.
Lire aussi : La crise du Sri Lanka est une fin de partie pour Rajapaksas |
L’imbrication de toutes ces causes a donc abouti au soulèvement populaire exceptionnel de 2022, principalement mené par la communauté cingalaise [4]. Le 9 juillet 2022, les manifestant·es s’emparaient de la résidence du Président et du Premier ministre, provoquant la démission et la fuite du Président, Gotabaya Rajapaksa.
Encadré : Les femmes [5], essentielles, sous-payées et premières victimes de la crise sociale, économique et des politiques d’austérité
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Comme d’habitude, la contrepartie de ce prêt du Fonds Monétaire International ne se résume pas aux intérêts à payer mais à l’application de politiques destructrice pour l’économie du pays et sa population
Ranil Wickremesinghe, ancien Premier ministre désormais Président du Sri Lanka, a commencé un travail d’annihilation des apports du soulèvement de la population. Il a fait promulguer des lois sécuritaires [9] dénoncées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme et il a accepté de négocier avec le Fonds monétaire international.
Comme souvent, suite au défaut de paiement du Sri Lanka sur 51 milliards de dollars US de dette extérieure en avril 2022, le FMI joue le rôle de prêteur en dernier ressort et impose une série de mesures opposées aux intérêts de la grande majorité de la population. Le 1er septembre 2022, un accord a été trouvé entre Colombo et le FMI pour un prêt de 2,9 milliards de dollars US étalé sur quatre ans. L’argent n’a pas encore commencé à être versé par l’institution. Les premiers versements devraient avoir lieu en décembre si le gouvernement prend le chemin désiré par le FMI. Comme d’habitude, la contrepartie de ce prêt du Fonds Monétaire International ne se résume pas aux intérêts à payer mais à l’application de politiques destructrice pour l’économie du pays et sa population [10].
Lire aussi : Sri Lanka : Il ne faut pas signer un accord avec le FMI |
Voici comment le FMI définit l’objectif de son prêt au Sri Lanka : « Rétablir la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette ». En d’autres termes, cela pourrait donner : « Refaire de l’économie sri lankaise une terre d’accueil pour les investisseurs et le capital, et assurer que le pays soit de nouveau en capacité de rembourser sa dette ». Pour rétablir des conditions favorables au capital, le FMI « demande » aussi au gouvernement d’augmenter les recettes de l’État, de supprimer les subventions aux produits et aux services de base, d’assurer un taux de change flexible et de reconstituer ses réserves de devises. Voici ce que certaines conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. communiquées dans un langage lissé par le FMI signifient dans la réalité :
Les conditionnalités imposées par le FMI sont donc un moyen de recréer une capacité du pays à rembourser ses créanciers et de maintenir le Sri Lanka intégré dans l’économie capitaliste mondialisée. Si le Sri Lanka a connu des pénuries de denrées alimentaires au printemps 2022, c’est parce qu’il est fortement dépendant des cours mondiaux, les gouvernements successifs ayant spécialisé le pays dans des cultures d’exportation. En faisant appel au FMI, le Président entretient cette dépendance au lieu de développer une agriculture vivrière qui favoriserait la souveraineté alimentaire et ouvrirait une voie plus indépendante du Sri Lanka vis-à-vis des devises extérieures, donc des créanciers, des institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, des conditionnalités toujours plus libérales et contre les intérêts du peuple que ces dernières imposent.
L’auteur remercie Pablo Laixhay et Éric Toussaint pour leurs relectures
[1] La différence entre les revenus des exportations et les coûts des importations.
[2] Éric Toussaint, Balasingham Skanthakumar, « Le canari dans la mine de charbon » : La crise du Sri Lanka est une chronique annoncée, 11/08/2022, CADTM, https://www.cadtm.org/Le-canari-dans-la-mine-de-charbon-La-crise-du-Sri-Lanka-est-une-chronique
[3] Sarala Emmanuel, « Carrying the debt », 13/11/2022, CADTM, https://www.cadtm.org/Carrying-the-debt
[4] La communauté tamoule, minoritaire dans le pays, n’a pas été réellement active dans le mouvement. Depuis la fin de la guerre civile, qui a opposé le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres de libération de l’Îlam tamoul (LTTE) qui luttaient pour un État indépendant dans l’Est et dans le Nord du Sri Lanka, où les Tamouls sont majoritaires. Dans les derniers mois de la guerre, 40 000 civils tamouls auraient été tués. La population tamoule est victime de violences et d’actes islamophobes, ce qui explique sa relative faible implication dans le conflit.
[5] Lorsque nous faisons référence aux femmes, nous entendons toute personne qui s’identifie comme femme.
[6] Sarala Emmanuel, art.cité.
[7] « Appel urgent des fméinistes sri-lankaises pour faire face à la crise humanitaire provoquée par l’effondrement économique du Sri Lanka », 06/04/2022, CADTM, https://www.cadtm.org/Appel-urgent-des-feministes-sri-lankaises-pour-faire-face-a-la-crise
[8] Bhumika Muchhala, Kanchana N Ruwanpura, Smriti Rao, « Gendering the debt risis : Feminists on Sri Lanka’s financial crisis », 13/11/2022, CADTM, https://www.cadtm.org/Gendering-the-debt-crisis-Feminists-on-Sri-Lanka-s-financial-crisis
[9] AFP, « Le Sri Lanka doit inverser la « dérive vers la militarisation », 06/09/2022, Médiapart, https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/060922/le-sri-lanka-doit-inverser-la-derive-vers-la-militarisation
[10] « IMF Staff Reaches Staff-Level Agreement on an Extended Fund Facility Arrangement with Sri Lanka », 01/09/2022, IMF, https://www.imf.org/en/News/Articles/2022/09/01/pr22295-imf-reaches-staff-level-agreement-on-an-extended-fund-facility-arrangement-with-sri-lanka
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