8h contre la dette illégitime

Compte-rendu de la plénière « Témoignages de luttes »

23 décembre 2016 par Mariella Caponnetto


Pour clôturer ces huit heures à « kicker » contre la dette, six militantEs sont venuEs témoigner de leur luttes.

Témoignages de luttes, de Lucile Daumas (Attac/Cadtm Maroc), Camille (TTIP Game Over), Jordan Croeisaerdt (cheminot, délégué CGSP), Mamadou Bah (mouvement des sans-papiers), Yannis Youlountas (militant, écrivain et réalisateur), Iolanda Fresnillo (Plataforma Auditoria Ciudadana de la Deuda - PACD)



1. Le greenwashing de la COP 22, par Lucile Daumas

Une bataille est liée à toutes nos luttes : la bataille des mots. Les mots nous ont été volés et sont détournés selon les besoins du pouvoir en place. Nous devons nous les réapproprier et retrouver leur sens. La COP22 à Marrakech a été une consécration de ces distorsions de vocabulaire.

Lucile Daumas

Dans un premier temps, les entreprises privées ont dépensé sans compter pour nous faire croire qu’il n’y avait pas de changement climatique. À présent, sans renoncer au climato-scepticisme, elles passent à l’offensive pour faire du changement climatique une nouvelle source de profit. Le tout se réalise dans une novlangue qui prône « l’économie verte » et qui réalise le contraire de ce qu’elle annonce. Tout devient vert : l’économie, l’industrie, le tourisme. L’agrobusiness est désormais une agriculture climato-intelligente. Le développement est durable. Cette distorsion des mots élude la question des énergies fossiles (que l’on se garde de nommer sans pour autant les abandonner).

Le problème n’est pas que les COP manquent d’ambition ; elles empruntent une mauvaise voie, guidées par des multinationales qui privilégient toujours des méga-projets sans utilité pour la population. Il est à ce propos plus approprié de parler de projets néfastes que de projets inutiles.

On crée des centrales capables de générer plus d’énergie que nécessaire. Rien que pour la centrale solaire Nour de Ouarzazate, 9 milliards d’euros ont été investis, 3 000 hectares de terre ont été spoliés aux communautés qui vivaient dessus et 500 000 panneaux solaires ont été installés.

Pour empêcher l’avancée du désert, on propose de créer une grande muraille verte, une forêt large de 15 km et longue de 7 000 km sur toute la largeur d’Afrique. Cela a déjà été tenté, en Algérie et en Lybie. Ça ne fonctionne pas et ne peut mener qu’à déplacer les populations et changer leur modes de vie et de production.

Au Congo, Denis Sassou Nguesso veut créer un fond bleu. Son intention serait de sauver les eaux du bassin du Congo pour son peuple et pour la paix. Les milliards de dollars prévus pour compenser les déplacements de populations doivent nous alerter que de tels projets servent à avoir la main-mise sur l’eau.

Camille


2. TTIP Game Over, par Camille

Le TTIP game over est né d’activistes qui se sont rencontréEs pendant la COP21 à Paris et partageaient la volonté de se rassembler à Bruxelles contre le TTIP en gardant le même esprit que les climate games. Les actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
ont été organisées sous forme de jeux, en 3 rounds.

Le premier round a été organisé en juillet, localement, au moment des négociations pour le TTIP.

Pour le deuxième round, la mobilisation internationale a grossi au moment des négociations et de la signature du CETA. Entre le 3 et le 5 novembre, une centaine d’activistes internationaux a pu profiter de la logistique mise à disposition (quartier général, art space et matériel). Ils et elles sont venuEs s’ajouter aux 300 à 500 Belges mobiliséEs. Ensemble, elles et ils ont pris part à une cinquantaine d’actions [1].

Le TTIP Game Over a été une réussite ; il a permis de mobiliser de nouveaux activistes ainsi que des personnes déjà actives sur des luttes différentes (climat, dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, guerre, féminisme, etc.), le tout dans un engouement qui s’est rarement vu à Bruxelles.

Le troisième round reste à organiser. Il pourrait avoir lieu à l’occasion de la ratification finale du CETA prévu le 2 février.

Jordan Croeisaerdt et Jérémie Cravatte


3. Lutte pour retarder la privatisation de la SNCB, par Jordan Croeisaerdt

Les médias répandent l’image de cheminots se mettant en grève pour préserver leurs privilèges personnels mais l’enjeu pour les syndicalistes est la réappropriation du moyen de production [2].

Actuellement, on désinvestit dans le rail. La dotation de la SNCB a été diminuée de 3 milliards d’euros, ce qui augure des augmentations de tarifs. Des gares sont fermées, des trains sont supprimés. Des personnes dépendantes du rail n’y ont plus accès. De plus, les entretiens des trains sont beaucoup moins fréquents, ce qui engendre aussi des problèmes de sécurité.

Les dernières actions menées par les cheminots servent à alerter les usager/ères qu’on accorde de moins en moins de moyens pour assurer les services. Mais dès que ces actions sont organisées, un système répressif est mis en place : des huissiers sont envoyés, les grévistes risquent des amendes voire des retenues de salaire.

Une partie de la dette de la SNCB a servi à réaliser des investissements ; une autre, illégitime, à financer les grands projets comme ceux des gares de Mons et de Liège. Endetter le chemin de fer est une stratégie pour mieux le laisser aux mains du privé. Et privatiser le chemin de fer aurait un impact sur la qualité de vie des gens et sur l’environnement.

De la même manière, chaque service public est démantelé, morceau par morceau. C’est pourquoi il faut consolider la convergence de nos luttes, en renforcer la dimension interprofessionnelle et frapper ensemble.

Mamadou Bah


4. Lutte des sans-papiers en Belgique, par Mamadou Bah

La migration est un phénomène naturel, l’homme est fait pour circuler. Mais dans les faits, on constate que le droit de circuler bénéficie à celles et ceux qui sont néEs au bon endroit et au bon moment. Cette prérogative de la libre circulation pour quelques unEs seulement est accentuée par la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
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Le collectif des sans-papiers a organisé une occupation à Molenbeek. 200 policiers et un hélicoptère fédéral ont été déployés pour évacuer quatorze personnes inoffensives. L’exposition aux violences policières dont sont particulièrement victimes les sans-papiers rend leur coordination plus difficile que celle des autres mouvements.

Une caravane de sans-papiers a été mise en place. Elle circule de ville en ville pour rencontrer les citoyenNEs, discuter avec elles et avec eux afin de déconstruire le discours politique.

Les ennemis du peuple ne sont pas les sans-papiers, ce sont les institutions européennes. Elles sont en place pour anéantir nos conquêtes sociales, favoriser le capitalisme et nous dresser les unEs contre les autres. L’EuropéenNE pense comme un citoyenNE du monde. Le politique veut le faire penser comme unE citoyenNEe nationalE, puis comme unE citoyenNE de quartier, etc. Car si nous sommes diviséEs, il est plus facile d’en finir avec le système social. Vos enfants risquent fort bien de devenir les migrantEs de demain, comme c’est déjà le cas pour les grecQUEs.

Le politique veut tout mettre en œuvre pour nous empêcher de nous rassembler. Car c’est nous, citoyenNEs, qui détenons le pouvoir. Toutes nos luttes ont pour dénominateur commun le capitalisme et l’impérialisme. La convergence de nos luttes mettrait à mal le système. Organisons-nous, refusons le discours des politiques et mettons fin au capitalisme et à l’impérialisme. Ensemble, nous pouvons tout, diviséEs nous ne pouvons rien.

Yannis Youlountas


5. Convergence des luttes, divergences sur les manières de lutter, par Yannis Youlountas

Nous ne sommes pas néEs au même endroit, au même moment, nous n’avons pas la même éducation, la même culture, le même parcours, nous n’avons pas fait les mêmes rencontres, vu les mêmes films, lu les mêmes livres... Nous n’avons donc, assez logiquement, pas la même façon d’aborder nos luttes (conception qui évolue d’ailleurs au cours de nos vies).

ChacunE veille à rester cohérentE avec sa ligne idéologique. Au delà de celle-ci et des préjugés qu’elle suscite, la lutte est l’affaire de chacunE. Nous désirons l’émancipation individuelle... et sociale.

Ces dernières années, la nécessité nous a prouvé notre capacité à réaliser des projets communs, au-delà de nos différences. En Grèce, l’autre humain, une cuisine sociale et autogérée, fête ses 5 ans et a distribué deux millions de repas. Ils ont pourtant été servis par des gens qui partagent des avis différents sur les mêmes sujets. Il y a un mois, une caravane solidaire est partie de France vers les dispensaires grecs. Elle a également rassemblé des personnes qui ont des opinions divergentes sur des sujets tels que l’état ou le pouvoir.

Par delà nos différences, nous arrivons à créer des ponts, à organiser des actions dans lesquelles nous nous reconnaissons. Dans l’état de nécessité et de difficulté actuel, nous parvenons à sortir des clivages idéologiques, des logiques d’appareil politique, de direction, de bureaucratie syndicale pour passer à l’action. Nos différentes pratiques ne doivent pas aboutir à nous diviser.
L’atelier « Stoppons la dette et l’austérité ! Oui, mais comment ? » a mis en évidences ces nuances idéologiques et tactiques entre les participantEs et a permis de vérifier que le principal obstacle à l’action est la résignation. L’antidote à cette résignation est de décoloniser l’imaginaire pour libérer le désir et mettre en mouvement la volonté.

Nous ne souhaitons pas la conformité, c’est bien que nous soyons différentEs dans nos façons de lutter, dans nos priorités et que l’on s’en rende compte. D’ailleurs, les militantEs même du CADTM illustrent cette capacité de lutter ensemble dans nos différences.

Iolanda Fresnillo


6. Quatre propositions pour renforcer nos luttes, par Iolanda Fresnillo

6.1 Revisiter l’histoire de la lutte contre la dette
Il faut apprendre des expériences des pays et mouvements sociaux d’Europe du Sud, apprendre des succès et des échecs et faire une révision critique de cette histoire (des échecs de la négociation de Tsipras avec l’Eurozone, du succès de l’Islande qui a refusé de recapitaliser une banque, des limites de l’expérience argentine ou de la désobéissance équatorienne, etc.).

6.2 Reconstruire le réseau international contre la dette
Les relations du réseau international que nous avions il y a quelques années sont effritées. En Espagne, un réseau municipaliste contre la dette et l’austérité vient d’être inauguré. On pourrait penser un réseau international des villes contre la dette et contre l’austérité, que ces villes soient ou non gouvernées par la gauche, et en tout cas avec les mouvements sociaux qui agissent localement contre la dette et l’austérité.

6.3 Aborder la dette thématiquement
Cela pourrait se faire avec des mouvements féministes, écologistes, pour la santé, qui luttent contre le TTIP, etc.

La plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne (PACD) travaille actuellement sur le concept de non-paiement féministe de la dette. La dette n’est pas neutre du point de vue du genre comme on l’a vu ce matin ; sa résolution ne l’est pas non plus. Sortir de la dette en négociant avec les créanciers n’aboutirait qu’à plus de patriarcat, de capitalisme, de libéralisme, et aurait donc un impact plus fort pour les femmes.

La seule manière de résoudre la dette des femmes est de ne pas payer. Ce n’est qu’ainsi que nous couperons la relation avec les marchés financiers et que nous créerons un système post-capitaliste, féministe.

6.4 Maintenir une position radicale de refus de paiement
C’est la seule façon pour le peuple de récupérer la souveraineté, c’est-à-dire de décider comment gérer le système économique, le système politique, la société... comment vivre. Même si nous travaillons avec des formations politiques qui sont parfois mal positionnées pour appliquer les propositions du mouvement social, celui-ci doit impérativement maintenir ses positions radicales au risque de perdre sa raison d’être.


Notes

[2Voir, entre autres : http://www.zintv.org/GREVE-SNCB