Consommation. Les banques reprennent leurs aises

23 décembre 2019 par Camille Bauer


Les hausses poussent les usagers à utiliser davantage les services en ligne. P. Sittler/REA

Les frais bancaires, gelés il y a un an pour répondre aux gilets jaunes, vont augmenter. Quant au plafonnement des frais pour les pauvres, il n’a jamais été effectif.



Il ne reste plus rien des maigres concessions que le secteur bancaire avait acceptées de faire en plein mouvement des gilets jaunes. Au 1er janvier, les frais bancaires, qui avaient été gelés pour un an, vont de nouveau augmenter. « On nous avait promis un gel tarifaire mais en réalité les hausses annoncées vont conduire à un rattrapage. L’usager est le dindon de la farce de ces effets d’annonce », commente Serge Maitre, président de l’Association française des usagers des banques (Afub). Pour justifier ces hausses, les banques arguent d’une baisse de rendement liée à la chute des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
et à la concurrence des services en ligne.

Parmi les opérations qui vont voir leurs tarifs grimper : le retour à la banque d’une lettre non réceptionnée sera désormais taxé 25,40 euros, soit une hausse de 5 %. Le site Moneyvox a fait le tour des augmentations les plus fortes. Il pointe le coût de l’envoi d’un chéquier, qui va bondir de 4,8 %. Les virements bancaires réalisés en agence vont, eux, grimper de 4 %, passant de 3,80 à 4 euros. Une partie de ces hausses sanctionnent les actes qui nécessitent l’intervention d’un conseiller. Alors que les banques licencient et ferment des agences pour faire des économies, ces hausses poussent un peu plus les usagers à utiliser les services en ligne des banques. « On oublie la fracture numérique, se désole Serge Maitre. Elle ne concerne pourtant pas que les personnes âgées. Beaucoup de ceux qui ont du mal à boucler leurs fins de mois ont aussi du mal à payer leur abonnement Internet. »


« Promesse non tenue »

Le communiqué de l’Élysée de décembre 2018 promettait aussi « un plafonnement des frais d’incidents bancaires à 25 euros par mois pour les populations les plus fragiles ». La mesure devait concerner 3,6 millions de personnes, selon la Banque de France. Elle offrait aussi au président Macron un argument pour combattre son image de président des riches. « Promesse non tenue », ont tranché 60 Millions de consommateurs et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) en octobre dernier. Sur les 104 clients ayant participé à leur étude, 78 % de ceux qui étaient en interdits bancaires ou surendettés n’ont obtenu aucune proposition de plafonnement de frais. Si l’on considère l’ensemble des clients fragiles (c’est-à-dire avec moins de 1 800 euros de revenus et plus de 40 euros de frais pour incidents par mois), 91 % n’ont bénéficié d’aucun tarif adapté. Il faut dire que la mesure, médiatisée à l’époque par le gouvernement, ne reposait que sur le volontariat des banques. « En principe, son application était placée sous le contrôle du gendarme des banques (ACPR), mais il n’a pas dit un mot », constate Serge Maitre. Il s’est contenté cet automne de souligner les désaccords existant autour de la définition de « personne en difficulté ».

En 2017, déjà, 60 Millions de consommateurs et l’Unaf avaient accusé les banques de se faire 6,5 milliards d’euros par an sur le dos des usagers, à commencer par les plus pauvres, en abusant des frais pour incidents de paiement. Elles rechignent même à remplir leurs obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
légales vis-à-vis de leurs clients surendettés ou inscrits au fichier de la Banque de France. En principe, elles devraient leur proposer une « offre spécifique », avec des frais limités à 20 euros par mois. Dans les faits, l’information sur l’offre est souvent déficiente, et elle est tellement restrictive – pas de chéquier, carte bancaire au rabais… – et stigmatisante que beaucoup préfèrent y renoncer.


Source : L’Humanité via Anti-k