1er février 2017 par Yago Álvarez , Fundación de los Comunes
L’expression « audit citoyen de la dette » apparaissait dans presque tous les programmes des collectifs citoyens qui ont participé aux élections municipales de mai 2015. Le travail de conscientisation et d’incitation à prendre en main cette question, mené par les mouvements sociaux, et notamment la Plate-forme d’audit citoyen de la dette (PACD), a mis en évidence la nécessité de s’attaquer à la question de la dette au niveau municipal. Ces élections ont ouvert les portes des institutions à de nombreuses personnes issues de ces mouvements. Ces personnes ont donc pu accéder aux dossiers et souligner, avec cette fois les données exactes sous les yeux, l’importance de mettre en œuvre un processus qui permette aux citoyens de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons, d’identifier les personnes qui nous ont conduit jusque-là et ainsi de se saisir pleinement de la question.
Presque deux ans après la prise des municipalités [1] et six ans après le lancement du mouvement du 15M [plus connu en français comme le mouvement des Indignés], les mêmes doutes taraudent toujours les alliances électorales citoyennes et les mouvements sociaux qui ont décidé de s’atteler à l’audit des comptes d’une municipalité, dans toute sa complexité : comment aborder un processus d’audit de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
? Quels sont les outils nécessaires ? Quels résultats peut-on en attendre ?
De nombreux processus d’audit municipaux ont débouché sur la remise en cause de politiques mises en œuvre dans tout l’État. Avec des résultats plus ou moins encourageants et une participation citoyenne variable, tous se trouvent encore dans une phase embryonnaire et, en raison des multiples obstacles qu’ils rencontrent, peinent à se développer. Aux problèmes internes que connaissent nombre de ces collectifs (manques de ressources humaines et financières, carences techniques, conflits internes ou avec des alliés de gouvernement), s’ajoute le manque de coordination et de synergie entre les communes qui entame leur capacité de travail, entraîne des efforts redondants et aboutit à la sous-utilisation des connaissances et de l’intelligence collective acquises en chemin.
Les collectifs électoraux et les mouvements sociaux ont mis en lumière une série de carences lorsqu’ils ont eu à s’opposer aux machines partisanes créées pour soutenir le pouvoir depuis la transition. Ils ne disposent pas des structures d’organisation pyramidales des partis traditionnels qui permettraient la coordination de leurs actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Il leur manque les connaissances techniques, économiques et administratives dont sont pourvus les « professionnels de la politique » qui évoluent depuis des années dans les institutions. Ils ne disposent pas des outils de communication interne ni d’une « discipline de parti » qui les aideraient à utiliser l’intelligence collective et les travaux réalisés aux quatre coins du pays.
Ces carences témoignent du besoin d’articuler les réseaux qui pourraient établir ces structures de coordination, de communication et d’organisation. Des réseaux horizontaux qui mettraient sur un pied d’égalité les institutions et les citoyens, les partis et les mouvements. Des réseaux qui favoriseraient un appui municipaliste mutuel, à même de conduire à l’élaboration de stratégies communes pour relever le grand défi d’inverser la situation dans laquelle nous nous trouvons, et dans laquelle s’engluent également nos voisines et nos voisins. Des réseaux enfin, qui constitueraient un opposant de taille face aux pouvoirs établis qui ont hypothéqué nos communes et notre souveraineté.
Réseau municipaliste contre la dette illégitime et l’austérité
La dette a été utilisée comme joug contre les peuples durant des décennies. La situation actuelle des municipalités n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’un plan parfait qui vise à imposer aux Mairies - les institutions les plus proches des citoyens - l’idéologie néolibérale.
L’amendement de l’article 135 de la Constitution espagnole, sous les ordres et la pression de la grande banque européenne, qui a fait du remboursement de la dette la priorité devant toutes les autres dépenses, a conduit à l’adoption d’une série de lois, sous l’égide du ministre des Finances, Cristóbal Montoro. Les « lois Montoro », présentées comme un sauvetage de la situation économique des communes, sont la parfaite traduction des mesures néolibérales au niveau municipal. Le fait d’imposer une limite aux dépenses et des coupes claires dans le budget des communes est la traduction, au niveau local, des exigences du critère de déficit public de la Troïka à l’égard des pays endettés et « secourus ». Les « réformes structurelles » préconisées par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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se reflètent parfaitement dans les exigences du gouvernement central, qui pousse les administrations locales à fermer et à privatiser les entreprises publiques ou mixtes. Les entraves de Montoro pour décourager les communes de créer de nouveaux emplois, et ses exhortations à recourir aux services d’entreprises privées, s’accordent parfaitement à la doctrine libérale qui promeut un affaiblissement des administrations publiques au profit d’entreprises privées qui marchandisent des services qui devraient être directement fournis par les administrations.
Ce sont toujours les mêmes recettes et les mêmes stratégies, c’est pourquoi nous devons les combattre de la même manière que les mesures néolibérales imposées au niveau mondial, via des réseaux autogérés et coordonnés, qui pourront conjointement agir et faire pression.
Après les travaux de la PACD au niveau municipal, la rencontre Auditfest qui s’est tenue à Barcelone en octobre, la publication du Manifeste d’Oviedo contre la dette illégitime qui a recueilli plus de 800 signatures, et les rencontres municipalistes contre la dette illégitime et l’austérité qui ont eu lieu à Oviedo en novembre, différents acteurs issus des mouvements sociaux et de nombreux collectifs électoraux, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition dans des communes, ont encouragé la création d’un Front uni des municipalités contre la dette illégitime et l’austérité. Le réseau municipaliste est né dans l’intention d’appuyer les audits citoyens de la dette, de sensibiliser les citoyens et de leur donner les moyens de s’opposer, aux côtés de leurs municipalités, à des lois injustes. Il entend rassembler les forces et les connaissances en vue de tisser des réseaux, de définir des stratégies et des actions communes contre les lois qui sont imposées par le Ministère des Finances et d’unir nos forces pour devenir un véritable « lobby
Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
» citoyen municipaliste, avec une force de pression suffisante pour être écoutés et pris en considération. Un réseau qui, s’il n’est pas écouté, n’aura pas peur de revendiquer et d’engager la désobéissance pour remplir son principal devoir : satisfaire les besoins sociaux de ses voisines et voisins.
Et maintenant ?
Les défis que doivent relever ces réseaux municipalistes sont multiples. D’abord, combattre les carences précédemment énumérées par l’intelligence collective et la coordination, en passant par la difficulté de devoir affronter un gouvernement libéral qui sera encore aux manettes pendant au moins quatre ans et qui n’a aucune intention de céder un pouce de terrain face aux « municipalités du changement ». C’est pourquoi nous devons créer des espaces de débat et de collaboration, qui aident au développement de ce réseau municipaliste et de nombreux autres, pour nous poser des questions comme : En quoi un réseau municipaliste peut-il nous aider à combattre la dette ? Quels sont les risques ? Quel type d’actions souhaitons-nous encourager ? De quoi avons-nous besoin et comment l’obtenir ?
L’événement MAK2, rencontre des « municipalités du changement » et des mouvements sociaux sur le thème « Municipalisme, autogouvernement et contre-pouvoir » s’est tenu à Pampelune (Espagne) du 20 au 22 janvier et a rassemblé environ 500 personnes. Ce fut une agora parfaite pour débattre de ces questions, et de bien d’autres, pour donner du souffle à ce réseau municipaliste, et encourager la création d’autres réseaux, et pour leur permettre d’exercer une pression effective face aux pouvoirs politiques et économiques, renverser la situation inextricable dans laquelle se trouvent actuellement des centaines de communes, récupérer la souveraineté municipale, et doter les organismes locaux des outils nécessaires pour satisfaire les besoins sociaux des citoyens.
Source : Diagonal
Traduit depuis l’espagnol par Hélène Tagand
Pour un compte-rendu de l’événement MAK2 qui s’est tenu à Pampelune, lire : Jérôme Duval, Le Réseau des municipalités contre la dette illégitime se renforce à Pampelune, 3 février 2017.
Agenda 2017 à venir en Espagne (en lien avec le Front uni des municipalités contre la dette illégitime et l’austérité) :
21 - 22 mars (Bruxelles) : Présentation du Réseau municipaliste espagnol contre la dette au Parlement européen
2, 3, 4 juin (Cadix, Espagne) : Rencontre du Réseau municipaliste contre la dette
Cet été (La Corogne, Espagne) : Rencontre MAK3 prévue (date à confirmer prochainement)
[1] Note contextuelle de la traductrice : Le 24 mai 2015, lors des élections municipales en Espagne, des centaines de nouvelles formations, aussi appelées « candidatures d’unité populaire », ont émergé et raflé les votes dans tout le pays, regroupant divers partis politiques parfois appuyés par des mouvements sociaux. Ahora Madrid, Barcelona en Comú, Guanyem, Ganemos... autant de municipalités dites « du changement ».
est activiste et journaliste. En 2014, il a fondé le journal en ligne d’économie et de critique sociale El Salmón Contracorriente qui s’est ensuite uni à d’autres médias pour former la coopérative independante El Salto, dont il est le coordinateur de la section économie.
Activiste de la Plateforme espagnole pour un audit citoyen de la dette (PACD), il encourage la création de collectifs d’audit citoyen de la dette municipale et d’observatoires citoyens municipaux. Il est également coordinateur et promoteur du Réseau municipaliste contre les dettes illégitimes et les coupes budgétaires et a publié le manuel sur l’audit municipal, Descifra tu deuda. Guía de auditoría ciudadana municipal.