Grèce : L’expert des Nations Unies sur la dette recommande que les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque soient poursuivis

14 décembre 2015 par Moisis Litsis


Juan Pablo Bohoslavski, expert indépendant du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, spécialiste de l’incidence des dettes contractées sur l’exercice des droits de l’Homme, a récemment rendu visite à notre pays. Il a recommandé que les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque – une Commission instituée par l’ancienne Présidente du Parlement hellénique, Zoe Konstantopoulou – soient poursuivis.



Lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a fait part des conclusions de sa visite en Grèce, M. Bohoslavski, invité à prendre position au sujet de la décision de l’actuel Président du Parlement M. N. Voutsis de supprimer la Commission pour la Vérité sur la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique grecque, a déclaré que l’initiative de la précédente Présidence était «  extrêmement importante ». « Dans ce contexte, a-t-il dit, je recommande que la Commission poursuive ses travaux ».

Μ. Βοhoslavski fait explicitement référence à la Commission dans son rapport de conclusions et de recommandations sur la crise en Grèce et les droits humains, rapport qui va être soumis au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Dans ses conclusions, il fait allusion aux travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ; une Commission dont la création avait été recommandée par son prédécesseur, Cephas Lumina, ce dernier ayant d’ailleurs participé aux travaux de cette Commission. M. Bohoslavski a notamment déclaré : « Même si la dissolution de cette Commission est très récente, je crois que ses travaux doivent être poursuivis… ».

Cette déclaration –quasiment une incitation – de l’expert des Nations Unies est extrêmement importante si l’on considère l’hostilité avec laquelle ladite Commission a été traitée par les grands médias et la décision de N. Voutsis, nouveau Président du Parlement grec, de la supprimer sans présenter aucune argumentation, dans le cadre du revirement complet du gouvernement Tsipras. Il ne faut pas oublier que cette même Commission avait été regardée favorablement à ses débuts par le Premier Ministre actuel, Alexis Tsipras, qui était présent au moment de la session inaugurale de ses travaux tenue le 4 avril 2015, au cours de son premier mandat « radical », et qu’elle avait bénéficié du prestige du Président de la République, P. Pavlopoulos, présent lors de son inauguration, ce qui avait donné l’occasion à de nombreux groupes et membres de la gauche anti-capitaliste de fortement critiquer son utilité.

Il y a aussi une autre raison pour laquelle la déclaration de M. Bohoslavski est très importante… Les Nations Unies ont mentionné dans de très nombreuses déclarations que le respect de ses obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
par un Etat Membre (en matière d’éducation, de santé, etc.) prévalait sur toute obligation de remboursement d’une dette publique, en particulier lorsqu’il était question de crise humanitaire.

Des déclarations que certains ministres du gouvernement actuel connaissent bien de par leur qualité de juriste. C’est le cas, par exemple, du ministre du Travail G. Katrougalos qui, par le passé, a fait de nombreuses déclarations dans ce sens lors de la phase « radicale » de SYRIZA, avant sa complète capitulation devant les créanciers....

Quant à ceux qui pourraient argumenter dans le sens de : « les Nations-Unies de toute façon... » rappelons que les votes des Nations Unies et de ses organismes annexes, peuvent devenir une arme puissante dans le cadre d’actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
- diplomatiques ou autres - des Etats. Et que dans des cas comme celui de la période de la dictature en Grèce, toute résolution internationale venait en aide à la lutte anti-dictatoriale.

Mais les remarques de M. Bohoslavski ne s’arrêtent pas là. Il recommande « d’améliorer les procédures juridiques et administratives pour examiner la responsabilité des autorités du gouvernement et celles des décideurs du secteur privé », se référant à l’exemple de « la Commission d’enquête spéciale du Parlement de l’Islande établie après l’effondrement de banques dans le pays ... ».

Une considération extrêmement importante si l’on se souvient du refus du gouverneur de la Banque de Grèce, Y. Stournaras, de venir témoigner devant la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque, mais aussi de la réticence générale du parlement grec qui vote pour des memoranda consécutifs ainsi que pour la recapitalisation des banques - avec l’argent des contribuables - sans « interroger » les dirigeants des banques pour savoir comment nous en sommes arrivés là.
 
L’Islande bien sûr n’est pas gouvernée par la gauche radicale. Elle est gouvernée par un Parti libéral progressiste ! Tandis que même aux Etats Unis - pays de l’hyper capitalisme ! – sous la présidence de Bush, les dirigeants des grandes banques ont été invités à venir s’expliquer devant le Congrès suite à l’effondrement de Lehman Brothers et à la crise bancaire qui a suivi.
 
M. Bohoslavski a aussi invité le gouvernement grec à approuver les « principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine publique » des Nations Unies. L’Assemblée générale des Nations Unies a récemment approuvé les « principes fondamentaux » pour les processus de restructuration de la dette souveraine, afin d’améliorer le système financier mondial ; une initiative qui a trouvé son inspiration dans la crise de la dette argentine. L’initiative des Nations Unies a été approuvée par 136 voix pour, 6 contre et 41 abstentions. La Grèce fait partie des pays qui se sont abstenus, malgré les déclarations initiales du Premier ministre Alexis Tsipras, au cours de son mandat « radical », qui évoquaient « l’audit de la dette », pour ne parler que de « restructuration », après sa deuxième réélection…
 
La Grèce, qui est pourtant frappée par la crise de la dette, n’a pas signé une déclaration qui, par-delà son caractère symbolique, aurait pu être le début d’une procédure permettant d’aller vers des alliances – même si elles devaient venir d’en haut - pour essayer d’apporter une réponse à la question de la dette. Elle s’en est remise à la bonne volonté de ses créanciers, attendant que cette bonne volonté surgisse (si elle surgit un jour) après que ceux-ci aient réduit en poussière ce qu’il reste des droits sociaux, des droits du travail et des droits à la retraite, qu’ils aient pillé la totalité des richesses nationales de notre pays.
 
Au cours de cette même conférence de presse, M. Bohoslavski a également déclaré que « la réduction de la dette grecque était nécessaire afin de déclencher une croissance inclusive [1], remettant en question indirectement la viabilité de la dette publique grecque”. Il a parlé de la crise humanitaire et sociale à laquelle la Grèce fait face, choisissant de mettre l’accent sur un exemple des plus frappants, les 2,5 millions de nos co-citoyens n’ayant plus qu’une couverture sociale très limitée ou n’étant plus du tout assurés. »Les services publics de santé, font face à une charge de travail trop lourde pour assurer un accès effectif au droit à des soins médicaux suffisants et au droit aux médicaments,« a-t-il ajouté. Environ »36% de la population, soit un total de 3,76 millions de personnes, font face au risque de pauvreté et à l’exclusion sociale. Le nombre de personnes en situation de privation matérielle a presque doublé entre 2009 et 2014, le pourcentage est passé de 11% en 2009, à 21,5% de la population en 2014 ».

Traduit du grec par Eleni Panousi


Notes

[1sans exclusion sociale

Moisis Litsis

est journaliste en Grèce, ancien syndicaliste et membre du Comité grec contre la dette. (http://www.contra-xreos.gr/)

Il a travaillé pendant de nombreuses années pour le quotidien Eleftherotypia, où il était membre du comité des travailleurs, et travaille désormais pour le quotidien financier Naftemporiki.
Il a également participé à la Commission pour la vérité sur la dette grecque du Parlement grec.