27 février 2018 par Renaud Duterme
Gênes, juillet 2001 - Sommet contre le G8 (CC - Flickr - Jeanne Menjoulet)
Lors de rencontres/conférences autour de sujets remettant en cause le fonctionnement de notre société, la question des alternatives arrive systématiquement dans le débat, en particulier autour de la fameuse interrogation : « Que faire ? » À partir de là, les réponses fusent et suivent souvent le même cheminement : revendications globales concrètes, mise au pas de l’oligarchie, remise en cause du pouvoir politique, critique des médias, du consumérisme, revendication autour d’actes quotidiens, etc. A la fin, nombreuses sont les personnes qui restent… sur leur fin, et semblent dépassées par la tâche qui semble ardue. Comme si, inconsciemment, l’on espérait avoir la clé d’un modèle d’alternatives en kit que nous n’aurions qu’à suivre étape par étape pour enfin atteindre un monde socialement plus juste en accord avec les équilibres écologiques. Cette façon de faire doit à mon sens être remise en question.
Au regard de l’histoire et des grandes luttes qui ont façonné nos libertés, ce fut moins l’alternative qui créa la mobilisation que l’inverse. Toutes les expériences ne résultant pas d’une auto-organisation finirent soit dans le sang, soit dans la tyrannie. Il est par conséquent fondamental de viser prioritairement à développer les conditions nécessaires à cette auto-organisation pour arriver à ce que la frontière entre le monde militant et le reste de la population s’estompe complètement. Car ce que de nombreux activistes de tous bords oublient trop souvent, c’est que leur prise de conscience et leur esprit de lutte ne sont pas innés et résultent avant tout d’une construction sociale et d’un certain parcours de vie (milieu familial, conditions matérielles, rencontres, possibilité de faire ce que l’on veut, temps libre, absence de contraintes financières, sanitaires et environnementales, etc.). De ce fait, si l’on veut parvenir à un mouvement de masse, seul permettant de véritablement remettre en cause le système actuel, il est primordial que chacun(e) s’empêche d’être le ou la donneuse de leçon vis-à-vis des gens qui restent « dans le système » et privilégie plutôt les combats qui peuvent donner les moyens à tout le monde de comprendre et d’agir contre les formes d’oppressions qui nous envahissent. Ces combats peuvent être au nombre de trois, à savoir trois façons de se donner les moyens de pouvoir remettre en question le système dans lequel nous sommes partie prenante.
Les moyens critiques
« Comprendre le monde est un préalable à sa transformation ». Ce proverbe anarchiste doit être au cœur de notre action. Trop souvent, l’on entend dire que le temps n’est plus à la dénonciation et que la priorité est à l’action. Mais mener un combat sans avoir au préalable de solides arguments pour gagner la bataille des idées à de grandes chances d’être perdu d’avance, tant les moyens de propagande dont disposent les classes dominantes sont nombreux. Il est donc nécessaire d’être sur tous les terrains pour expliquer, partager, transmettre des analyses et des expériences concrètes à celles et ceux qui ne sont pas encore assez convaincus des impasses dans lesquelles nous nous trouvons. Les enseignant(e)s ont bien entendu un rôle fondamental à jouer, (quitte à désobéir à des programmes toujours plus formatés pour coller davantage avec les nécessités du « marché du travail » qu’avec les objectifs d’esprit critique et de libre arbitre qui sont pourtant au cœur des projets pédagogiques). Mais les formes d’éducation populaire doivent également être au cœur de toute stratégie militante et doivent autant que possible se penser avec comme objectif de sortir de nos cercles habituels et convaincus pour toucher d’autres personnes. Conférences, rencontres, médias alternatifs, partages d’expériences de terrain, de mise en réseau doivent être autant de supports sur lesquels nous pouvons nous appuyer le plus souvent possible. Rien ne doit être négligé.
Les moyens temporels
Quiconque organise régulièrement des événements de ce type se verra souvent confronté à un public relativement homogène (souvent de type classes moyennes supérieures bénéficiant d’un capital culturel important) et qui a comme point commun d’avoir davantage de temps libre que la moyenne nationale (étudiant(e)s, retraité(e)s, etc.). Ceci pose donc la question du temps nécessaire à repenser la société et expérimenter d’autres choses. Pour cette raison, la réduction du temps de travail sans perte de salaire doit devenir la priorité numéro un de l’ensemble des mouvements qui se veulent porteur d’un changement radical. Parvenir à une masse critique consciente des grands enjeux de sociétés et des luttes qu’il reste à mener implique nécessairement du temps pour se former, expérimenter, partager et découvrir. De plus, si l’on veut que les alternatives qui peuvent émerger soient véritablement démocratiques et participatives, du temps loin de l’activité salariale est nécessaire. Bien entendu, nombreuses seront les personnes ayant accru leur temps libre qui ne s’impliqueront pas davantage dans les luttes. Mais gageons qu’un nombre significatif de personnes le fera et permettra peut-être d’impulser un nouveau rapport de forces.
Les moyens matériels
Enfin, tout ce qui précède risque de n’être que chose vaine si on ne donne pas à tout le monde les moyens matériels de pouvoir s’impliquer davantage et de repenser notre modèle mortifère. Pour cette raison, la lutte contre les inégalités doit être la trame de fond de l’ensemble des combats que nous menons, qu’ils soient sociaux ou environnementaux. Cette remise en cause des inégalités extrêmes se fait par des revendications simples et faisables : développement de services publics de qualité (transports en commun, communication, enseignement, santé, énergie, banques, etc.), renforcement de la sécurité sociale, lutte contre les dettes illégitimes et fiscalité progressive sur tous les aspects imposables de notre quotidien (énergie, eau, déchets, véhicules, succession, etc.), de façon à lutter contre l’accaparement des richesses par les 1% les plus riches, cause de tous nos maux. Ces différentes mesures ont en commun de satisfaire les exigences de luttes qui trop souvent avancent en opposition, comme les luttes écologiques et syndicales.
Evidemment, naïf serait celui ou celle croyant que quiconque ayant une prise de conscience critique, du temps libre et des moyens matériels adéquats deviendra un(e) activiste prêt(e) à mourir pour la révolution. Personne ne sait de quoi l’avenir sera fait. Une chose est certaine, tous les droits que nous avons acquis par le passé sont le fruit de luttes collectives et résultent d’une auto-organisation préalable. Atteindre cette dernière ne pourra se réaliser en faisant l’économie de ce qui précède. Et même si l’objectif d’un changement radical n’est pas atteint, les conditions d’existence du plus grand nombre seront améliorées.
Ça sera déjà ça…
est enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013, co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014, auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, éditions Utopia, 2016 et auteur de Petit manuel pour une géographie de combat, éditions La Découverte, 2020.
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