Université d’été européenne des mouvements sociaux

« Nous ne sommes plus habitué.e.s à la radicalité »

23 août 2014 par Emilie Paumard


Séminaire - Des propositions qui prennent en compte la nature profonde de la crise

Au matin de cette deuxième journée de l’Université d’été des mouvements sociaux, s’est tenu le deuxième round du séminaire impulsé par les conseils scientifiques des ATTAC français et allemand s’articulant autour des propositions qui prennent en compte la nature profonde de la crise. Peter Wahl (ATTAC Allemagne), Thanos Contargyris (ATTAC Grèce) et Éric Toussaint (CADTM Belgique) étaient invités à nous apporter leurs opinions quant aux alternatives et aux stratégies à mettre en œuvre face au capitalisme néolibéral qui ne cesse de se renforcer malgré les crises qu’il génère (économique, financière, sociale, écologique...)



Peter Wahl a donné le ton aux 130 militant.e.s présent.e.s dans la salle : à l’image des grands stratèges militaires, les mouvements sociaux doivent identifier une cible précise à abattre. Sa proposition : l’économie financiarisée. Alors que les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
étaient, jusque dans les années 70, un outil au service de l’économie réelle, le vassal a depuis pris la place du maître. Et la finance - désormais au centre du système - puise son pouvoir dans des sources aussi variées qu’imposantes : exigeant une rentabilité à deux chiffres et profitant de la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
pour accroître sa mobilité, elle a atteint une taille considérable ! Elle peut par ailleurs compter sur une armée d’oligarques financiers qui, enrichis grâce à ses services, sont prêts à la défendre coûte que coûte. Ses soldats se trouvent d’ailleurs fort peu sollicités. En effet, les États, dont on pourrait légitimement attendre une réaction, se sont rendus si dépendants des marchés financiers - en privatisant une série de services rendus à leurs populations (pensions, santé...), ainsi que leur propre financement [1]- qu’ils ne remettent même plus en cause sa suprématie. Pour Peter Wahl le constat est donc clair : tant que l’on permettra aux marchés financiers d’assurer un taux de profit supérieur à celui de l’économie réelle, cette dernière sera sous-investie et le chômage ne cessera de grimper. Les États soumis à cette situation se tourneront d’autant plus facilement vers des privatisations, qui les rendront d’autant plus dépendants des marchés financiers, etc. Bref, pour refaire surface, il faut fermer le casino !

Éric Toussaint nous a rappelé que cette guerre sera d’autant plus difficile à mener dans le contexte européen. Si nos dirigeant.e.s ont pu laisser espérer, dans une première phase de la crise, qu’ils adopteraient une attitude ferme face aux fauteurs de crises [2], ils ont dès 2010 saisit la brèche offerte par le cas grec pour achever le travail entamé 30 ans plus tôt par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Les gouvernements européens, liés aux intérêts de la classe capitaliste, en sont aujourd’hui persuadés : cette crise est l’occasion rêvée pour en finir avec les conquêtes sociales d’après-guerre et ainsi retrouver une place de leadership dans une économie mondiale toujours plus soumise à la compétitivité. Pour autant, tous les peuples ne subissent pas cette attaque avec la même violence. Selon Éric Toussaint, deux stratégies se dégagent en Europe :

Face à ces stratégies parfaitement huilées, Éric Toussaint se trouve forcé de dresser un triste mais nécessaire constat : « les réponses données – par les mouvements sociaux et les forces politiques de gauches - ne sont pas à la hauteur des attaques ». En appuyant ce constat sur les chiffres des derniers grands rendez-vous européens (60 000 personnes au FSE de Florence en 2002, 20 000 à celui de Londres en 2004, environ 2 000 personnes à l’Altersummit d’Athènes en 2013), il n’en souligne pas moins les perspectives d’amélioration : « la réussite de cette université en termes de participation est un signe d’espoir ».

Dans le public, de nombreuses interpellations ont été adressées aux intervenants en réaction à ce constat. À l’image de ce militant français à la recherche de pistes : « En 2009, on aurait dû avoir une voie royale en tant que mouvements sociaux, or ce ne fut pas le cas. Quel bilan dresser ? Quelles perspectives pour la suite ? ». Peter Wahl a décrit la difficulté pour les forces progressistes d’apporter une réponse forte : d’une part, les dirigeant.e.s ont adopté une excellente stratégie en annonçant une attitude de façade intransigeante vis-à-vis des responsables de la crise, d’autre part la population était paralysée par la peur et n’était pas prête à faire confiance à nos propositions d’alternatives. Éric Toussaint a pour sa part avancé le fait qu’une série de forces de gauche n’ont pas adopté une stratégie de rupture avec l’Union européenne néolibérale. Il interroge notamment l’attitude de certaines structures syndicales : « Les syndicats ont été, jusqu’à aujourd’hui, dans l’accompagnement. Ils ne sont pas prêts à un tournant à la hauteur de l’attaque. »

Thanos Contargyris, après avoir dressé une analyse très détaillée et chiffrée du contexte grec, a pour sa part posé une perspective de changement : si dans un pays européen, même périphérique, un gouvernement progressiste se mettait en place, il serait susceptible de modifier le rapport de force et de remettre en question la logique ultralibérale et austéritaire imposée par les institutions européennes. Si Peter Wahl ne partage pas cette hypothèse et estime que seule la venue au pouvoir de forces progressistes dans de grandes puissances européennes (telles que la France ou l’Allemagne) pourra réellement apporter un changement, Éric Toussaint rejoint pour sa part les espoirs de l’économiste grec. Il rappelle néanmoins que les pays dans lesquels la perspective d’un gouvernement de gauche sont les plus probables sont ceux qui ont connu les mouvements sociaux les plus puissants (en Espagne avec le mouvement des indigné.e.s, en Grèce avec les indigné.e.s de la place Syntagma et les très nombreuses grèves générales). Une alternative de ce type ne sera donc possible que s’il existe une réelle jonction entre mouvements sociaux et mouvements politiques.

Au sein de ce riche et essentiel débat sur les stratégies et perspectives des mouvements sociaux européens, on retiendra en particulier les appels à réactions impulsés par les intervenants. Éric Toussaint constate ainsi que « nous ne sommes plus habitué.e.s à la radicalité », quant à Thanos Contargyris il estime que « nous n’avons pas assez cru en nos capacités ». Gageons que cette Université des mouvements sociaux impulse cette réaction. Nous n’avons pas le luxe de nous en passer !


Notes

[1À titre d’exemple, les titres de dettes publiques émis sur les marchés financiers représentent 97 % de la dette belge.

[2On pense notamment au discours de Nicolas Sarkozy à Toulon en 2008 : « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini »

[3La « stratégie du choc » consiste à profiter d’une catastrophe (survenue ou planifiée) pour imposer des mesures économiques et sociales drastiques, qui n’auraient pas été acceptées en temps « normal ».

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