Troisième rencontre de la Plateforme pour un Audit Citoyen de la Dette (Espagne)
13 juin 2013 par Jérémie Cravatte
La troisième rencontre nationale de la Plateforme pour un Audit Citoyen de la Dette (PACD) s’est déroulée ces 31-1-2 juin à Barcelone. Une cinquantaine de personnes (de dix groupes locaux différents) étaient présentes, ainsi que trois personnes du Portugal (du collectif « Democracia e Dívida ») et moi-même de Belgique. Trois jours très riches en contenu et en apprentissage mutuel, à la fin desquels cette brève interview d’Emma Aviles, membre de la PACD Barcelone, a été réalisée.
CADTM : Il y a deux semaines le 15M fêtait son deuxième anniversaire. D’après toi, qu’est-ce que ce mouvement a apporté – en termes politiques et sociaux – à la société espagnole ?
Emma : Le 15M, plus qu’un mouvement, a été un changement de mentalité et la rencontre d’une très grande partie de la société qui a laissé derrière elle des réseaux de communication, de collaboration et d’interaction importants. Je ne le désignerais donc pas comme un mouvement social en tant que tel. C’est un réseau dispatché, chaotique, qui fonctionne de manière organique et avec de nombreux points complètement déconnectés entre eux. Je le désignerais plutôt comme un mouvement citoyen.
Ce qu’il a apporté à notre société c’est une dynamique de changement, recouvrer la responsabilité et l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
entre nos mains, renforcer la citoyenneté. Il a beaucoup fait pour briser la peur et la déception, atteignant fortement les bases, comme le mouvement de la PAH qui a été capable de mobiliser des citoyens qui ne sont pas des activistes pour stopper les expulsions, qui d’habitude étaient vécues comme un problème individuel par des personnes qui souffraient dans le silence et la honte. Cela s’est rompu, et maintenant les gens ont tout l’aplomb nécessaire pour dire : « j’ai ce problème », et surtout ils se retrouvent avec un groupe qui les soutient. Donc, en plus d’être une force qui, je crois, maintient des mouvements fascistes à l’écart de la base (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne soient pas, comme toujours, présents dans la politique), cela est aussi apparu grandement dans les médias. Après ce qui s’est passé avec la PAH et la présentation de l’ILP [1], presque tout le monde en Espagne connaît cette lutte. Cela apporte un message très fort aux citoyens pour ne pas tomber dans le désespoir et garder en tête que, si rien ne sort de la politique, du pouvoir, il y a des réseaux citoyens qui sont là, non seulement en tant que réseaux de supports mutuels mais aussi comme lutte collective qui va se défendre contre la violation des droits.
Il y a des milliers de différentes actions et luttes de différents collectifs 15M, pour les appeler ainsi, qui selon moi font qu’au final l’Espagne – tout en étant dans la situation dans laquelle elle est – compte une partie très grande de citoyens dotés d’une énergie très forte de changement, d’espoir. Et on peut voir qu’il y a un exercice intellectuel et de collaborations, d’échanges, entre de nombreuses personnes qui pour moi est source d’alternatives pour surmonter les moments auxquels nous sommes confrontés actuellement. Je pense que les prochaines élections espagnoles seront cruciales (si ce fantastique gouvernement ne tombe pas avant). C’est déjà le cas, nous assistons à de nombreux mouvements au niveau académique, des collectifs d’experts de certains domaines et d’autres plateformes citoyennes qui ne veulent plus continuer à jouer ce jeu bipartite traditionnel qui ne nous mène nulle part et auquel nous avons joué pendant tellement de temps, mais qui veulent présenter à la citoyenneté une alternative.
Le 15M est un acteur très important dans ce moment de changement. Notre transition a durée cinq ans et puis nous avons eu trois décennies postérieures, je suis convaincue que le 15M était comme le signal qui a marqué l’ouverture d’un nouvel espace de transition vers quelque chose de nouveau, qui est encore sous la forme de création, de construction. Par exemple, il est intéressant de regarder toutes les enquêtes de l’institut national de la statistique au microscope et de voir que le niveau de soutien populaire pour des groupes citoyens comme la PAH est beaucoup plus grand que n’importe lequel des deux partis traditionnels. Si on sait conjuguer avec cela et soumettre une proposition, une alternative solide en laquelle les citoyens peuvent avoir confiance, je suis convaincue qu’il va s’ouvrir un nouveau dialogue de pacte social, très différent du précédent.
Par rapport à tout cela, peux-tu nous dire comment est née la PACD ?
Je vais te le raconter à partir de ce que j’ai vécu personnellement. Avec le 15M et le moment cathartique que nous avions sur les places, de récupérer l’espace politique dont nous avions été expulsés et au sein duquel nous n’avions jamais été durant si longtemps, de nombreuses idées ont été partagées et a commencé à se former l’idée selon laquelle « nous devons faire quelque chose nous-mêmes ». J’ai travaillé avec une équipe fantastique et très grande dans la commission environnement de la Plaza Catalunya et nous sommes allés à l’Université d’été 2011 d’Izquierda Anticapitalista avec quelques compagnons. Nous y avons vu la présentation d’Eric Toussaint sur la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et l’audit, et là nous avons eu une sorte d’électrochoc. On s’est dit : « Oui ! C’est ça qu’il faut faire ». Ensuite nous avons cherché quels groupes experts de la question existaient et il y avait justement cette rencontre en octobre du réseau « ¿Quien debe a quien ? » à Madrid. Des gens de Grèce, du Portugal, d’Irlande, etc. ont été invités et nous y sommes allés avec un groupe de personnes du 15M pour voir si nous pouvions faire des alliances. Et en effet, il y eut une petite rencontre où ensemble nous avons dit que, oui, il fallait monter un collectif et travailler sur ce sujet de l’audit de la dette. Après, durant quelques mois, nous sommes allés à la rencontre d’autres forces dans différentes localités et assemblées du 15M. En mars 2012, il y avait différentes parties de la géographie espagnole, des collectifs, des activistes et des organisations expertes qui s’étaient réunis et on a vu qu’on avait la force suffisante pour faire une première rencontre nationale, à Madrid, où la plateforme est née formellement.
Tu parles de la première rencontre, hier s’est terminée la troisième. Comment était-ce ?
Très bien ! En fait, la progression après un an et demi, en tenant compte des ressources dont on dispose et que tout le travail est bénévole – que tout le monde essaie de combiner travail et vie personnelle à un projet auquel il donne la priorité – est énorme. Tout d’abord, et ce qui me fascine le plus, c’est le groupe de personnes qui font et rejoignent la PACD. Ensuite, nous avons beaucoup avancé sur tous les sujets de contenu, nous avons déjà deux documents : le « projet photo » qui analyse les vingt dernières années de l’Etat espagnol pour localiser les points chauds où il y a probablement des cas flagrants de dette illégitime et les « idées fortes » qui essaient de condenser et expliquer quels sont nos principes et fondements idéologiques pour pouvoir développer un discours et que les gens puissent comprendre ce que nous entendons par l’utilisation de plusieurs concepts. Il y aussi toute une compilation de données et d’indicateurs (qui est en construction mais est déjà bien avancée).
Nous avons avancé dans la définition de ce que nous entendons exactement par « dette illégitime », par « audit citoyen », par « éducation populaire », quelles formules peuvent être utilisées pour la mobilisation sociale, etc. Cette rencontre a surtout été la première rencontre où nous nous sommes assis pour réellement penser notre stratégie. Dans le court terme, mais c’était très important de le faire. Toute la question de la communication, des relations avec les médias et de l’utilisation des réseaux sociaux, a également énormément avancée. Cette rencontre a été beaucoup plus productive que les précédentes et on voit que nous avons acquis une certaine maturité et qu’on sait beaucoup mieux vers où nous allons et ce que nous voulons.
Selon toi, quelles sont les accomplissements de la plateforme et quels sont tes espoirs pour le futur ?
Je pense que la plateforme a déjà obtenu – en particulier dans les milieux militants, mouvements sociaux, organisations, etc. – le fait que la question du non-paiement soit fortement mise en avant. Le sentiment ici est qu’il y a un problème avec la dette et que nous n’avons pas vécu au-dessus de nos moyens, que ce n’est pas de notre responsabilité et qu’on ne la paiera pas en échange de notre sacrifice et de nos droits. Dans le cas espagnol je pense que c’est très facile car le sauvetage a été celui des banques et qu’il y a également tous ces procès ouverts actuellement contre des institutions financières qui aident à renforcer l’illégitimité de la dette. Et ainsi, par exemple, des groupes d’étudiants dans les universités, sans que nous ayons dû aller vers eux, comprennent la base que cette dette ne doit pas être payée et le slogan est « Nous ne paierons pas vos dettes avec notre éducation ». Si déjà, de manière autonome, différents groupes de différents secteurs utilisent ce language, pour moi c’est un accomplissement énorme. En plus cela nous indique vers où nous devons aller : que dans toutes les luttes sectorielles, que ce soit pour la santé, pour l’éducation, contre les privatisations, etc., soit présent ce cri de « ce n’est pas notre dette et nous ne voulons pas payer ».
Je pense que le 15M a eu comme conséquence que les gens comprennent très bien cela. Le fait que ce changement mental soit fait dans la société me donne vraiment à penser qu’avec le temps nous aurons la force et la base sociale nécessaires pour vraiment pousser vers un changement et vers un non-paiement. Nous avons encore beaucoup de travail supplémentaire, je veux dire que nous devons aller beaucoup plus vers des groupes tels que des universitaires et des experts (j’ai souvent entendu parler des personnages connus du monde économique, par exemple, qui ne mentionnent pas qu’il est en train de se faire un travail pour défendre le sujet de l’audit). Je pense que là nous avons encore un manque à combler. Pareil pour les médias, d’une manière ou d’une autre il faudrait mettre beaucoup plus l’accent sur ce point.
Par rapport à d’autres accomplissements, nous sommes énormément approchés par des partis politiques. Souvent pour capter et profiter de l’image qu’a la plateforme, il y a eu très peu d’approches vraiment sincères. Mais cela nous donne aussi un signal de l’importance qu’est en train de générer cette question et sur la position sociale et de référent dans laquelle la plateforme est en train de se convertir. Ici, en Catalogne, Iniciativa Per Catalunya Verds y la CUP (Candidatura d’Unitat Popular) ont voulu présenter une motion pour un audit public au parlement catalan et ils nous ont demandé de les aider à l’élaborer. Fantastique, car on nous proposait de faire quelque chose de différent que nous considérons complémentaire et qui pourrait aider. Au final le vote a été négatif, mais c’est un indicateur très intéressant. Il y aussi tout ce bouillonnement politique et social qui a lieu, avec la recherche d’alliances pour créer des fronts communs pour les prochaines élections, alliances que l’on nous invite à rejoindre, ce qui signifie qu’au niveau du mouvement social nous sommes également reconnus comme plateforme. Donc, à partir de là quand nous serons capables de vraiment commencer à produire le travail d’audit, je pense qu’il y aura une explosion très intéressante. Mais nous gardons toujours à l’esprit que le travail de l’audit de la dette est un processus à moyen et long terme.
[1] Initiative Législative Populaire (avec plus d’1,4 millions de signatures) pour un gel des expulsions, rejetée en tant que telle et rectifiée par la majorité absolue du PP (Partido Popular).
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