Séparation et régulation bancaires, la grande illusion

24 août 2015 par Aline Fares


La France à la manœuvre pour que l’Europe ne change rien.



C’est un leurre de croire que les réglementations mises en place au niveau national comme européen suffisent à nous protéger – citoyens, contribuables – d’une prochaine crise financière : le problème fondamental des banques “trop grandes pour faire faillite” et des risques qu’elles représentent pour la stabilité du système financier, et la salubrité de l’économie et de la société dans son ensemble, reste entier. Et en la matière, les grandes banques françaises sont malheureusement exemplaires.

Les législateurs, gouvernements et parlements semblent avoir la mémoire courte : en 2009, on nous expliquait qu’un changement fondamental était nécessaire, qu’il fallait encadrer fermement les pratiques bancaires afin d’éviter que le fiasco de 2008 ne se reproduise, avec ses conséquences désastreuses sur la société tout entière. Aujourd’hui, la réalité est bien différente : à Bruxelles, des gouvernements parmi les plus influents, France en tête, sont occupés à limiter la portée du règlement sur la structure des banques, qui introduirait une certaine forme de séparation entre banques d’affaires et banques de dépôt à l’échelle européenne. Cela au nom de la préservation du modèle bancaire français, celui de la banque universelle Banque universelle La banque universelle (appelée également « banque à tout faire » ou « banque généraliste ») représente un grand ensemble financier regroupant et exerçant les différents métiers de la banque de détail, de la banque de financement et d’investissement, de la gestion d’actifs, tout en jouant également le rôle d’assureur (on parle ici de bancassurance). Cet ensemble intervient sur le territoire national mais également à l’étranger avec ses filiales. Le principal danger de ce modèle bancaire consiste à faire supporter les pertes des activités risquées de banque de financement et d’investissement par la banque de dépôt et mettre ainsi en péril les avoirs des petits épargnants. “trop grosse pour faire faillite”.

Les “too big to fail” françaises

Contrairement à ce que leurs dirigeants prétendent, ces banques sont pourtant loin d’être les plus solides :

• Leur modèle n’aurait pas survécu à la crise sans les injections massives des États : en France, le sauvetage de Dexia et du Crédit immobilier de France a directement bénéficié aux autres banques françaises en leur évitant des pertes massives. Les grandes banques françaises ont également profité du sauvetage par les États-Unis d’AIG, qui devait notamment 12 milliards de dollars à la Société Générale. Et elles ont été parmi les premières bénéficiaires des crédits octroyés à la Grèce en 2011. Il est donc fallacieux de dire que le modèle de la grande banque universelle a été le plus résistant : il a directement bénéficié d’interventions publiques sans lesquelles il se serait effondré.

• L’interconnexion entre les grandes banques est très élevée du fait de l’importance de leurs activités sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, notamment via les produits dérivés Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
. On ne peut donc se contenter d’analyser leurs situations individuelles, il faut prendre en compte leur contribution potentielle au risque systémique, contribution que le Parlement européen s’emploie à ignorer quand le Financial Stability Board en fait au contraire un sujet de préoccupation majeur.

“La “loi de (non) séparation” bancaire votée en 2013 est, on le sait, loin des objectifs annoncés, et la défense des “champions nationaux” a largement prévalu sur celle de l’intérêt général”

• Sachant que les quatre grands groupes bancaires français font partie des banques d’importance systémique à l’échelle mondiale, il y a matière à inquiétude : si l’une d’elles est en difficulté, c’est le système tout entier qui est chamboulé !

L’éléphant et la souris

Malgré ces faits avérés et des annonces politiques qui se voulaient fermes, le dispositif législatif reste largement inadapté à la réalité de ces grands groupes. La France en particulier a privilégié une approche a minima. La “loi de (non) séparation” bancaire votée en 2013 est, on le sait, loin des objectifs annoncés, et la défense des “champions nationaux” a largement prévalu sur celle de l’intérêt général. Pire, on pressentait que l’initiative française préempterait le débat européen : cela est maintenant confirmé. Alors que la Commission européenne mettait sur la table un texte à bien des égards supérieur au texte français, la France, alliée au sein du Conseil européen à l’Allemagne, n’a de cesse de faire valoir – avec succès – le “modèle” français, provoquant ainsi un dangereux nivellement par le bas.

Le Parlement européen peine de son côté à trouver un compromis, mais le vote est imminent : il est grand temps d’en appeler à nos représentants pour que l’éléphant n’accouche pas encore une fois d’une souris.


Aline Fares

Conférencière, auteure et militante.
Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »

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