Les lumières de Tanger : suite 4
21 novembre 2015 par Souad Guennoun
Quand les habitants du Tanger des quartiers populaires ont appelé la population à couper l’électricité le samedi 17 octobre 2015 et s’éclairer aux bougies, pour protester contre la hausse de la facture d’eau et d’électricité, le mouvement a été largement suivi dans les autres quartiers de la ville, et s’est poursuivi pour rassembler chaque samedi d’énormes manifestations populaires qui ont bravé les forces de répression. « La révolte des bougies » s’est propagée à d’autres villes du nord Ksar, M’Dik, Fnidek, et obligé les représentants du pouvoir, dirigeants, élus, responsables et… ceux de la société délégataire Amendis à parler un autre langage que celui de la matraque et des menaces.
Le retour des « baltagis » [1]
La dernière manifestation du samedi 14 novembre 2015, la 5e, depuis le début du mouvement parti de Tanger pour réclamer « dégage Amendis ».
Malgré les promesses, les divisions, et le retour des « baltagis » à Tanger : entre pression et répression, les habitants continuent à réclamer « dégage Amendis ».
À Tanger, pour ce 5e samedi de contestation contre Amendis, les habitants ont été bloqués par des bandes au service du pouvoir : les « baltagis », drapeau et portrait du roi brandis, ils ont bloqué les manifestants sortis de plusieurs quartiers populaires pour rejoindre le centre de la ville et continuer à réclamer le départ d’Amendis.
Le débat sur le retour à la gestion publique de l’eau, électricité a été relancé grâce à ce mouvement citoyen qui a pris la rue et obligé le gouvernement à sortir de son silence, et mettre à nu sa complicité avec la gestion défaillante d’Amandis, les malversations, les promesses non tenues, le non respect du contrat, la cherté des factures, corruption et détournement, complicités avec les élus et le pouvoir.
De nombreux articles et documents attestent contre Amendis
Tandis que le mouvement se développe à d’autres villes et régions, les citoyens-manifestants réclament le retour à la gestion publique, à la dé-privatisation de l’eau et de l’électricité, et que de nombreux documents sont publiés [2] : ainsi le rapport de la cour des comptes qui est resté lettre morte.
Pour en arriver à… un dialogue de sourds
« Le contrat avec Amendis ne sera pas résilié » a déclaré le 1er ministre A. Benkirane le 17 novembre devant le Parlement.
Ce n’est qu’après cinq semaines de lutte et de mobilisation massives et populaires, et malgré les multiples tentatives pour diviser le mouvement : promesses vaines, déclarations rassurantes, puis menaces et répression, ce n’est qu’après la dernière manifestation du samedi 14 novembre, que le roi dicte ses directives à son gouvernement et que son 1er ministre Benkirane annonce : « le contrat avec Amendis ne sera pas résilié », en précisant qu’aucune société marocaine n’est capable d’assurer ce service. Et de plus, Amendis exige 2 milliards de dh pour frais de résiliation !
Le 1er Ministre appelle donc le peuple à se résigner et accepter le diktat d’Amendis !
Peuple pris en otage par une multinationale
Après les nombreuses manifestations parties de Tanger qui ont rassemblé par milliers et touché d’ autres villes du nord, exigeant de plus en plus fort :« dégage Amendis », et tandis que les citoyen-nes-manifestant-es armés de bougies, réclament le retour à la gestion publique, la déprivatisation de l’eau et de l’électricité…
Il est bien triste de noter le faible soutien, voire l’absence de solidarité avec ce mouvement populaire par les nombreuses organisations marocaines politiques et syndicales, les mouvements sociaux des femmes, des jeunes, d’étudiants, de chômeurs, les nombreuses associations des Droits de l’Homme, de Défense de l’Environnement, du Bien Public, de Quartiers, de Juristes, Avocats, Juges, les Anti-Corruption… Entre querelles et divisions des directions, capitulations des dirigeants et désarrois des militants livrés seuls à l’éternelle question « Que faire »…
La large mobilisation populaire initiée par le mouvement de 20 février 2011 dans le contexte des soulèvements des peuples de la région a déjà montré les grandes difficultés des organisations de lutte à s’enraciner et accompagner cette dynamique. Et c’est cette déception politique qui les gagne maintenant après l’extinction du mouvement... et l’espoir d’une Révolution dans une région aujourd’hui menacée de terreurs et de guerres causées par les différentes interventions impérialistes.
Alors qu’est soulevée, ici et maintenant, par ce mouvement populaire, à travers cette lutte exemplaire et avant-gardiste, une question qui concerne toute la société à Tanger et dans la région, au Maroc, dans les pays du Sud comme du Nord et partout ailleurs dans le monde mondialisé.
La population est prise en otage, entre une société multinationale qui dicte sa loi, et un pouvoir incapable de reprendre en main la gestion de l’eau et l’électricité, notre bien commun. Un pouvoir incapable de ramasser les ordures qui inondent les rues, ni soigner sa population, encore moins l’éduquer, préserver son environnement… à quoi sert-il, est-on bien obligé de nous demander ?
Une leçon qui ne doit pas passer sous silence un appel à tous les peuples « privatisés », pollués, endettés, colonisés : nos ressources vitales, notre bien commun, notre souveraineté ne sont pas à vendre !
Exigeons des comptes, organisons des audits citoyens, prenons en main notre avenir…
Souad G. Attac/Cadtm Maroc
18 novembre 2015
[1] Les casseurs de manifestations, apparus avec le Mouvement du 20 Février 2011 au Maroc
Architecte et photographe renommée, vit à Casablanca. Elle témoigne depuis plusieurs années des crises sociales du Maroc d’aujourd’hui : émigration clandestine, enfants des rues, situation des femmes, luttes ouvrières, etc.
Elle filme les luttes menées contre la concentration des richesses, les restructurations d’entreprises provoquées par le néo libéralisme, les choix du régime monarchique visant à soumettre la population aux exigences de la mondialisation financière. Elle est membre d’ATTAC-CADTM Maroc.
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