15 octobre à Rome : les vrais visages oubliés

21 octobre 2011 par Chiara Filoni




Une centaine de milliers de personnes se sont rassemblées à Rome pour participer à la grande manifestation internationale du 15 octobre, lancée par les Indigné-e-s espagnol-e-s.

Un cortège immense a défilé pour dire « Non » à l’Europe des banques et au gouvernement Berlusconi qui fait payer l’addition aux travailleurs et aux jeunes, au lieu de mettre à contribution les véritables responsables de la crise. Des autocars venus de 70 provinces italiennes (20 pour la seule province de Naples), trente-neuf lignes de bus urbains déviées pour la manifestation, la participation d’un bon nombre de mouvements sociaux, dont ceux qui avaient lancé l’appel « Dobbiamo fermarli », « Nous devons les arrêter » en italien (Groupe NO TAV composé de précaires, d’ouvriers, de réseaux féministes, de Sinistra Critica, de Rete 28 aprile, de Rete dei comunisti [1], mais aussi des réseaux de lycéen-ne-s et d’étudiant-e-s universitaires, des syndicats et organisations de salarié-e-s et chômeurs-euses...

Se profilait ainsi une manifestation massive qui malheureusement ne fut pas pacifique.
Aux lendemains de la mobilisation, le bilan est lourd : douze personnes arrêtées et huit autres dénoncées (parmi lesquelles six mineurs), cent trente blessé-e-s, et des dommages matériels pour un montant de deux millions d’euros.

Mais que s’est-il passé ? De l’extérieur, il est difficile de comprendre. Dans les médias, on mentionne des « noirs », des « encapuchonnés » ou encore des « black blocs ». Qui sont-ils ?
Il s’agit de 700 personnes qui, selon le quotidien Il fatto quotidiano, appartiennent au mouvement autonome et anarchiste extrême (comme Autonomia Contropotere, le Centre social Askaatasuna de Turin, Gramigna de Padoue) mais aussi de supporters politisés (du Livourne, Cosenza, Venise et Modène) entraînés à la violence de stade [2]. Ces derniers étaient facilement reconnaissables : le visage couvert, des gourdins et des manches de pioche à la main, des drapeaux noirs accrochés à des bâtons.
Ainsi, peu après le début de la manifestation, la première agression commence. Une dizaine de « casseurs » se détachent du cortège et détruisent la vitrine d’un supermarché. C’est le signal. Ensuite, ce sera la mise à feu de trois voitures qui en flambant noircissent deux palais de l’hôtel Platino «  où la location d’une salle équivaut à un mois de loyer », comme quelqu’un le criera au micro d’un camion. Ensuite bruleront comme des allumettes une agence d’intérim, Manpower et une caserne de la police.
Progressivement, Rome est recouverte d’une fumée dense. Le chemin vers le Parlement sera interdit. En représailles, quelqu’un réussit à voler dans une paroisse la statue d’une Vierge et un crucifix qui seront détruits dans la rue. La réaction des marcheurs-euses sera instantanée. Un retraité insulte vigoureusement le jeune « blasphématoire », et presque simultanément, l’ensemble des indigné-e-s crie : «  Fuori  » ou «  Via » (Allez-vous-en !).

Se succédèrent ensuite de véritables scènes de guérilla urbaine sur la place San Giovanni.
La police, les Carabinieri, et la Guardia di Finanza (corps de police italien) répondent aux jets de pierres par le recours à des bombes lacrymogènes lancées à hauteur d’homme et des jets d’eau. Les manifestant-e-s sont contraint-e-s à la fuite. Bien qu’une de leurs camionnettes ait été incendiée, la police attendit plusieurs heures avant d’attaquer et d’avoir le dessus sur les « noirs » (un policier confessera qu’ils étaient déjà prêts, mais qu’ils attendaient des ordres d’en haut !).
Le cortège a exprimé tout son rejet des violences, comme en témoignent les insultes et même les affrontements entre manifestant-e-s et « casseurs » (ayant été jusqu’au jet de pierres et de bouteilles). Alors que c’est visible sur toutes les vidéos qui circulent sur internet, cela n’apparaît nullement dans le flot de désinformation des médias dominants.

L’heure est maintenant au nettoyage de Rome. Le Ministre de l’Intérieur a lancé une opération nationale de perquisitions et de saisies chez les présumés responsables de la dévastation de la ville. Cette procédure est justifiée par l’article 41 de la loi en matière de Sécurité Publique selon laquelle si «  les officiels et les agents de police ont connaissance, même par indice, de l’existence dans un quelconque lieu public ou privé, d’armes, de munitions, ou d’explosifs, non déclarés ou non consignés ou abusivement détenus, ils doivent procéder tout de suite à la perquisition et à leur saisie [3] ».

Ce qui risque d’être occulté, c’est bien le vrai message de la manifestation : la nécessité revendiquée par les indigné-e-s d’un changement le plus rapide possible et la ferme condamnation d’un système économique et financier humainement insoutenable. A cela s’ajoute en Italie, la dénonciation populaire de la lettre secrète de la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
- rendue publique par le ministre de l’Economie (pour cacher ses responsabilités derrière les diktats européens) - qui exige plus d’austérité pour rétablir la confiance des investisseurs.

De plus, les médias italiens sont en train de déclencher une véritable chasse à l’homme. Un des journaux de droite les plus lus en Italie, Il giornale [4], a lancé un appel à la population pour identifier les éventuels coupables de la « mise à feu et à sang de Rome » sur base du grossissement de quelques visages de jeunes « encapuchonnés ». La population est ainsi invitée à dénoncer des jeunes présentant quelque ressemblance avec ceux figurant dans les photos du journal afin qu’ils soient punis par la justice.

Sociologiquement, il est possible d’expliquer la rage et la violence de certaines personnes, tels ces diplômé-e-s promis-es à la précarité toute leur vie et sans aucune perspective d’avenir (comme l’un d’eux l’a confessé à un journaliste de La Repubblica). Il n’est cependant pas acceptable qu’un groupe de sept cents personnes ait étouffé la voix de 150 000 manifestant-e-s.

En Italie, au lendemain de la manifestation, il n’y a plus de trace de jeunes avec les mains levées devant la police pour démontrer leur pacifisme, leur innocence et leur honnêteté. Il n’y a plus de trace de leurs revendications, de leur indignation, de leur cri fort et uni « Que se vayan todos ! » (« Qu’ils s’en aillent tous ! ») dans lequel tous se reconnaissent. Mais ils existent et ils sont toujours là, campés pas loin de la place où les affrontements de samedi ont eu lieu, en soutien des travailleurs-euses de la FIOM [5] qui vendredi prochain manifesteront encore contre notre gouvernement.


Notes

[1)Voir “L’Italie se mobilise contre la dette et l’austérité”, 29 septembre, http://www.cadtm.org/L-Italie-se-mobilise-contre-la

[4Voir www.ilgiornale.it du 17/15/2001

[5Fédération italienne des Emploies Ouvrier Métallurgique

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