En trois ans, les autorités belges sont venues à deux reprises au secours des gros actionnaires et des administrateurs des banques privées aux dépens du public. Le prétexte est toujours le même : sauver les épargnants. La réalité est tout à fait différente. Comme le montre Dexia, les épargnants n’ont pas été protégés par le coûteux sauvetage d’octobre 2008. La preuve, un deuxième sauvetage est nécessaire. Les gros actionnaires et les administrateurs ont abusé de l’argent public et des dépôts des épargnants pour continuer des opérations spéculatives. Ils n’ont pas assaini les comptes de la banque. Le gouvernement belge et les autorités de contrôles ont failli à leur obligation de protéger les intérêts du public. Ils ont laissé faire la direction de Dexia. Le parquet devrait engager des poursuites à l’encontre des coupables. Depuis le début, le CADTM a indiqué une alternative : l’expropriation des banques sans indemnisations des gros actionnaires, la création d’un service public d’épargne, de crédit et d’investissement. Le CADTM ajoute aujourd’hui que toutes les dettes contractées par la Belgique pour financer le sauvetage des banques sont frappées d’illégitimité et doivent être répudiées. Revenons sur le cours des événements des trois dernières années.
Le 6 octobre 2008, l’Etat fédéral belge a acquis la totalité de Fortis Banque pour la somme de 9,4 milliards d’euros. A ce montant s’ajoutent 2,8 milliards apportés par l’Etat belge sous forme d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et de prêts ainsi qu’un crédit-pont de 3 milliards octroyé pour aider Fortis Holding à financer sa part des actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
à risque. Total de ces opérations : 15,2 milliards d’euros [1].
Après plusieurs mois de négociation avec BNP Paribas, l’Etat belge a échangé 75% de Fortis Banque avec BNP Paribas contre 121 millions d’actions de cette dernière. Au moment de l’accord conclu, ces actions valaient au total 2,6 milliards d’euros. Donc, l’Etat belge a revendu pour cette somme les 75% de Fortis Banque, qu’il avait pourtant payée 9,4 milliards. Or 75% de 9,4 milliards ne font pas 2,6 milliards, mais plutôt 7,05 milliards. L’opération était catastrophique pour l’Etat belge et très juteuse pour BNP. Le journal Le Monde ne s’y trompait pas lorsqu’il titrait : « Rachat de Fortis : BNP-Paribas peut remercier les contribuables belges » [2].
Pourtant le ministre des finances, Didier Reynders, a toujours prétendu que l’Etat allait y gagner, que les cours de BNP allaient remonter. Qu’en est-il ? Le 3 octobre 2011, le cours de l’action BNP-Paribas s’élevait à 29 euros. Si on multiplie ce chiffre par 121 millions, on obtient 3,51 milliards. Cela reste toujours bien loin des 7,05 milliards nécessaires juste pour ne pas perdre d’argent dans cette transaction. Quant aux dividendes versés par BNP-Paribas Fortis, 365 millions d’euros, ils ne permettent en rien d’inverser la tendance.
L’Etat belge ne s’est pas contenté de sauver Fortis. Il a aussi renfloué Dexia et KBC ainsi que l’assureur Ethias. Globalement, la crise financière a nécessité de la part des pouvoirs publics belges des injections de capital pour un total de 20,64 milliards d’euros3. En plus de cet apport, les pouvoirs publics ont accordé des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). pour un montant de 329 milliards d’euros. Ceci signifie que si les banques connaissent à nouveau des difficultés, l’Etat pourrait devoir fournir ces 329 milliards...
Entretemps, la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique belge est passée de 84,2% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 2007 à 96,2% en 2009. En valeur absolue, la dette publique de la Belgique a augmenté de 44,1 milliards d’euro entre ces deux dates. Etant donné que, pour financer le sauvetage bancaire, les pouvoirs publics belges se sont endettés pour un peu plus de 20 milliards d’euros, on peut estimer qu’environ 45% de l’augmentation de la dette sont imputables au sauvetage des banques par l’Etat.
En résumé, les banques ont engrangé des bénéfices importants en prenant des risques considérables et l’Etat belge s’est ensuite endetté de plus de 20 milliards d’euros pour les sauver. Ces mêmes banques ont retrouvé rapidement leurs taux de profits gigantesques et se sont comportées exactement comme avant la crise (parachutes dorés et paris risqués qui à nouveau déstabilisent l’ensemble de la vie économique). A qui va-t-on demander les 25 milliards d’euros qui manquent pour combler les déficits d’ici 2015 ? Il serait juste que ce soit les responsables de la crise qui paient, et non les citoyens.
Comme le disait Albert Einstein, il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Aussi, nous ne voulons plus écouter ceux qui veulent faire payer la crise aux citoyens qui en sont les premières victimes. La solution ? Faire payer ceux qui ont causé la crise avec leurs investissements risqués. Récupérer le coût du sauvetage des banques en prélevant un impôt de crise sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs des institutions aidées est une mesure juste, que le CADTM prônait dès octobre 2008, au moment où le gouvernement faisait ses (mauvais) choix politiques. Ces recommandations restent d’actualité.
L’Etat aurait dû, sans indemnisation des grands actionnaires, nationaliser Fortis Banque, Dexia et KBC pour garantir l’épargne des citoyens et se doter d’un instrument public afin de réaliser des investissements et créer des emplois socialement et écologiquement responsables. Avec le rachat injustifiable de Dexia en cours de réalisation, nous avons une double démonstration :
1. Oui, il faut transférer les banques privées vers le domaine public, sinon les mêmes excès tragiques se répètent sans fin. Cette décision doit être durable afin d’avoir un puissant secteur public d’épargne, de crédit et d’investissement.
2. Il est inadmissible d’indemniser les grands actionnaires privés de Dexia. Au contraire, ils doivent rembourser les sommes octroyées en 2008 (au moins 3 milliards d’euros), de même que le coût de l’assainissement de ce qui va aller à la structure de défaisance (la « bad bank
Bad bank
Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté.
»).
Les dirigeants de Dexia ainsi que les ministres responsables du sauvetage des banques en 2008 et en 2011 doivent rendre des comptes devant la justice pour les préjudices qu’ils ont causés.
Avec les ministres actuels, et particulièrement Didier Reynders, ce sont les contribuables belges qui payent la facture du sauvetage des banques. Quant aux responsables de la crise, les banques, elles continuent de s’enrichir de manière éhontée et à spéculer sur des titres risqués.
Il est nécessaire de réaliser un audit citoyen de la dette publique de la Belgique afin d’obtenir l’annulation de la dette illégitime. Il faut garantir le remboursement des petits porteurs de titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique (ils ne détiennent d’ailleurs qu’un très faible pourcentage des titres, 2 à 3%) en passant la facture aux actionnaires privés et aux ménages les plus riches qui ont profité systématiquement d’une politique injuste socialement. Il convient également de mettre fin aux intérêts notionnels [3] et de réaliser une réforme fiscale qui amène les plus riches à payer des impôts proportionnellement à leurs revenus et à leur patrimoine. De plus, il s’agit par un impôt exceptionnel de récupérer les cadeaux dont ils ont indument bénéficié.
François Sana, économiste, est membre du CADTM.
Eric Toussaint, docteur en sciences politiques, président du CADTM Belgique, a coordonné avec Damien Millet l’ouvrage La dette ou la vie, Aden, 2011.
[1] Marco van Hees, Banques qui pillent, banques qui pleurent, Aden, 2009 ; Banque Nationale de Belgique, Rapport annuel 2008, p. 195.
[2] Le Monde, « Rachat de Fortis : BNP-Paribas peut remercier les contribuables belges », 10 mars 2009.
[3] Damien Millet et Eric Toussaint (coord.), La dette ou la vie, Aden, 2011, chapitre 11, et Olivier Bonfond, La Belgique ne maîtrise ni sa dette, ni son déficit , 11 mai 2011.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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