Grèce

Compte rendu de la rencontre du 31 mai animée par Fabien Perrier avec Zoé Kostantopoulou et Patrick Saurin.

3 juin 2015 par Patrick Saurin


Les 30 et 31 mai, à l’initiative du PCF, de Transform et de l’European Left, s’est tenu à Paris le forum européen des alternatives. Trois plénières et 30 ateliers étaient organisés autour de 6 thématiques :

1) Dire adieu à l’austérité pour des politiques solidaires en Europe.
2) Reprendre le pouvoir sur l’argent.
3) Quel modèle productif écologique et émancipateur ?
4) Pour une démocratie réelle, pour une Europe des libertés.
5) Une autre mondialisation.
6) Faire gagner les peuples d’Europe : passer à l’offensive !



Dimanche matin, s’est tenu un atelier sur le thème « Audit de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, un enjeu européen » animé par Fabien Perrier avec Zoé Konstantopoulou, la Présidente du Parlement grec, et Patrick Saurin, représentant la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, le Collectif d’audit citoyen et le CADTM.

Lors de cette rencontre qui a réuni environ 70 personnes, riche d’échanges avec la salle, Zoé Kostantopoulou a commencé son intervention en déclarant : « L’austérité tue l’Europe des peuples et c’est notre responsabilité de mettre fin aux politiques mortelles avant qu’elles ne tuent l’espoir et les générations futures. » Elle a rappelé l’impact catastrophique des memoranda imposés à la Grèce en soulignant la nature inique des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. qui leur étaient associées : diminution drastique des salaires et des pensions, licenciements massifs de salariés (notamment dans le secteur public). Avec quelques chiffres irréfutables, elle a dressé le bilan désastreux des politiques d’austérité imposées par la troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. (FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
 ,BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, Commission européenne) de 2010 à aujourd’hui :

  • le chômage a triplé (avec 60 % de chômeurs chez les jeunes et 72 % chez les jeunes femmes),
  • 300 000 familles n’ont plus d’électricité,
  • 500 000 enfants vivent en-dessous du seuil de pauvreté,
  • 44,8 % des retraités vivent avec moins de 300 € par mois.

La Présidente du Parlement hellénique a énuméré plusieurs exemples d’illégalité et d’irrégularité (lois votées dans la précipitation sans que les parlementaires aient eu le temps de lire et d’étudier les dossiers, pots de vin versés à l’occasion de contrats, amnistie de délinquants financiers) qui font qu’à ses yeux une grande partie de la dette grecque est illégale, illégitime, odieuse ou insoutenable. Elle a insisté sur le non-respect par le FMI d’un de ses buts défini dans l’article 1 de ses statuts et qui consiste à « contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel ». Elle a rappelé que la Commission européenne ne respectait pas les valeurs affirmées dans ses textes, telles que « les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme… » Zoé Kostantopoulou relève que l’Europe aujourd’hui met en œuvre des politiques qui « ciblent principalement les droits de l’homme, la souveraineté du peuple et la démocratie ».

Enfin la Présidente du Parlement grec a insisté sur le rôle crucial qu’allait jouer dans les jours qui viennent la Commission pour la Vérité sur la dette publique en rappelant que le paragraphe 9 de l’article 7 du Règlement de l’Union européenne N° 472/2013 enjoint à un État membre soumis à un programme d’ajustement macroéconomique de « réaliser un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité ». Elle a conclu son intervention sur la nécessité de se battre tous ensemble pour le rétablissement de l’état social contre un totalitarisme économique qui ne crée que de nouvelles colonies.

Patrick Saurin est intervenu à son tour. Il a rappelé l’initiative de l’audit de la dette publique française réalisé par le collectif d’audit citoyen qui a mis en évidence qu’au moins 59 % de cette dette était illégitime du fait de cadeaux fiscaux consentis aux riches contribuables et aux grosses sociétés. Il est également revenu sur le rapport réalisé par la commission d’enquête parlementaire qui a travaillé sur le problème des emprunts toxiques. Il a mis en regard cette initiative parlementaire avec celle initiée par la Présidente du Parlement grec. En Grèce, la Commission mise en place a su s’ouvrir aux acteurs du mouvement social, alors que ces acteurs n’ont même pas été consultés en France. En France, le choix a été fait de protéger les banques, notamment en faisant prendre en charge par l’État, et à travers lui par les contribuables, le coût de la faillite de Dexia. Patrick Saurin a évoqué la scélérate loi de validation que le gouvernement socialiste a fait voter en 2014 pour priver les collectivités locales d’actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice au moment même où les tribunaux faisaient droit à leurs requêtes.

Patrick Saurin est revenu sur les conditions de mise en place de la Commission pour la Vérité sur la dette publique en Grèce, il a rappelé l’objet et la mission de cette Commission. Il est revenu ensuite sur les différentes dettes susceptibles de donner lieu à contestation et à annulation : dette illégale Dette illégale Les dettes illégales sont les dettes qui ont été contractées en violation des procédures légales en vigueur (par exemple en contournant les procédures parlementaires), celles qui ont été marquées par une faute grave du créancier (par exemple par recours à la corruption, à la menace ou à la coercition) ou issues de prêts assortis de conditions violant le droit national (du pays débiteur ou créancier) et/ou international, dont les principes généraux du droit. , dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
, dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
et dette insoutenable Dette insoutenable C’est la dette dont la poursuite du paiement empêche les autorités de garantir aux citoyens l’exercice de leurs droits fondamentaux notamment en matière de santé, d’éducation, de logement, de revenu minimum et de sécurité. Si la poursuite du paiement de la dette empêche les autorités publiques de respecter leurs obligations fondamentales envers les citoyen·nes, le paiement en question peut être suspendu même si la dette est légitime et légale. , dont il donné les définitions.

Il a terminé son intervention en pointant l’essence des politiques régressives pour la Grèce qui est aujourd’hui le lieu où le capitalisme sous sa forme la plus abjecte qu’est le capitalisme financiarisé essaye de surmonter la crise qui l’affecte depuis 2007. Pour rester en vie, ce système mortifère s’emploie à paupériser la population grecque, car le capitalisme se nourrit de l’épuisement des peuples. Ce combat ne met pas seulement en jeu la volonté d’appropriation de richesses par une minorité qui spolie la majorité de la population qui les produit. Ce combat est un combat de civilisation qui menace ce qui nous réunit (la solidarité), ce qui nous prémunit contre les aléas de l’existence (la loi et les systèmes de protection sociale construits au fil des siècles) et ce qui est l’essence de la vie citoyenne (le débat démocratique). Ce qui se joue en Grèce avec l’épreuve de force engagée depuis ces dernières semaines est essentiel et concerne toutes les dimensions de nos vies.


Patrick Saurin

a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.

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