22 octobre 2013 par Mbelu Babanya Kabudi
Un Occident en pleine crise économique peut-il travailler à l’émergence d’un pôle autonome et souverain ? Nous en doutons. Il a besoin des marchés où il peut investir 1$ et en gagner 7 sans un quelconque contrôle démocratique. Les IFI et les élites compradores sont toujours disposés à l’aider dans cette entreprise. La RDC et « son Plan Marshall » ne pourraient pas faire exception.
La meilleure façon d’éviter la (mauvaise) répétition de l’histoire, note Peter Dale Scott, est de l’étudier. Souvent, les remises en question proactives de ce qui se passe en RDC sont fondées sur une approche critique de notre histoire. Mais aussi de la connaissance sans cesse approfondie des partenaires extérieurs et des Institutions financières internationales (IFI).
A ce point nommé, il est bon de souligner l’avantage que certains d’entre nous ont de travailler en étant à la fois branchés sur les Congolais(es) de la base et les grandes productions scientifiques occidentales, asiatiques, latino-américaines et africaines sur les relations Nord-Sud.
Malgré toutes les critiques que nous pouvons formuler à l’endroit de l’Occident, il a ses « iconoclastes » ; c’est-à-dire ces hommes et ces femmes qui, fiers de l’usage de leurs libertés fondamentales, travaillent à la mise sur pied des médias alternatifs et des pensées alternatives.
L’ouverture de leur espace public à la liberté de la pensée leur permet d’être comptés parmi les grands critiques du dysfonctionnement du système néolibéral sous lequel l’Afrique (et la RDC) croupit. Ils sont convaincus de la force des idées dans le renouvellement du corps sociétal dans son entièreté.
Citons un exemple. Les études du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du Tiers-monde) sur les dégâts causés par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et toutes les IFI avec lesquelles ces institutions de Bretton Woods travaillent sont d’une richesse inimaginable au sujet des procédures auxquelles elles recourent pour noyauter l’indépendance économico-politique des pays africains.
(Malheureusement, il arrive que les renvois à la documentation dont se sert le CADTM ou celle qu’il produit soient interprétés comme une forme de pédantisme de la part de certains compatriotes africains et congolais habitués aux solutions prêt-à-porter et rebelles aux efforts enrichissants de la recherche multidimensionnelle).
La lecture d’un petit livre d’Éric Toussaint intitulé « Procès d’un homme exemplaire », par exemple, vient confirmer toutes les analyses faites sur le dysfonctionnement de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international par des auteurs tels que Joseph Stiglitz et Aminata Traoré.
Après avoir constaté que les institutions de Bretton Woods avaient contribué à entretenir « une grande désillusion » au sujet de leur efficacité économique en 2002, Joseph Stiglitz a indiqué, en 2003, que le système que servaient ces IFI, le capitalisme, avait perdu la tête.
Et quand, une décennie après, nous apprenons que la Banque mondiale va participer à la réalisation du Plan Marshall Plan Marshall Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale. dans un pays où le code minier qu’elle a dicté aux gouvernants a favorisé la prise en otage de ce pays par les multinationales et les autres « petites mains » du capitalisme sauvage, nous nous disons que le pire au Congo dit RDC est encore à venir.
Pourquoi ? A partir de la relecture de notre histoire via Éric Toussaint, nous apprenons que la BM et le FMI ont contribué à l’imposition d’une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
à la RDC en finançant les projets présentés par Mobutu même quand ces IFI savaient qu’une bonne partie de ce financement était utilisé par le dernier Maréchal de l’Afrique pour ses dépenses de prestige, pour son enrichissement illicite et la consolidation de sa dictature aux dépens de la population congolaise meurtrie, appauvrie, niée dans sa dignité humaine.
Ce faisant, ces IFI ont créé un vivier où les aigris de tous bords étaient disposés à vendre leurs âmes au premier « libérateur » sans un minimum de discernement. Ce soutien à la dictature a réussi grâce à la complicité entre certaines entreprises occidentales et une certaine élite européenne représentant leurs intérêts au sein de ces IFI.
Pendant la période de la dictature mobutienne, ces IFI ont imposé au Zaïre les PAS (programmes d’ajustement structurels). Ces PAS exigeaient au pays de Mobutu d’exporter ses matières premières brutes (sans valeur ajoutée) pour financer sa dette extérieure odieuse au mépris de l’agriculture vivrière proclamée « priorité des priorités ». Mais aussi au dépens des droits économiques, sociaux et culturels : la santé, la création des emplois, l’habitat sain, les salaires de la fonction publique, l’école, etc. devaient être les parents pauvres de la deuxième République.
En revanche, l’exportation des matières premières brutes permettaient d’acheter les produits finis des entreprises occidentales représentées à la Banque mondiale et au FMI par une certaine élite européenne.
Et sur le 1$ investi dans ces IFI, elles gagnaient plus ou moins 7 $. Tous les documents récents du CADTM auquel appartient Éric Toussaint attestent que ce système n’a pas positivement changé. Il s’est au contraire « amélioré ». Et quand nous apprenons que la BM va participer au plan Marshall en RDC, notre inquiétude est grande. Pour cause. La guerre de basse intensité imposée à la RDC depuis plus ou moins trois décennies a eu raison des remises en cause sérieuses des IFI.
Depuis cette guerre dite de « libération », le Congo travaille avec les IFI. (C’est la BM qui lui a imposé le code minier néolibéral.) Les élites compradores à ses commandes sont loin de comprendre le fonctionnement de la machine infernale de ces IFI quand elles n’en sont pas tout simplement que des complices.
Et l’imaginaire violé de plusieurs d’entre nous disqualifie, sans analyse fouillée, toute critique sensée à l’endroit de cette machine infernale. Vous en avez qui vous disent : « Ah ! Le plan Marshall n’est pas encore mis en œuvre et vous commencez à le critiquer ».
Par ignorance, complicité ou paresse intellectuelle, ces compatriotes refusent d’étudier le fonctionnement passé et présent des IFI et des élites compradores dont elles se servent pour mettre en coupe réglée le Congo de Lumumba. Ils s’en prennent à leurs compatriotes critiques en leur demandant de dire tout simplement ce qui doit être fait pour que « le Congo sorte de sa crise » sans en connaître les acteurs mineurs et majeurs et leur mode opératoire en réseau.
Le viol de l’imaginaire a convaincu plusieurs d’entre nous que le bonheur du Congo sera fait (d’abord) par ses agresseurs d’hier et d’aujourd’hui. Ils ne se rendent même pas compte que les Africains ayant essayé des solutions assez originales allant dans le sens de produire un bonheur collectif partagé ont été simplement trucidés. Le cas de Kadhafi est plus que parlant.
Que voulait-il après avoir réussi à diriger son pays, la Libye, sans dette extérieure ? Contrôler les réserves énergétiques de son pays, soutenir les efforts de développent africain et souverain avec plus de 150 milliards de dollars, participer activement à la création d’une Banque d’investissement
Banques d’investissement
Banque d’investissement
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
africain par le biais de l’UA, soutenir la naissance d’une Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
africaine et d’un Fonds monétaire africain. Il voulait aussi participer à la naissance de la coopération Sud-Sud sur d’autres bases que celles du capitalisme sauvage en favorisant les ponts entre l’Amérique Latine et l’Afrique.
Ce rêve a été brisé par « les petites mains » de la Banque mondiale et du FMI. Dès lors, comment croire que la participation de la BM au Plan Marshall au Congo va aider ce pays, ou sa partie Est, à voir le bout du tunnel ?
Si le miracle pouvait se produire, les néolibéraux occidentaux se tireraient une balle dans le pied : ils perdraient leur réservoir de matières premières. Or, qui perd le Congo perd l’Afrique. Pourquoi ? L’Afrique a la forme d’un révolver dont la gâchette se trouve au Congo, disait Frantz Fanon. Donc, il sera difficile aux néocoloniaux de perdre le Congo. Surtout de laisser ce pays évoluer vers une démocratie participative et une réelle souveraineté gérées par ses dignes filles et fils. La lutte est âpre. Elle mérite d’être menée.
Il est possible qu’un miracle puisse survenir. Mais nous n’y croyons pas. (A suivre)