13 juillet 2015 par Zoe Konstantopoulou
Concerne : l’engagement des Parlements à garantir le plein respect des procédures démocratiques et de la protection des droits humains dans l’Union Européenne à la lumière du récent référendum en Grèce
Monsieur le Président,
Cher collègue,
Comme vous le savez, le 5 juillet 2015, la Grèce a organisé, suite à une décision de son Parlement, un référendum portant sur le cadre fixé par deux documents. Ceux-ci intitulés« Reforms for the completion of the current program and beyond » (Réformes pour l’achèvement du programme en cours et au delà) et « Preliminary Debt Sustainability Analysis for Greece » (Analyse préliminaire de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour la Grèce) ont été mis sur la table par la Commission européenne, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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le 25 juin 2015. Une limite de 48 heures (expirant le 27 juin) avait alors été donnée au gouvernement grec pour répondre. Le gouvernement, considérant que la proposition consistant en des termes et conditions qui allaient au delà de son mandat récent n’a pas accepté le délai et a demandé au peuple grec de se prononcer sur les documents par le biais d’un référendum. La décision du référendum a été prise après une discussion en Plénière au Parlement, les 27 et 28 juin. La question posée au peuple grec consistait à savoir si il acceptait ou rejetait les documents mentionnés que le gouvernement était amené à accepter ou refuser pour le compte du peuple. Le référendum s’est tenu le 5 juillet 2015 et a abouti à un rejet massif à hauteur de 61,3%.
Ce référendum a été le premier organisé en Grèce en 41 ans depuis le retour de la démocratie (1974) et l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution (1975). C’était également la première fois que le peuple grec avait directement « voix au chapitre » à propos des mesures et mémorandums qui lui ont été imposés depuis mai 2010.
Au cours des 5 dernières années, des mesures ont été mises en place en violation du droit international et des dispositions constitutionnelles internes par le biais de procédures extraordinaires mettant de côté le Parlement ou limitant la discussion parlementaire. La limitation à 10 heures pour voter un texte de loi de 800 pages condensé en 1 seul article à discuter en fournit un exemple comme j’ai pu l’expliquer dans notre réunion à Rome fin avril.
Ces mesures ont provoqué une crise humanitaire inédite, une grande misère et de graves violations des droits humains fondamentaux dont font état un certain nombre de rapports. Ces rapports proviennent des tribunaux grecs, du comité européen des droits sociaux et de l’expert indépendant de l’ONU sur la dette et les droits humains. A ceux-là il faut ajouter les conclusions du rapport du Parlement européen sur le rôle et les opérations de la Troïka ainsi que celles du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette grecque. Ce dernier est joint pour votre information à la présente lettre pour souligner le besoin démocratique d’un changement dans les politiques européennes relatives à la dette grecque dont la Commission a mis en avant le caractère illégitime, illégal, odieux et insoutenable. Cela signifie que la dette a été contractée avec des procédures qui violent les droits humains, le droit international et la Constitution grecque. Son remboursement entraînant davantage de violations graves des droits économiques et sociaux qui font partie intégrale de la civilisation européenne et de son héritage commun.
Avec le récent référendum c’est la première fois au cours des 5 dernières années que le Parlement a eu « voix au chapitre » au sujet d’un accord et c’est également la première fois que le peuple a pu se prononcer sur des mesures qui lui sont imposées. En somme, un vrai moment de démocratie !
Malheureusement, ce processus démocratique s’est vu entaché par des ingérences externes en vue de lui faire obstacle. En raison de la décision de la Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
européenne de bloquer les liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
aux banques grecques, le vote s’est déroulé dans un contexte de fermeture des banques et de contrôle des capitaux. Plus grave encore, les dirigeants et officiels européens n’ont pas cessé de faire des déclarations publiques qui déformaient grossièrement la question posée dans le référendum ou appelaient à son annulation. A cela, se sont ajouté des tentatives de préjuger de son résultat par des interprétations arbitraires des votes « oui » et « non ». Comme vous le savez, la question pour le référendum n’a jamais été sur la sortie ou non de la zone Euro mais portait explicitement sur l’acceptation ou le rejet des propositions en forme d’ultimatum mises sur la table le 25 juin 2015. Pourtant, les officiels européens ont fait des déclarations publiques présentant le référendum comme étant un choix en faveur ou à l’encontre de l’Europe ou de l’Euro alors qu’il n’en était rien. Le résultat en a été une atteinte aux principes fondamentaux dont l’Union européenne prétend se revendiquer.
En dépit de ces interventions et des conditions mêmes dans lequel le vote a été organisé (avec les banques fermées depuis une semaine), le peuple grec a massivement rejeté les propositions sans issue destinées à payer une dette insoutenable Dette insoutenable C’est la dette dont la poursuite du paiement empêche les autorités de garantir aux citoyens l’exercice de leurs droits fondamentaux notamment en matière de santé, d’éducation, de logement, de revenu minimum et de sécurité. Si la poursuite du paiement de la dette empêche les autorités publiques de respecter leurs obligations fondamentales envers les citoyen·nes, le paiement en question peut être suspendu même si la dette est légitime et légale. . Il est intéressant de constater qu’au cours de la semaine précédant le référendum, un rapport préliminaire du FMI intitulé « Preliminary Draft Debt Sustainability Analysis » daté du 26 juin 2015 mais publié seulement le 2 juillet a estimé la dette insoutenable. Ce rapport contredit directement celui intitulé « Preliminary debt-sustainability analysis for Greece » daté du 25 juin rendu au gouvernement grec et que celui ci a décidé de soumettre au vote confirmant ainsi la pertinence de son rejet par le gouvernement et le peuple grecs.
Avec son vote, le peuple grec donne une chance de faire prévaloir la démocratie et la transparence en Europe.
En tant que parlementaires et président/e/s de parlements, nous sommes appelé/e/s à rendre compte et respecter le résultat du référendum ainsi qu’à coopérer en vue d’une solution humaine et démocratique pour un peuple en souffrance depuis des années. Il s’agit du respect du droit du peuple grec à vivre avec dignité et espoir via la mise en place de solutions pour faire en sorte que l’Europe respecte ses citoyens et ne soit pas une prison pour ses peuples.
Je suis convaincue que les Parlements de l’Union européenne et le Parlement européen devraient être correctement informés à propos des faits. Il devraient ainsi être impliqués dans les procédures de l’Union européenne pour garantir que la démocratie en Europe ne cède pas la place à des pratiques qui n’ont pas été légitimées. Des pratiques qui minent la prospérité et le bien-être des peuples et sociétés européennes en violant les objectifs fondamentaux des statuts européens tels que prévus dans l’article 3 commun aux différents Traités européens. Les Parlements et les parlementaires sont élus par les peuples et doivent rendre compte aux peuples. Ils sont par définition, la véritable voix des peuples et doivent pour cela respecter les attentes des peuples pour la protection des valeurs et garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). fondamentales européennes.
En considérant à nouveau cette situation d’un point de vue parlementaire et démocratique, il est intolérable d’être témoin de tentatives répétées de contester ou même de se voir nier le droit fondamental d’un peuple à décider via un référendum à propos de ses droits fondamentaux. Ceux-ci concernent la vie, la dignité, l’emploi, le bien-être, les soins de santé, l’éducation, la pension ainsi que la perspective des jeunes et futures générations. Cette perspective se voit sérieusement compromise par les politiques dites « de sauvetage » qui ont conduit à un taux de chômage de 60% chez les jeunes et même de 72% chez les jeunes femmes et d’un dette de 32.500 euros pour chaque enfant qui naît.
Je vous demande de ce fait de vous abstenir de déclarations comme celles que vous avez faites dans les derniers jours - tant avant qu’après le référendum -. Par vos déclarations vous sous-entendez que le « NON » doit donner lieu à une punition contre le peuple grec. Je vous demande également de vous abstenir de déclarations qui contiennent des interprétations arbitraires et fausses du résultat du référendum visant à contester une procédure démocratique dans un Etat membre de l’Union européenne.
Je voudrais également souligner le comportement de la Banque centrale européenne qui continue à refuser la fourniture de liquidités adéquates aux banques grecques. Cette mesure a pour conséquence la fermeture des banques, ce qui renforce l’impression que le peuple et le gouvernement grecs sont punis pour l’exercice d’un droit politique fondamental - le droit de vote. Le fait que les déclarations officielles y compris la vôtre envisagent une aide humanitaire à la Grèce si la situation persiste indique qu’il y a la conscience que la survie même du peuple grec est mise en danger par le refus de la BCE de fournir des liquidités. Cela souligne le besoin urgent d’une solution démocratique et humaine en lieu et place de mesures aux conséquences antidémocratiques et inhumaines et révèle le degré de responsabilité des officiels et dirigeants européens.
La tragédie grecque n’est pas un jeu et ne peut être dissociée des erreurs et manquements flagrants des créanciers de la Grèce, que ces derniers ont publiquement reconnus. Punir une population pour corriger de telles erreurs est une solution insupportable qui entre en contradiction avec les principes européens.
J’en appelle de ce fait à votre sens de la solidarité européenne et je demande votre contribution pour résoudre cette crise, pour garantir le respect de la démocratie, des droits humains fondamentaux et de l’égalité dans l’Union européenne et d’exercer à cet effet le contrôle démocratique nécessaire des institutions européennes.
Traduction : Virginie de Romanet
avocate et femme politique grecque. Ex-députée du parti de la gauche radicale Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier 2015 en Grèce, a été la plus jeune présidente de la Vouli (Parlement grec), de janvier à octobre 2015, et la deuxième femme seulement à exercer cette fonction. Dès son élection elle mandata, en avril 2015, un audit de la dette publique grecque avec la formation de la Commission pour la vérité sur la dette publique. Zoé Konstantopoulou s’est opposée à la trahison du résultat du référendum du 5 juillet 2015 par le gouvernement d’Alexis Tsipras. En 2016, elle a fondé une nouvelle organisation politique appelée Trajet de Liberté.
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